Le Fonds qatari pour les banlieues, et désormais également pour les zones rurales, est revenu par la cheminée après en avoir été chassé par la porte de service. Subrepticement. «Non», avait dit François Hollande, sitôt élu président de la République, comme il avait dit «non» à la règle d’or budgétaire durant la campagne électorale, avant de décider de la soumettre à la ratification du Parlement une fois installé à l’Elysée.
Dans un cas comme dans l’autre, la realpolitik semble avoir parlé. La France a besoin de liquidités. Et Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, de résultats encourageants, pris qu’il est dans la spirale des plans sociaux.
Le gouvernement n’avait pas exclu l’idée d’un fonds qatari mais il l’avait réorienté vers l’aide aux PME existantes, sans ciblage territorial, et placé sous le patronage conjoint de l’Etat et du Qatar. Il est donc revenu sur ses préventions en donnant son accord à un fonds aux missions élargies, l’assortissant d’une participation mixte de l’Etat et d’entreprises françaises. En tout, 100 millions d’euros, 50 de la main qatarie, 50 autres de la main française.
Idée gelée pendant la campagne électorale
Le revirement s’est produit dans la journée du 20 septembre. Le matin, l’Association nationale des élus de la diversité (Aneld), présidée par Kamel Hamza, conseiller municipal (UMP) de La Courneuve, tient une conférence de presse dans un café courneuvien pour demander que le fonds soit alloué non pas aux PME mais à des projets entrepreneuriaux situés en banlieue, où le taux de chômage est deux fois supérieur à la moyenne nationale.
L’Aneld l’a saumâtre: elle n’accepte pas qu’on «détourne» son idée de ses fins premières. Ce fonds, c’est son bébé. En novembre 2011, une délégation emmenée par Kamel Hamza s’est effet rendue à Doha, la capitale du Qatar, pour proposer à son souverain, l’émir Hamad ben Khalifa al-Thani –dont l'émirat a multiplié les prises de participation dans de grands groupes français (EADS, Lagardère, Total, le PSG...)–, la création d’une dotation appelée à soutenir l’initiative privée en banlieue.
En février 2012, l’ambassadeur du Qatar à Paris transmet à l’Aneld la réponse de l’émir: d’accord pour un fonds de 50 millions d’euros. Nicolas Sarkozy, alors candidat à sa réélection, gèle et le fonds et l’idée pour ne pas s’attirer les foudres de Marine Le Pen, et peut-être celles aussi d’une partie de la gauche.
«Cheval de Troie de l'islamisme»
Le 20 septembre à 20 heures, Arnaud Montebourg, informé de la tenue de la conférence de presse du matin, reçoit Kamel Hamza et d’autres membres de l’Aneld à son ministère, rue de Bercy à Paris. «Il nous dit qu’il est d’accord avec le fonds que nous proposons mais qu’il n’a pas pu lui consacrer de temps jusque-là en raison d’autres dossiers qui l’accaparaient», rapporte Kamel Hamza. Le ministre les informe que le fonds sera abondé par l’Etat et le privé français et qu’il profitera également aux zones rurales. TPE, PME et autres start-up pourront se porter candidates.
Pour l’Aneld, l’essentiel est sauf: le dispositif à l’intention des banlieues est maintenu. L’ajout des «zones rurales» est dans la logique poursuivie par François Hollande du temps où il faisait campagne: il ne veut pas donner l’impression de favoriser les Français des banlieues au détriment des Français résidant dans les zones rurales défavorisées, l’électorat, pour partie, du Front national.
Un geste qui n’a pas convaincu Marine Le Pen. La présidente du Front a dit tout le mal qu’elle pensait de la démarche qatarie, la qualifiant de «cheval de Troie de l’islamisme» dans un communiqué le 24 septembre. Sa réaction n’est pas une surprise, mais le malaise ne se cantonne pas au seul FN, preuves en sont les hésitations de Nicolas Sarkozy au premier semestre et le refus initial de François Hollande.
«Pas de la charité, du business»
L’avenir dira si le «deal», d’un pur point de vue commercial, est bon. Des sociétés françaises cherchant à faire affaire avec le Qatar, ou déjà sous contrat avec l’émirat, auront peut-être un intérêt à approvisionner le fonds.
Quelque 200 projets provenant des banlieues ont déjà été sélectionnés par l’Aneld en vue d’un examen plus approfondi. Tout était suspendu à la décision de créer ou non un fonds dans les formes où il avait été imaginé à l’origine. «J’avais des personnes qui m’appelaient pour me dire qu’elles avaient déjà investi 1.000 euros dans un business-plan», explique Kamel Hamza.
Les projets, pour l’instant, vont de la maintenance en ascenseurs à la garde d’enfants, en passant par l’ouverture de salles de sport, le rachat d’industrie, l’ouverture d’une boulangerie, la commercialisation de produits achetés aux Etats-Unis, la conception de technologies de construction, etc. «Tout ça, ce n’est pas de la charité, c’est du business», prévient le président de l’Aneld, qui a obtenu que son association fasse partie du comité de sélection des dossiers. Le fonds pourrait être opérationnel avant la fin de l’année.
Mais il faudra sans doute compter avec les lenteurs de l’administration et l’appétit des ministères qui voudront se greffer à cette opération peu commune. Qui dirigera la manœuvre? François Lamy (Ville)? Cécile Duflot (Egalité des territoires)? Fleur Pellerin (PME)? Arnaud Montebourg? Les quatre, ensemble? On attend les arbitrages.
Antoine Menusier