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Oktoberfest: La petite histoire de la Dirndl

Temps de lecture : 6 min

Contrairement aux apparences, la fameuse robe de paysanne qui sied tant aux Allemandes blondes à forte poitrine n'a pas toujours été portée à la Fête de la bière. Et ce n'est même pas un costume traditionnel.

Mannequins en dirndl, à Munich le 7 juin 2011. REUTERS/Michael Dalder
Mannequins en dirndl, à Munich le 7 juin 2011. REUTERS/Michael Dalder

Imaginez l'Oktoberfest de Munich avec ses cohortes de Bavarois festoyant en Lederhose, la culotte de peau folklorique, attablés en ligne dans les immenses tentes à bière, mais sans ses Bavaroises pulpeuses aux joues rosies par l'alcool, corsetées dans leurs Dirndl aux couleurs tout aussi criardes. Impensable! Il n'y a pas si longtemps, pourtant, les seules Munichoises qui arboraient l'habit «traditionnel» à la Fête de la bière étaient les accortes serveuses capables de charrier six chopes d'un litre dans chaque main sans quitter leur sourire.

En coton ou en soie, cette tenue romantique pour certaines, très kitsch pour les autres, se porte sur une mini-blouse à manches courtes, avec un tablier. Ce dernier élément est très important, puisque la façon de le nouer donne des indications précises sur la disponibilité de celle qui la porte. Le rêve de tout dragueur qui se respecte. Si le tablier est noué à droite, il s'agit d'une femme mariée. À gauche, c'est le contraire: à vos marques. Les veuves, quant à elles, portent le nœud dans le dos. Autrefois, les jeunes filles vierges nouaient leur tablier à l'avant – une pratique tombée en désuétude - fort heureusement.

Gabriele Papke, responsable du service de presse de la Fête de la bière, explique:

«Dans les années 1970-1980, on allait à l'Oktoberfest en jean, habillé en vêtements de ville, de façon tout à fait normale. On le voit aussi sur les films et les photos des années 1960. Les seules qui portaient des Dirndl, c'était celles qui venaient des montagnes, de la campagne. Et puis dans les années 1990, la «Landhaus Mode» (mode maison de campagne) a fait son apparition. Aujourd'hui la Dirndl et le Lederhose sont devenus un must have».

Boom depuis les années 2000

Aujourd'hui, environ la moitié des sept millions de visiteurs – dont 72% sont bavarois – qu'attire chaque année au mois d'octobre cette grande fête populaire, s'y rendent habillés en costumes folkloriques. Selon la spécialiste de la Dirndl Simone Egger, chercheuse à l'Institut du folklore et d'ethnologie européenne, à l'Université de Munich, ce boom date du début des années 2000:

«Ce sont surtout les jeunes qui ont commencé à acheter des costumes d'occasion pour se rendre à l'Oktoberfest, et à les combiner avec leur propre style pour s'amuser, à les porter avec des baskets ou des vestes en jean... C'est aussi à cette époque que des stylistes ont commencé à s'intéresser à la Dirndl. Il y a eu des reportages, ça s'est développé peu à peu. Les gens ont commencé à ressortir leurs vieilles Dirndl et Lederhose du placard pour les porter à l'Oktoberfest. Et puis, naturellement, l'industrie est entrée en jeu, et en 2006 c'est vraiment devenu hype. On aurait pu s'attendre à ce que cette mode décline: c'est le cas du Lederhose mais pas de la Dirndl, qui est devenue un classique dans la garde-robe des femmes. Comme elles en ont souvent plusieurs, elles veulent naturellement les porter, alors ça s'est étendu à d'autres fêtes et aux mariages.»

Fantasme de nobles citadines

Contrairement au Lederhose, dont les origines remonteraient au 18ème siècle et qui était un vêtement de travail communément porté par les paysans et les chasseurs des Alpes, dont ils appréciaient la robustesse, la Dirndl n'est pas un costume historique. Elle n'est apparue qu'à la fin du 19ème siècle, non pas pour répondre aux besoins des paysannes mais pour satisfaire les fantasmes de nobles citadines en vacances dans les Alpes bavaroises, un peu à la façon de Marie-Antoinette, qui fuyait la mélancolie que lui inspirait la vie de cour en allant jouer à la bergère dans le faux village normand qu'elle s'était fait bâtir dans le parc de Versailles. Comme l'explique Simone Egger:

«En 1810, lors de la toute première Oktoberfest, personne ne pouvait porter de Dirndl, car elle n'existait tout simplement pas. Les citadines étaient habillées à la mode française, avec des robes de style empire. La Dirndl est apparue vers 1880, lorsque le tourisme moderne s'est développé et que les dames de la haute société ont commencé à partir en villégiature au bord des lacs de Bavière. À cette époque, une couturière a du avoir l'idée de créer des robes d'été en s'inspirant des robes de travail très simples des servantes

Les robes que portaient les paysannes bavaroises à cette époque-là étaient plutôt austères: décolleté à peine esquissé, jupon tombant jusqu'aux chevilles, couleurs sombres, tissus grossiers, faits pour tenir chaud et durer. Un peu comme celle que porte Julie Andrew dans la scène d'ouverture pastorale de la comédie musicale culte La Mélodie du Bonheur (dont l'action se situe en fait à quelques kilomètres de la frontière allemande, dans l'Ouest de l'Autriche, qui partage de nombreuses traditions avec la Bavière):

Le flair du service marketing de Munich

La Dirndl n'a en fait commencé à être associée avec la Fête de la bière qu'à partir des années 1960, à l'époque où Munich était candidate pour accueillir les JO et où le service marketing de la ville a eu l'idée judicieuse d'envoyer des jolies filles en corsages et en jupons lors de grands événements à l'étranger pour faire la réclame de l'art de vivre bavarois. Les photos des 10.500 hôtesses vêtues de Dirndl bleu pâle, embauchées pour accueillir les visiteurs internationaux pendant les JO d'été de 1972 ont ensuite fait le tour du monde, et ont certainement contribué pour beaucoup à sceller la légende d'une Dirndl appartenant depuis toujours à l'imagerie de l'Oktoberfest.

C'est donc à partir de cette époque que l'on a commencé à revoir la Dirndl dans les rues de Munich, où elle s'était faite rare depuis la fin de la Seconde guerre mondiale: salie par la propagande nazie, on n'osait plus trop la sortir du placard, comme le rappelle Simone Egger:

«Elle s'est mise à être portée par une nouvelle génération qui ne l'associait pas à des vieux souvenirs négatifs, car les national-socialistes avaient repris les images du folklore pour véhiculer leurs idées. La femme allemande n'était pas spécialement représentée en Dirndl mais les images d'Eva Braun, la compagne d'Hitler, qui la montrent vêtue de cette robe sur l'Obersalzberg, près du Berghof, sont restées célèbres.»

Dépoussiérée, réinventée par une génération de stylistes qui lui donnent un côté glam, à l'instar de Lola Paltinger, ou exotique pour les Dirndl à l'africaine des Munichoises d'adoption Rahmée Wetterich et Marie Darouiches, qui taillent leurs robes dans des tissus bariolés utilisés traditionnellement pour la confection des boubous, la Dirndl n'est plus perçue comme ringarde dans le Sud de l'Allemagne, où on la retrouve désormais jusqu'à Stuttgart, qui ne fait pourtant pas partie de la Bavière. C'est devenu un article de mode à part entière, sur lequel se répercutent les tendances de la mode vestimentaire classique.

La garantie d'être sexy, quel que soit son poids

Dans le même temps, ce vêtement habituellement coûteux – plusieurs centaines d'euros – s'est complètement popularisé. L'offre sur internet est considérable, et de nombreux magasins spécialisés ont fleuri dans les rues de Munich ces dernières années. C'est devenu une sorte de phénomène de masse, la robe bavaroise étant portée par tout le monde, quelque soit l'âge ou le niveau de revenus.

Si l'on n'est pas regardant sur le sacro-saint made in Germany, on peut désormais s'offrir une robe pour moins de 100 euros. Ce qui désole Martha Gebler-Indra, gardienne du temple Indra Trachtenmoden, une institution munichoise où l'on vient se faire tailler des Dirndl sur-mesure depuis 60 ans, où l'on s'enorgueillit d'avoir habillé des vedettes telles que Paloma Picasso et où les modèles les plus raffinés dépassent la barre des 1000 euros. Pour elle, les causes du boom actuel de la Dirndl sont plutôt à chercher dans le vêtement lui-même, qui rend n'importe quelle femme sexy:

«C'est un vêtement très féminin. Que l'on soit mince ou plus forte, avec une Dirndl on est bien habillée, bien emboîtée, cela met en valeur toutes les qualités d'une femme.»

Il est aussi tentant de voir dans le renouveau de ce costume une tendance au repli identitaire, au régionalisme. Une journaliste allemande a même affublé la Dirndl du surnom de «burqa bavaroise». Un trait d'humour que Simone Egger trouve exagéré. Pour elle, il s'agit avant tout d'un phénomène social:

«C'est un phénomène de groupe. Si mes amis s'habillent comme ça, je veux moi aussi porter ce genre de vêtements. Il faut aussi prendre en compte le fait que plus d'un quart des Munichois viennent d'ailleurs. Beaucoup de gens viennent de l'étranger ou des autres Länder pour travailler à Munich, car la région est prospère sur le plan économique. Porter le costume folklorique, c'est montrer qu'on fait partie de la ville, de la région, qu'on est content d'être ici.»

Annabelle Georgen

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