«Nous allons pouvoir réinventer le modèle économique du TGV»: vaste chantier ouvert par Guillaume Pépy, président de la SNCF, pour intégrer les nouveaux paramètres qui déterminent les conditions d’exploitation du train à grande vitesse. Avec, comme nouvelles composantes principales, l’arrivée programmée de la concurrence depuis 2010 et l’augmentation du prix des péages.
La crise qui empêche d’absorber les surcoûts par une basique augmentation des prix des billets, est un autre facteur déterminant. Au premier semestre 2012, le trafic TGV a diminué en France de 1,1% par rapport à l’année précédente, malgré l’ouverture de la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône. La clientèle «affaires», notamment, s’est contractée. Et si, globalement, l’activité est restée stable, c’est grâce au trafic international tiré par l’ouverture de nouvelles liaisons sur la Suisse, l’Allemagne et l’Italie.
Alors, il faut innover, avec un objectif constant: que «le TGV reste accessible à tous». C’est du moins un credo réaffirmé à la SNCF, même si les clients ont plutôt l’impression que le prix des billets ne cesse d’augmenter, rendant le train de moins en moins accessible. Barbara Dalibard, directrice SNCF Voyages, corrige car, selon elle, l’entreprise doit absorber des coûts de plus en plus lourds : «De 2008 à 2013, l’augmentation des péages aura été de 5 points supérieure à l’inflation. Le péage représente maintenant un gros tiers du coût du TGV. A tel point que le prix d’un billet Prem’s ne couvre guère plus que le prix du péage rapporté à un voyageur.»
Une grande vitesse plus accessible que dans les autres pays d’Europe
Il faut donc réinventer un modèle qui permette de faire face à ces surcoûts sans faire flamber le prix des billets, en rendant le TGV toujours plus attractif pour améliorer le taux de remplissage des trains (de 70% actuellement, selon la direction). Beau programme… Mais pas sûr que le client lambda confronté à des amplitudes tarifaires énormes selon les horaires sur une même liaison, avec des prix de billets allant du simple au double de façon totalement opaque, adhère totalement.
Bien qu’incompréhensible, ce mécanisme de fixation des tarifs est précisément l’arme commerciale de la SNCF pour lisser la fréquentation et éviter la concentration des déplacements aux heures et jours de pointe. «Avec cette politique commerciale, nous pouvons pratiquer des tarifs 15 à 30% plus bas que ceux de la concurrence européenne», affirme Barbara Dalibard. Et tant pis pour le voyageur qui ne profite d’aucune réduction: «Huit clients sur dix achètent leur billet avec une réduction, et un sur dix voyage en Prem’s».
Une offre «low cost» comme produit d’appel
Rien, dans tout ceci, n’est toutefois totalement nouveau. En réalité, plus qu’elle n’invente un nouveau modèle économique, la direction de la SNCF adapte le modèle existant. Pour parfaire sa communication, elle a recours aux effets d’annonce, comme le lancement début 2013 de TGV low cost avec des tarifs 25% moins chers, au départ de la région parisienne sur Lyon, Marseille et Montpellier, reliant des gares excentrées (comme Marne-la-Vallée en Ile-de-France) selon le modèle inventé par des compagnies aériennes à bas coûts.
Réplique commerciale à de futurs compétiteurs qui voudraient casser les prix en se positionnant sur les créneaux les plus profitables, ces offres de TGV low cost s’inscrivent dans l’ouverture à la concurrence du trafic ferroviaire. Mais elles ne sauraient à elles-seules définir un nouveau modèle économique.
La libéralisation a généré la création d’une subvention
En réalité, même si elle est encore très embryonnaire, l’introduction du principe de concurrence a bouleversé l’exploitation des services grandes lignes voyageurs. Auparavant, la SNCF pouvait compenser ses pertes sur les lignes déficitaires (non TGV) par ses gains sur les lignes les plus fréquentées (en général à grande vitesse). Elle opérait en quelque sorte une péréquation interne, les voyageurs des liaisons bénéficiaires payant pour les autres.
Mais les lignes les plus fréquentées sont aussi celles qui intéressent le plus les concurrents qui, n’ayant pas à prendre en charge des lignes déficitaires au titre de l’aménagement du territoire, peuvent pratiquer des tarifs plus agressifs. La SNCF réplique, mais elle se prive ainsi des marges qu’elle utilisait pour opérer cette fameuse péréquation interne.
Aussi, pour qu’elle ne déserte pas ces lignes déficitaires et continue d’y assurer une mission de service public, une convention a été signée en décembre 2010 entre l’Etat et l’entreprise définissant les conditions d’exploitation des trains d’équilibre du territoire (TET). En clair, le texte met en place une «contribution de solidarité nationale» —donc, une subvention— pour faire rouler des trains Teoz et Intercités sur une quarantaine de lignes menacées. Une victoire pour Guillaume Pépy qui la réclamait pour assurer la continuité du service public.
Ainsi pour boucler l’exploitation de ces lignes dont le total a été évalué à un milliard d’euros, la SNCF aura touché 280 millions d’euros en 2012, soit 187,7 millions d’euros au titre de l’exploitation des services de transport conventionnés et 92,3 millions d’euros pour les matériels roulant affectés à ces services. Un système complexe qui, entre autres, met à contribution … les péages routiers. Et qui doit toutefois être relativisé, comparé aux 7,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires réalisés par SNCF Voyage en 2011.
Des TGV à rentabilité variable
Il n’est plus question de compter sur de nouvelles lignes TGV pour créer une dynamique qui gomme les déficits là où ils existent. Car la grande vitesse ne fait pas de miracle: les liaisons les plus rentables reliant les gros bassins de population sont aujourd’hui construites. Celles à venir n’auront pas la même rentabilité qu’un Paris-Lyon ou un Paris-Marseille.
Malgré tout, en 2010, le gouvernement Fillon avait satisfait aux désirs des élus locaux concernés en annonçant la construction d’une quinzaine de lignes à grande vitesse. Pas moins! Et, à la clé, un investissement sur le papier de 245 milliards d’euros.
Le gouvernement Ayrault a mis un terme à cette frénésie, pour se donner le temps de hiérarchiser tous ces projets. «Les arbitrages se feront avec les collectivités locales», explique Barbara Dalibard.
Le gouvernement a déjà confirmé deux nouveaux tronçons sur l’Atlantique, une autre entre Nîmes et Montpellier. Une desserte à grande vitesse de Clermont-Ferrand aurait aussi du sens dans la mesure où elle permettrait, avec son prolongement, de décharger l’axe surchargé Paris-Lyon en direction de la Méditerranée. Mais elle risque de rester virtuelle encore longtemps.
Des montages financiers de plus en plus complexes
Car qui paie? Les partenariats public-privés sont difficiles à construire à cause du montant des péages qui obère la rentabilité des montages financiers. En outre, la distribution des rôles à l’intérieur du système ferroviaire français, avec Réseau ferré de France (RFF) pour gérer le réseau et la SNCF pour l’exploiter, pourrait bien évoluer.
Une société holding chapeautant les deux entités devrait être créée, selon un schéma qui pourrait être présenté début octobre en conseil des ministres. La dette du ferroviaire d’environ 40 milliards d’euros au total (près de 32 milliards pour RFF et plus de 8 milliards pour la SNCF) y resterait logée, l’Etat n’ayant pas intérêt actuellement à chambouler des équilibres très précaires. Mais qui assumera la charge des investissements à consentir pour les futures lignes TGV?
Tant que ces interrogations ne sont pas levées, les projets de lignes à grande vitesse qui ne sont actuellement pas financés ne risquent pas de voir le jour. Incertitudes auxquelles s’ajoutent les péages qui seront appliquées sur les nouvelles lignes. Bien des interrogations subsistent pour affiner le modèle économique du TGV.
Gilles Bridier