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Les anti-OGM sont les climatosceptiques de la gauche

Temps de lecture : 8 min

Rassurez-vous, vous n'aurez pas de cancer à cause du maïs génétiquement modifié.

Dans l'Indiana, en juin 2012. REUTERS/Brent Smith
Dans l'Indiana, en juin 2012. REUTERS/Brent Smith

J'ai toujours pensé qu'en matière de désinformation, rien ni personne ne pouvait rivaliser avec les sceptiques du changement climatique et leurs sbires plus ou moins haut placés.

Mais c'était avant que je ne commence à m'intéresser aux manipulations scientifiques des anti-OGM. L'étendue de leurs prouesses et le nombre de personnalités qui leur prêtent main-forte ont de quoi vous surprendre.

J'ai donc pu observer que leurs angoisses sont alimentées par de célèbres organisations écologistes, de soi-disant comités de surveillance en sécurité alimentaire et autres journalistes culinaires influents; que des universitaires très respectés offrent un boulevard à leur science boiteuse et que leur propagande ne rencontre que la crédulité chez les plus légendaires de mes confrères; et, enfin, que les médias progressistes qui, quand il s'agit de débats sur le climat, n'hésitent pas à condamner l'indécence rhétorique qui les enrobe, nous servent le même genre d'agitprop dès qu'il est question d'organismes génétiquement modifiés.

Pour le dire en deux mots, j'ai compris que la question des OGM, avec sa charge émotionnelle et politique énorme, s'embourbe dans les mêmes marigots idéologiques que ceux qui ont pourri jusqu'au trognon la science du climat.

L'exemple le plus récent et le plus téméraire de cette déformation scientifique date de mi-octobre, et s'est incarné dans une étude discutable (oui, mais peer-reviewed!), à l'origine d'un déferlement médiatique mondial. Dans cette étude, une équipe de chercheurs français aurait trouvé qu'en donnant du maïs GM à manger à des rats, ceux-ci développent des tumeurs géantes et meurent prématurément.

En à peine 24 heures, la crédibilité de cette étude a été réduite en bouillie par un nombre record de scientifiques. Le consensus fut rapide et sans appel: l'étude était bourrée d'erreurs –des lacunes aussi graves que manifestes, et qu'aucun comité de lecture n'aurait dû laisser passer. La plupart des critiques ont mis en avant la lignée de rats choisie par les chercheurs, particulièrement sujette aux tumeurs. D'autres aspects méthodologiques fondamentaux de cette étude, comme la taille de l'échantillon et ses analyses statistiques ont été aussi largement discrédités. Selon un scientifique de l'Université de Floride, cette étude a tout simplement été «conçue pour effrayer» l'opinion publique.

Manipulation de journalistes

Et on est loin de l'hallucination collective, vu le passif de l'auteur principal de cet article, Gilles-Eric Seralini, qui, comme l'explique NPR, «milite activement contre les OGM depuis 1997» et n'en est pas à sa première étude «contestée», selon les termes du New York Times.

Les circonstances de l'étude de Seralini sur les OGM et les tumeurs de rats vont du bizarre (comme le décrit avec emphase un magazine français, elle s'est déroulée dans des conditions semi-clandestines) au suspect (elle a été financée par un organisme opposé aux biotechnologies, dont Seralini dirige le conseil scientifique).

Autre signe alarmant: Seralini et ses co-auteurs ont manipulé certains journalistes pour les empêcher de parler de leur étude à des chercheurs extérieurs. (La stratégie a visiblement fonctionné comme un charme en Europe). Certains confrères se sont volontairement transformés en simples sténodactylos en signant des accords de confidentialité stipulant qu'ils ne solliciteraient pas l'avis d'experts indépendants avant la publication de l'étude. Une pratique qui a piqué au vif d'autres journalistes scientifiques comme Carl Zimmer qui, sur son blog de Discover, écrit:

«C'est une manière de faire du journalisme scientifique rance et corrompue. Cela donne une mauvaise image des scientifiques concernés, mais, en tant que journalistes, nous devons aussi admettre que cela donne une mauvaise image de notre profession... Si quelqu'un vous tend un accord de confidentialité et vous demande de le signer, si vous n'avez pas d'autre choix que d'écrire un article partial et univoque, FUYEZ. Sinon, vous serez les dindons de la farce».

En parlant de dindons, ai-je déjà signalé que le nouveau livre de Seralini sur les OGM, Tous cobayes! est publié (en France) la semaine dernière? Sans oublier un documentaire, fondé sur ce livre, qui sort au même moment. Pour de plus amples détails, cliquez sur le site de l'organisme anti-biotech qui a financé cette étude. Vous y verrez aussi les répugnantes images des rats nourris au maïs transgénique et développant des tumeurs de la taille d'une balle de ping-pong.

Tout cela est très pratique, vous ne trouvez pas?

Mais il en faut plus pour décontenancer Tom Philpott, le célèbre blogueur culinaire de Mother Jones, qui écrit que les conclusions de Seralini «mettent cruellement en lumière le mantra du secteur des biotechnologies agricoles, pour qui l'innocuité des OGM alimentaires est largement prouvée».

Pourquoi aller contre le consensus scientifique

Philpott claironne souvent sur les dangers écologiques et sanitaires des semences génétiquement modifiées. Mais les craintes que suscitent les OGM, dont toute la presse de gauche fait régulièrement ses choux gras, n'ont que peu de fondement. Comme Pamela Ronald, généticienne végétale à l'Université de Californie-Davis le faisait remarquer l'an dernier dans le Scientific American:

«Il existe un important consensus scientifique prouvant que les plantes génétiquement modifiées disponibles actuellement sur le marché alimentaire ne représentent aucun danger. Après 14 ans de culture et, au total, près d'un milliard d'hectares plantés, la commercialisation de semences génétiquement modifiées n'est à l'origine d'aucun effet nocif sur l'environnement comme sur la santé».

Dès lors, comment se fait-il que des doutes subsistent encore, même chez ceux qui n’exècrent pas Monsanto ou qui ne défendent pas mordicus une alimentation exclusivement bio? Pour certains, c'est l'introduction de nouveaux gènes dans des espèces animales et végétales qui les préoccupent. Mais les humains sélectionnent consciemment les plantes et les animaux qu'ils mangent quasiment depuis qu'ils sont sortis des cavernes et, de fait, ont manipulé leurs gènes tout du long. Le processus était tout simplement un peu plus lent avant l'apparition des biotechnologies.

Pour autant, le malaise que peut susciter une technologie nouvelle et puissante n'est pas uniquement un travers d'ultra-parano. Le principe de précaution est un bon principe. Mais les gens devraient savoir que les OGM font l'objet d'une législation très scrupuleuse (voire trop, selon certains scientifiques, qui déplorent des normes excessivement pesantes).

De nombreux écologistes ont peur que les animaux transgéniques, comme le «Franken-saumon», soient relâchés dans la nature et supplantent leurs cousins conventionnels, ou du moins provoquent des soucis reproductifs chez les membres sauvages de cette espèce. Mais même le scientifique dont les recherches ont servi à élaborer la théorie du «gène de Troie» estime que le risque pour le saumon sauvage est «faible» et que son travail a été mal compris par les anti-OGM.

Une guerre sans fin entre les humains et les nuisibles

Une autre préoccupation, dont on a largement parlé, concerne «la croissance rapide de semences ultrarésistantes», capables désormais de braver le Roundup, l'herbicide n°1 de Monsanto. Un phénomène qui a poussé les agriculteurs à multiplier les quantités de phytosanitaires déversées sur leurs cultures. Par ailleurs, certaines études laissent entendre que d'autres nuisibles développeraient une résistance aux semences OGM. Mais ces problèmes ne sont pas spécifiques à l'ingénierie génétique. L'histoire de l'agriculture, c'est une guerre sans fin entre les humains et les nuisibles.

Inversement, les aspects positifs des semences GM semblent largement supplanter les négatifs. Une étude récente, fondée sur 20 ans d'observation et publiée dans Nature a trouvé que les semences GM permettaient d’améliorer l'écosystème des insectes utiles autour des champs concernés. Pour une synthèse des bénéfices (et des préoccupations lancinantes) générés par les OGM, voyez cet article récent rédigé par Pamela Ronald.

Mais l'argument ultime contre ceux qui redoutent les OGM dans leurs assiettes, c'est qu'il n'existe aucune preuve scientifique crédible de leur danger pour la santé.

Même Philpott, dans sa charitable apologie de l'étude de Seralini, admet que «personne n'est encore tombé raide mort après avoir bu, par exemple, un Coca sucré au sirop de glucose-fructose fabriqué à partir de maïs transgénique». Pour autant, dès le paragraphe suivant, il se demande «Quid des effets 'chroniques', ceux qui arrivent progressivement et qui ne sont pas facilement corrélables à un élément en particulier? Quelle visibilité avons-nous sur ce que nous mangeons?»

Bien que l'étude de Seralini soit un désastre total, Philpott conclut qu'elle «indique de manière inquiétante que tout n'est peut-être pas parfait avec nos aliments – et montre, cela ne fait aucun doute, qu'il faut approfondir nos connaissances sur le sujet». Mais ici, ce qui ne fait vraiment aucun doute, c'est l'incapacité de Philpott à reconnaître de grosses conneries quand elles lui crèvent les yeux.

Incohérence intellectuelle chez les médias à tendance écolo

Si je m'en prends à Philpott, ce n'est pas parce que je lui en veux personnellement, mais parce qu'il représente la frange la plus raisonnable et la plus mesurée de la brigade anti-OGM (dont les membres les plus extrémistes s'affublent de combinaisons blanches pour aller détruire des projets de recherche). Il en va de même pour Grist, qui considère que l'étude française est «importante» et que cela «vaut la peine de s'intéresser aux conclusions de Seralini».

Que la presse de gauche approuve aussi unilatéralement une étude que toute la communauté scientifique tourne en ridicule et considère comme un exemple éhonté de mauvaise science est «fondamentalement déprimant», selon la formule d'un chercheur en médecine qui blogue sous le pseudonyme d'Orac. Pour lui, les manipulations scientifiques et les stratégies alarmistes des anti-OGM ressemblent à celles du mouvement anti-vaccination.

Ce biais en faveur des anti-OGM révèle aussi une incohérence intellectuelle patente chez les médias à tendance écolo. Quand il est question, par exemple, de science climatique, Grist et Mother Jones sont les premiers à dénoncer l'aveuglement et le déni des experts et des politiciens. Mais dès qu'il s'agit d'ingénierie génétique, les journalistes de ces mêmes supports se jettent sur les arguments les plus pseudo-scientifiques, fondés sur les preuves les plus bringuebalantes et alertent l'opinion sur ces OGM qui causent le cancer, bouleversent nos hormones et tuent nos écosystèmes.

Ce genre de rhétorique catastrophiste, j'ai bien compris qu'elle était prévisible de la part de groupes écologistes, des militants anti-OGM et de leurs nervis les plus cupides et les plus malhonnêtes. C'est ce que font les idéologues, montés sur des ressorts partisans. L'étude de Seralini a d'ores et déjà été applaudie par les défenseurs de la Proposition 37, une initiative citoyenne qui, si elle est ratifiée en novembre, donnera lieu à l'étiquetage obligatoire des ingrédients OGM en Californie.

Ce qui est plus déconcertant, par contre, c'est de voir comment de grands médias et des commentateurs influents en arrivent à légitimer cette pseudo-science et à perpétrer certaines des légendes urbaines les plus outrancières, celles-là mêmes à qui un documentaire tendancieux de 2011 vient d'offrir une petite cure de jouvence et que des endroits comme le Huffington Post prennent au pied de la lettre.

Dans une récente chronique publiée dans Nature, Dan Kahan, de Yale, se lamentait au sujet de «l'environnement pollué de la communication scientifique», qui avait profondément polarisé le débat climatique. Il écrivait:

«Les gens acquièrent leurs connaissances scientifiques en consultant des personnes qui partagent leurs valeurs, en qui ils ont donc confiance et qu'ils comprennent».

Ce qui veut dire que les médias de gauche, les universitaires émérites et les défenseurs du bien manger qui se soucient sincèrement de la planète sont en réalité des courtiers en information. Ils ont donc un choix à faire: sur la question des OGM, ils peuvent analyser scrupuleusement les faits et les risques, ou ils peuvent continuer à polluer la communication scientifique et son environnement.

Keith Kloor

Traduit par Peggy Sastre

A lire aussi sur le même thème les derniers billets de Michel Alberganti, sur Globule et téléscope, le blog sciences de Slate.fr

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