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Chef trois étoiles à Valence, Anne-Sophie Pic s'installe à Paris

Temps de lecture : 5 min

L'événement revêt une dimension historique: Anne-Sophie Pic, seule femme chef triplement étoilée en France, vient d’installer un restaurant près de la Seine, cuisine très personnalisée, sans prétention à la gloire médiatique. Complet midi et soir.

Anne-Sophie Pic, dans son restaurant de Valence, le 21 février 2007. REUTERS/Robert Pratta
Anne-Sophie Pic, dans son restaurant de Valence, le 21 février 2007. REUTERS/Robert Pratta

Petite femme brune au physique d’adolescente, de nature réservée, peu expansive mais chaleureuse avec son public, Anne-Sophie n’était pas destinée à manier les casseroles et à couper turbots, ni à cuire les volailles dorées. Pourtant, dans la vaste demeure du boulevard Victor Hugo à Valence, sa chambre était nichée au-dessus de la cuisine d’où montaient les fumets des marmites et des fonds de sauce. Son père Jacques Pic, trois étoiles à partir de 1973, la nourrissait d’écrevisses pattes rouges, de bar au caviar (admirable composition), des gâteries du goûter, des choux à la crème, au retour de l’école. Son goût pour la bonne chère s’est forgé à son insu, dans une relation intime avec Jacques, Suzanne la mère et Alain le fils, une famille unie qui vivait pour donner du bonheur à la clientèle.

Une carrière imprévue

Si elle prend un autre chemin que celui des fourneaux et de la gastronomie professionnelle, c’est que son frère Alain, bien formé par Jacques Pic, est l’héritier né pour poursuivre l’œuvre paternelle. Quand Jacques Pic meurt subitement en septembre 1992 –le choc bouleverse leur vie bien réglée– elle entreprend de gérer le trois étoiles, aux côtés d’Alain en toque, contraint à maintenir le haut niveau de la table et les recettes superbes: la salade de pêcheur, le gratin de queues d’écrevisses, les strates de bœuf au foie gras, un récital au petit point qui a marqué la mémoire des gourmets de l’Hexagone et d’ailleurs.

La disparition si injuste de Jacques Pic, un cœur d’or, va contraindre la douce Anne-Sophie a reprendre le flambeau et à piloter la cuisine nickel de l’ex-trois étoiles —le guide rouge ayant enlevé la troisième pour cause du décès du chef patron, c’était la double peine infligée par le Michelin, un acte de cruauté indigne. D’autant que le restaurant familial subissait le contrecoup de la mort de Jacques Pic, la clientèle fidèle s’amenuisant, les «complets» rares et la faillite se faisait menaçante.

Réinvention

En 1997, aidée par les gros bonnets de la brigade, les piliers du fameux restaurant, elle s’attelle à la création des plats, renouvelle le répertoire, insuffle un air de modernité: le Pic du XXIème siècle est en gestation, tandis que le mari, David Sinapian, économiste distingué, l’homme des chiffres et des bilans, réussit à agrandir l’établissement et à le rehausser par un hôtel de quinze chambres cosy, de style provençal. Heureuse conséquence, Pic est admis dans la prestigieuse chaîne des Relais & Châteaux, un coup de génie du mari visionnaire et tête chercheuse de bons plans.

L’ascension suit la progression de la cuisine d’Anne-Sophie qui conserve quelques spécialités mémorables et affiche des préparations bien à elle, assorties de légumes travaillés, de condiments (le poivre, les alcools), d’ingrédients qui viennent emballer l’assiette.

La reine du potager

Anne-Sophie, penchée sur ses préparations à la fois savantes et logiques, la carotte à la fleur d’oranger, la betterave crémeuse au café Blue Mountain, les langoustines à la rhubarbe et céleri au poivre, le pigeon rôti aux petits pois embeurrés à l’anis, le homard aux navets dans un bouillon corsé, est devenue la reine du potager et des maraîchers. Elle cuisine comme personne, conciliant la légèreté, les goûts, les textures et une créativité en éveil. Son seul souci majeur, avec son fils Nathan, élevé aux huîtres et au camembert, est le renouvellement de son répertoire. Une obsession quotidienne et du plaisir vif à mitonner la bonne chère.

En 2007, elle décroche la triple couronne, la seule en France depuis la Mère Brazier, alors qu’en Italie Annie Féolde à Florence, Nadia Santini à Canneto Sull’Oglio près de Mantoue et Luiza Valazza près de Turin ont reçu la troisième étoile dans les années 80-90, chapeau bas.

A Paris, sans sophistication inutile

Dans la foulée, Anne-Sophie et son mari ouvrent une succursale luxueuse au Beau Rivage de Lausanne en 2009 vouée aux plats de la mémoire paternelle, deux étoiles deux ans après. La montée à Paris s’est faite sans forcer. Après quelques propositions de restaurateurs de la capitale, David et Anne-Sophie ont jeté leur dévolu sur un restaurant anonyme, proche du Louvre, restauré façon zen, murs et plafonds blancs, mobilier de bois clair, table d’hôtes de 25 couverts, et recoins pour les repas d’amour et d’amitié, le tout signé Bruno Borrione de l’équipe Starck. De la modernité bien conçue, clarté et animation.


La Dame de Pic crédits François Goizé

A Paris, le propos culinaire n’a pas été de dupliquer la haute partition de Valence, les poireaux et le caviar d’Aquitaine, le Saint-Pierre de petit bateau à la vanille et au rhum, l’agneau de lait à la menthe fraîche comme en Grande-Bretagne, ni d’envoyer des plats canailles à la façon du «7», le bistrot pour le peuple de Valence: pâté de canard en croûte, joue de bœuf, mignon de porc, blanquette de veau et moelleux au chocolat. Non, tout près des quais, côté Tuileries, voici une carte courte de quinze plats basés sur un produit de base: la poularde, le cochon de lait, les huîtres escortées de garnitures originales, conçues pour livrer des assiettes de saveurs et textures inédites. Nulle sophistication inutile et pas de carte, quatre menus fixes.

Il s’agit de se divertir en créant des préparations jamais vues, en insufflant de l’élan, des goûts nets, comme ces morceaux de sardines aux poireaux et au thé, jolie esthétique de l’assiette, comme ces berlingots de chèvre aux champignons et fève tonka, ou ce cochon de Bigorre au thé vert et feuille de figuier, ou encore ce lapin Rex du Poitou au genièvre et gin ou cette succulente tarte Tatin revisitée, exquise en bouche. De l’innovation aguichante pour les papilles: c’est la manière Anne-Sophie.

Sucré-salé

Avec le temps et l’astreinte de la création permanente, Anne-Sophie regorge d’idées qu’elle soumet à ses toqués, en particulier à Xavier Jarry, trois ans à ses côtés à Valence, responsable de la Dame de Pic à Paris –et des recherches culinaires.

Que marie-t-on avec quoi? La crème de petits pois à la réglisse galanga (une épice au goût proche du gingembre), la poire William à la réglisse et violette: l’assiette n’est pas un fourre-tout, encore moins une imitation banale des ritournelles du passé, il s’agit de créer des accords, d’intégrer des trouvailles qui fassent sens. Chaque plat véhicule une histoire et une construction: le sucré-salé, un cheminement constant pour la manière d’Anne-Sophie.

Tout cela, cette architecture à surprises répond aux exigences du temps gastronomique, de la cuisine en évolution qui séduit la clientèle par la finesse, la délicatesse, les détails des assiettes.

Dès les premiers services en septembre, la Dame de Pic a conquis son monde. Aucun restaurant de la capitale, depuis le début 2012, n’a obtenu un consensus aussi vite: quatre semaines de délai pour le dîner, un peu moins pour le déjeuner. À peine assis, le nez est à l’œuvre par le biais de trois menus, trois parfums à humer: Vanille ambrée, Iode et fleurs et Sous-bois épices: des effluves initiant à la gourmandise en actes.

En dix ans, la maison Pic est devenue le Groupe Pic, affichant plus de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires et 100 personnes employées. Bons sang ne saurait mentir: Anne-Sophie incarne la quatrième génération. Son arrière-grand-mère Sophie, cuisinière de village, à l’Auberge du Pin à Saint-Péray (Ardèche), en 1899 mitonnait déjà des volailles et un lapin sauté, ce que Anne-Sophie a conservé dans son récital, concocté autrement, signature de la Dame de Valence, de Lausanne et de Paris. Bon vent!

  • La Dame de Pic

20 rue du Louvre 75001 Paris. Tél. : 01 42 60 40 40. Menus au déjeuner à 49 euros. Menus Vanille ambré à 79 euros, Iode et fleurs à 100 euros et Sous-bois épices à 120 euros. Fermé dimanche.

  • Pic 1889

285 avenue Victor Hugo 26000 Valence. Tél. : 04 75 44 53 86. Menus à 90 euros au déjeuner, 200 euros au dîner. Carte de 150 à 270 euros. Fermé dimanche et lundi. Chambres à partir de 290 euros. Scook, école de cuisine à 100 mètres, 20 élèves par session.

  • Le 7

Bistrot chic dans l’Hôtel Pic. Déjeuner à 19 euros. Carte de 35 à 60 euros.

Nicolas de Rabaudy

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