En atteignant près de 60%, l'abstention est le grand vainqueur du scrutin. En 2004, elle avait déjà battu un record historique avec 57,24%. L'Europe reste pour une majorité de Français une entité lointaine dont ils se méfient. La campagne, très courte, n'a pas aidé à mobiliser. L'Europe n'est notamment pas apparue comme étant capable d'apporter des réponses à la crise économique.
Victoire des partis pro-européens
Deuxième enseignement de ce scrutin, la défaite des «nonistes». Les listes pro-européennes totalisent près de 70% des suffrages. Le débat qui avait divisé la France lors du référendum sur la constitution européenne en 2005 semble aujourd'hui dépassé. A gauche, les «nonistes» divisés entre le Front de Gauche et le NPA obtiennent à eux deux plus de 10% des voix. Olivier Besancenot paie son refus de toute alliance en se retrouvant derrière le Front de Gauche. A droite, les souverainistes sont aussi en berne. Le Front national poursuit son déclin avec trois points de moins qu'en 2004 tandis que les listes Libertas de Philippe de Villiers stagnent à 5%.
Parmi les pro-européens, deux grands gagnants: l'UMP arrivée en tête avec 28% des voix et les listes Europe Ecologie de Daniel Cohn-Bendit avec 16,2%. Les deux grands perdants du scrutin sont le Parti socialiste (16,8%) et le Modem de François Bayrou (8,5%) qui s'effondrent.
L'UMP en tête, la majorité présidentielle en minorité
L'UMP peut être satisfaite: elle se place en tête à plus de dix points devant le PS, son principal rival. Une nette progression par rapport à son résultat de 2004 où la formation de droite n'avait obtenu que 16,64% des voix. Sans parler de 1999 lorsque la liste Sarkozy-Madelin était arrivée en 3e position avec 12% derrière celle conduite par Charles Pasqua et Philippe de Villiers (13%). Le Premier ministre François Fillon s'est félicité dès 20h20 du «très bon résultat de la majorité présidentielle». Ce succès de l'UMP est notamment l'aboutissement d'une clarification: c'est bien à la victoire des européens contre les souverainistes qu'on assiste, à droite. L'UMP a réussi sa mutation européenne et les profondes divisions qui ont agité feu le RPR semblent surmontées. Le parti du Président bénéficie également de l'effet «présidence Française» qui est considérée, notamment pour l'électorat de droite comme un succès de Nicolas Sarkozy. Par ailleurs, il recueille les fruits de l'unité qu'il a su mettre en place avec les centristes arrachés au Modem.
Mais ce succès apparent de l'UMP ne doit pas masquer une autre réalité politique. Le parti majoritaire doit sa première place aux divisions de la gauche. Alliée avec le Nouveau Centre d'Hervé Morin, les listes UMP étaient les seules à soutenir la politique de Nicolas Sarkozy. De ce point de vue, le chef de l'Etat s'avère fragilisé. Sa base électorale s'est fortement érodée depuis son élection à l'Elysée il y a deux ans. Le total gauche (hors extrême) devance le total droite ce qui n'est pas de bon augure pour la fin du quinquennat.
Une claque pour le PS
C'est un véritable fiasco que connaît le parti socialiste, en baisse de plus de dix points par rapport à 2004. «Le PS est affaibli, nous sommes déçus», a reconnu Vincent Peillon, tête de liste dans le Sud-Est. Le PS est loin d'être sorti de la crise amorcée par la défaite de Ségolène Royal à la présidentielle de 2007. Il paie ses querelles de leadership et son incapacité à porter un projet clair face à Nicolas Sarkozy. Ses changements de ligne pendant la campagne (anti-Barroso puis anti-Sarkozy) n'ont pas convaincu. Enfin, les socialistes ont été fortement concurrencés par d'autres forces de gauche notamment les listes d'Europe Ecologie conduites par Daniel Cohn-Bendit. Seule bonne nouvelle de la soirée pour le PS, l'appel de Cohn-Bendit à «inventer un projet politique» commun à la gauche anti-sarkozyste. Le PS, privé d'alliés solides depuis l'affaiblissement des communistes et la mort de la gauche plurielle, peut espérer reconstruire une alliance contre la droite.
L'échec socialiste est, bien entendu, celui de sa secrétaire nationale Martine Aubry qui sort extrêmement fragilisée de ce scrutin. «Nous ne sommes pas crédibles, je prends toute ma part de responsabilité», a-t-elle déclaré, visiblement très troublée. Elle verra son leadership contesté. Déjà, les premiers règlements de comptes ont commencé. «Il faut du changement, a expliqué Pierre Moscovici sur le plateau de France 2, il est temps que le PS se remette au boulot». Et d'ajouter: «Il faudra des changements d'organisation».
Dany Cohn-Bendit, grand vainqueur de la gauche
Cohn-Bendit voulait passer la barre des 10%, son souhait a été plus qu'exhaussé exaucé. Avec près de 16% des voix, il est au coude à coude avec le PS. L'ex-leader de mai 68 a fait plus que doubler le score des Verts (7,41%) de 2004. En Ile-de-France, il devance même très largement les listes socialistes. Sans parler du Modem qu'il laisse loin derrière.
Les listes Europe Ecologie ont bénéficié de la défiance des électeurs de gauche vis-à-vis du PS. Elles sont également récompensées pour avoir su rassembler des personnalités diverses comme Eva Joly ou José Bové, point de départ d'une véritable dynamique. Enfin, les électeurs semblent leur avoir été reconnaissants d'être entrés très tôt en campagne et d'être restés concentrés sur les questions européennes et d'environnement.
La déroute Bayrou
François Bayrou est lourdement sanctionné. Avec un peu plus de 8% des voix, il est en forte régression par rapport à son score de la présidentielle. Cet européen convaincu n'a pas su tenir sa place et s'est fait ravir la troisième position par Daniel Cohn-Bendit. Pire, il chute sous la barre des 10%, un résultat qui sonne comme une sanction. Il a lui-même parlé de «déception» et de «revers». Un résultat de mauvais augure pour celui qui veut se représenter à la présidentielle de 2012. François Bayrou s'est visiblement trompé de scrutin en axant sa campagne sur un seul combat anti-Sarkozy alors qu'il était attendu sur le terrain de l'Europe. Il a affiché trop ostensiblement ses ambitions présidentielles et est apparu en décalage avec les enjeux de l'élection. Enfin, il paie lourdement son faux-pas de la dernière semaine de campagne lorsqu'il s'en est violement pris à Daniel Cohn-Bendit sur le plateau de France 2. C'était «une polémique excessive», a-t-il admis.
Ariane Istrati
Image de une: Cohn-Bendit fête son score aux Européennes, dimanche. Philippe Wojazer / Reuters