Avant le rebond économique et avant même que la crise n'ait livré toutes ses mauvaises surprises, le prix du baril de pétrole repart à la hausse: le palier des 70 dollars est à nouveau franchi. Et les répercussions sur les prix à la pompe ne se font pas attendre: dans de nombreuses stations services, le gazole a cassé le seuil symbolique de 1 euro le litre, et le super sans plomb (SSP) 95 tourne maintenant autour de 1,25 euro. Voilà qui va peser sur le pouvoir d'achat et sur les perspectives tant attendues de redémarrage de la croissance.
Le prix du baril joue au yoyo
Après avoir culminé à 144 dollars le 3 juillet 2008 (soit un quadruplement des cours en quatre ans), le prix du baril de pétrole avait dégringolé sous l'effet de la crise économique et de la baisse de la demande: en six mois, il perdait 70% par rapport au pic de juillet pour finir l'année sous les 40 dollars.
Aussi, pour enrayer l'effondrement de leurs recettes et gérer la rente pétrolière dans le temps, les pays de l'Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) qui contrôlent environ 40% de la production mondiale d'or noir décidèrent des réductions de production record. Souvent indisciplinés pour appliquer les réductions de quotas, ses membres n'ont cette fois pas rechigné à suivre des décisions destinées, selon les objectifs affichés, à faire revenir le prix du baril entre 70 et 80 dollars avant la fin de l'année 2009. La production moyenne de 86,5 millions de barils/jour en 2008 selon les statistiques de l'Union française des industries pétrolières (UFIP), a été amputée de 3,5 millions de barils/jour.
Pour les pays producteurs, le résultat attendu a été plus rapide que prévu: en six mois, le prix de l'or noir a enregistré un rebond de 75% ! De toute façon, personne ne pensait que le baril aurait pu rester durablement en dessous de 50 dollars.
Trois fois plus de gazole que de super
Les utilisateurs de voitures diesel vont être les premiers à le remarquer, et ils sont nombreux. En France, ils ont consommé 32,5 millions de tonnes de gazole, contre 9,1 millions de tonnes pour les super 95 et 98. Au départ, l'avantage économique du gazole, plus cher hors taxes que le super carburant, tient au différentiel de fiscalité qui touche les deux produits: 62% de taxes (taxe intérieure sur les produits pétroliers + TVA) pour le gazole, 70% pour le super carburant. Un différentiel qui s'explique par le caractère initialement professionnel du diesel. Depuis, cette technologie s'est banalisée. Avec le temps et pour que les recettes de TIPP ne s'assèchent pas, ce différentiel fiscal a été réduit, et les prix à la pompe ont donc tendance à se rapprocher.
Carburants et énergie renouvelable
Si l'augmentation du prix à la pompe est une mauvaise nouvelle pour l'automobiliste, elle l'est moins pour l'environnement. Car à cause de leur dépendance aux hydrocarbures, les transports sont sur la sellette. Alors que les émissions de CO2 ont diminué en volume de 20% dans l'industrie et de 11% dans l'agriculture depuis 1990, elles ont augmenté de près de 22% dans les transports, à contre-courant de la tendance générale. Aujourd'hui, selon les estimations du Centre interprofessionnel technique d'études sur la pollution atmosphérique (Citepa), les transports sont responsables de 35% des émissions de CO2. La route, même indispensable, est la plus concernée par les efforts de réduction d'émissions polluantes à accomplir.
Au niveau européen, l'adoption du paquet énergie-climat, le 17 décembre 2008, aura été un succès de la présidence française de l'Union européenne. Le texte européen prévoit que pour 2020, les énergies renouvelables - biocarburants, électricité et hydrogène produits à partir des sources renouvelables - interviendront pour au moins 10% dans la consommation totale de carburant de l'UE dans tous les moyens de transport. Chaque État membre devra augmenter de 10% sa proportion d'énergie renouvelable dans les transports (selon Eurostat, les biocarburants ne représentaient qu'environ 1% de tous les carburants consommés par le secteur des transports en 2005).
En France dans la loi de programmation sur les orientations de la politique énergétique (loi POPE) votée en juillet 2005, l'objectif d'incorporation de biocarburants avait été aligné sur celui de Bruxelles qui portait sur 5,75% de biocarburant incorporé en 2010.. Mais pour rattraper le retard français, Paris a ensuite avancé cet objectif en proposant d'atteindre 5,75 % dès 2008 et en portant à 7% le pourcentage de 2010.
10% d'éthanol dans le super depuis avril
Pour atteindre cet objectif, depuis le 1e avril 2009, le SP95-E10 a fait son apparition dans les stations service. C'est le futur carburant standard européen. Par rapport au super 95, il s'agit d'un carburant dont le contenu en éthanol (obtenu par la fermentation du sucre extrait de plantes comme le betterave et la canne à sucre, ou de l'amidon provenant du blé ou du maïs) peut atteindre 10% en volume, au lieu de 5% seulement pour le SP95. Ce nouveau produit doit permettre à l'Etat d'atteindre ses objectifs en matière d'introduction de biocarburants, mais elle n'est pas tout à fait neutre pour l'automobiliste : «l'éthanol est un produit moins énergétique que l'essence fossile. Le passage de 5% à 10% d'éthanol dans les essences induit une légère surconsommation dans des conditions de conduite comparables», explique l'UFIP. Et pour les véhicules qui datent d'avant 2000, mieux vaut vérifier leur compatibilité à ce nouveau produit ().
Le gazole n'est pas oublié puisque des huiles issues de graines oléagineuses, de colza et de tournesol principalement, peuvent lui être associées. Elles sont à la base d'un produit qui peut être incorporé jusqu'à une proportion de 5% en volume conformément à la norme européenne de qualité du gazole et jusqu'à 7% pour la norme française Dans certaines flottes captives, cette incorporation peut être portée à 30%.
Une perspective de hausse inéluctable
Mais ces biocarburants de première génération posent problème, car ils sont en concurrence avec des cultures alimentaires alors que le rendement obtenus à partir de maïs ou de blé sont très moyens (2,6 tonnes de biocarburant par hectare cultivé, contre 6 tonnes pour la betterave). Le débat devrait être réglé avec les biocarburants de deuxième génération obtenus à partir du bois, de la paille et de déchets végétaux, et qui ne concurrenceront plus les cultures alimentaires.
Toutefois, une nouvelle législation devra établir des critères visant à garantir que la production de biocarburants est écologiquement durable. Mais de toute évidence, si les biocarburants doivent permettre de réduire les émissions de CO2 (ce qui reste à vérifier en fonction des conditions de production), ils ne seront jamais une alternative au pétrole susceptible de faire baisser sensiblement le prix du baril.
Le mouvement de hausse du prix du baril a repris, sans qu'on puisse anticiper un niveau de stabilisation.. «Le pétrole est un produit fossile destiné à devenir plus rare et contingenté», insiste Jean-Marc Jancovici, consultant en stratégie et conseiller de Nicolas Hulot. Les seuils de 100 dollars le baril, voire 150 dollars, pourraient à nouveau être testés une fois la crise passée, d'autant que la demande mondiale de pétrole devrait repartir à la hausse : alors que la consommation s'est située l'an dernier autour de 85,8 millions de tonnes de barils par jour, elle devrait atteindre 114 millions de barils en 2030, selon les prévisions de la Banque mondiale.
Gilles Bridier
Photo: Pompes dans une station-service Reuters