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Faut-il remettre le prix Nobel de physique à Peter Higgs dès 2012?

Temps de lecture : 6 min

Imaginée en 1964 par le chercheur, aujourd'hui âgé de 83 ans, l'existence du boson de Higgs a été probablement confirmée cet été par le Cern, mais il faudra attendre 2013 pour en être sûr.

Peter Higgs à l'université d'Edimbourg, le 6 juillet 2012. REUTERS/David Moir.
Peter Higgs à l'université d'Edimbourg, le 6 juillet 2012. REUTERS/David Moir.

A 11h45, mardi 9 octobre, Staffan Normark, secrétaire permanent de l’Académie des sciences royales de Suède, doit annoncer le prix Nobel 2012 de physique, remis pour la 106e fois depuis 1901. En effet, la distinction suprême n’est pas décernée lorsqu’aucun candidat ne remplit les critères exigeants du prix: ce fut le cas en 1916, 1931, 1934, 1940, 1941 et 1942 —les années de guerre ne sont, semble-t-il, pas favorables aux découvertes en physique, bien que le Nobel récompense des travaux souvent très antérieurs à l’année de remise du prix.

En 1901, le premier Nobel de physique est ainsi revenu à l’Allemand Wilhelm Conrad Röntgen pour sa découverte des rayons X en 1895. En 2011, les trois lauréats, les Américains Saul Perlmutter et Adam Riess ainsi que l’Australo-Américain Brian Schmidt, ont été récompensés pour la révélation de l’accélération de l’expansion de l’univers en 1998.

En général, un délai assez long entre une découverte et le prix permet de valider de façon certaine les travaux des lauréats. Les sages de l’Académie des sciences royale de Suède ont jusqu’à présent évité les impairs malgré de nombreuses injustices et des choix souvent contestés par la communauté scientifique.

Des règles de prudence bousculées?

Cette année, sans doute pour la première fois, une situation particulière se présente. Un véritable cas d’école qui pourrait bousculer des règles de prudence plus que centenaires.

En effet, le 4 juillet 2012, le microcosme de la physique a connu l’un de ces moments qui marquent l’histoire d’une science. Au CERN de Genève, les chercheurs du LHC ont annoncé avoir mis en évidence l’existence d’une nouvelle particule élémentaire. La 25ème composante des atomes. Et pas n’importe laquelle. Cette particule est très probablement le fameux boson de Higgs que les physiciens traquent depuis 1964. Trois mois seulement après cette découverte majeure, le doute sur son identité n’est pas encore totalement levé, et c’est là tout le problème pour la Fondation Nobel.

Certes, dès le mois d’août, des publications scientifiques ont commencé à être publiées. Elles décrivent en détail les caractéristiques de la nouvelle particule et concluent qu’elles correspondent à celles qui étaient attendues pour le boson de Higgs. Mais elles précisent également que «la collecte de données supplémentaires permettra un test plus rigoureux de cette conclusion et une investigation pour déterminer si les propriétés de la nouvelle particule induisent une physique au-delà du modèle standard». Ce qui signifie que les chercheurs ne peuvent pas encore affirmer avec une totale certitude que la nouvelle particule est bien le boson de Higgs.

En toute rigueur, il est donc trop tôt: les résultats définitifs ne sont pas attendus avant la fin de l’année, trop tard pour le Nobel.

La procédure de nomination, un obstacle?

Un autre obstacle à la nomination de Peter Higgs et de son collègue dès cette année réside dans l'organisation de la sélection des candidats au Nobel. Normalement, la liste des nominés est close en février mais de nouvelles candidatures peuvent être ajoutées jusqu'à fin mai —un peu plus d'un mois avant l'annonce du Cern.

Une candidature de Peter Higgs sortirait donc du calendrier officiel des délibérations. Le comité pourrait utiliser ce problème de procédure pour ne pas accorder le Nobel au boson de Higgs cette année, à moins que le caractère exceptionnel de la découverte et l'âge de ses auteurs ne le convainquent de violer un peu les règles officielles.
Ou qu'un physicien dans le secret des expériences menées au Cern n'ait proposé sa candidature dans les temps, comme pour Obama, nominé au printemps 2009, quelques mois seulement après son investiture, et primé en octobre de la même année...

Au final, les Suédois ont probablement discuté longtemps avant de répondre à la question de l’année en physique: «Faut-il donner le prix à Peter Higgs en 2012 ou bien attendre 2013?» Une question à 1,1 million de dollars, le montant que se partagent les lauréats du Nobel.

La prudence et la sagesse d’une vénérable institution plaident en faveur de l’attente. Finalement, dans un an seulement, en 2013, l’incertitude sera levée et la décision sera facile à prendre. Pourtant, plusieurs physiciens, dont Stephen Hawking, parient pour un prix Nobel accordé à l’anglais Peter Higgs et à son collègue, le Belge François Englert, dès cette année.

Trois arguments pour un Nobel dès 2012

Trois raisons plaident en faveur d’un prix Nobel en 2012:

1. L’âge des nominés

Né en 1929, Peter Higgs a 83 ans. François Englert, lui, a 80 ans. Le troisième physicien considéré comme codécouvreur du boson de Higgs, le Belge Robert Brout, est mort le 3 mai 2011 à l’âge de 83 ans. Que se passera-t-il si Peter Higgs décède avant le mois d’octobre 2013?

Depuis 1974, les statuts du Nobel stipulent que les prix ne peuvent être remis à titre posthume, ce qui était arrivé deux fois auparavant, en 1931 et en 1961. La nouvelle règle prévoit que le prix reste valable si le décès survient après la date de son annonce.

Un cas particulier s’est produit en 2011, quand le prix Nobel de médecine Ralph Steinman est mort trois jours avant l’annonce de sa distinction. La Fondation Nobel a décidé de ne pas la lui retirer parce cette annonce avait été faite avant qu’elle ne soit au courant de ce décès.

2. L’importance de la découverte

Peter Higgs, François Englert et Robert Brout ont imaginé l’existence du boson de Higgs en 1964 pour résoudre un problème important rencontré alors par la physique des particules. Le modèle standard était incapable d’expliquer la masse de deux bosons, W et Z. Pour corriger ce défaut de la théorie, Peter Higgs et ses collègues ont proposé l’existence nécessaire d’une nouvelle particule, baptisée boson de Higgs, qui, dans la foulée, pouvait expliquer la masse de toute une famille de particules élémentaires.

Même si les détails de cette prédiction restent difficiles d’accès, le processus de la découverte révèle le coup de génie des physiciens. Voilà des théoriciens qui imaginent l’existence d’une particule pour résoudre un problème. La vérification de leur prédiction étant impossible avec les instruments de l’époque, il a fallu attendre la construction du LHC du CERN pour disposer de l’énergie nécessaire à la réalisation de l’expérience.

C’est ce qui s’est produit en juillet à Genève: une particule purement théorique s’est physiquement manifestée dans l’immense accélérateur. Et elle a tout du boson de Higgs.

Si cette identité est confirmée, il s’agira de l’un des plus grands moments de l’histoire de la physique: il faut remonter à 1995 pour la découverte de la précédente particule élémentaire (6e quark, top t).

Un exemple comparable à celui du boson de Higgs est celui des neutrinos, imaginés en 1930 par Wolfgang Pauli et confirmés en 1956, deux ans seulement avant la mort du physicien autrichien. 26 ans d’attente pour le neutrino et 48 années pour le boson de Higgs... Malgré ce délai, certains concepteurs sont toujours vivants. La Fondation Nobel peut-elle prendre le risque de ne pas pouvoir inscrire Peter Higgs à son palmarès?

3. Le malaise de la physique

Au cours des dernières années, les prix Nobel de physique ont surtout récompensé des techniciens de la physique (supraconductivité, magnétorésistance géante, spectroscopie laser…) et des astrophysiciens. La physique théorique est restée assez minoritaire, malgré le prix Nobel 2008 récompensant trois Japonais pour leur découverte «des mécanismes de la brisure spontanée de symétrie».

Surtout, depuis un siècle, la physique reste écartelée entre le modèle standard, qui explique le fonctionnement de la matière à l’échelle de l’infiniment petit avec la physique quantique, et la relativité d’Einstein qui traite de la gravité à l’œuvre dans l’infiniment grand du cosmos. Impossible, jusqu’à présent, d’unifier, comme disent les physiciens, ces deux théories. Ce qui se passe dans l’univers et dans le cœur de la matière semble obéir à des lois aussi différentes que s’il s’agissait de deux univers distincts. C’est gênant.

De plus, le modèle standard restait incomplet à cause de l’impossibilité d’observer le boson de Higgs. Depuis le mois de juillet, les physiciens respirent un peu mieux. Et ils en ont sans doute profité pour fêter le 50e anniversaire du CERN, le 5 octobre 2012, avec plus d’enthousiasme. Même si le boson de Higgs ne résout pas tout, loin de là, il permet à la physique de franchir une étape décisive, dont elle avait bien besoin.

Michel Alberganti

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