A tout seigneur tout honneur: en l'absence d'un commentaire présidentiel, c'est au Premier ministre qu'il revenait de tirer les enseignements du vote des Français pour l'élection de leurs 72 députés au Parlement européen. François Fillon s'est parfaitement acquitté de cet exercice en soulignant que le succès de l'UMP vaut satisfecit à l'égard de l'exercice par Nicolas Sarkozy de la présidence de l'Union; il a ensuite ramené l'attention sur la gestion de la crise, en prônant «le rassemblement et l'union nationale». On peut ajouter que les résultats en France participent d'un mouvement qui, en Europe, devrait conforter la majorité déjà détenue par les droites au Parlement européen.
C'est sans doute, à l'échelle de l'Union, la principale leçon du scrutin: là où la droite gouverne, elle s'est trouvée plutôt confortée (à l'exception de la Grèce); là où la gauche gouverne (le PSOE en Espagne, les Travaillistes en Grande-Bretagne, et le SPD pour sa part en Allemagne), elle subit la sanction des électeurs. Malgré donc la crise, et malgré la remise à l'honneur des recettes de la social-démocratie, celle-ci s'est donc révélée incapable d'en tirer un profit électoral.
En France, une fois noté le taux record d'abstentions, qui signifie qu'il n'y a pas encore de connexions suffisantes entre la démocratie française et la démocratie à l'échelle de l'Union, une fois également constaté que les partis qui ont fait campagne pour l'Europe ont rassemblé deux votants sur trois, le scrutin se résume au succès de l'UMP et d'Europe-Ecologie et à l'échec du PS et du Modem.
Mais avant d'aller plus loin, une précaution doit être prise: nous étions en présence d'un scrutin à un tour et d'un vote à la proportionnelle qui signifient multiplication des petites listes. Ces deux facteurs sont objectivement défavorables à la gauche. En effet, toutes les autres élections, et notamment les élections régionales à venir, sont en France des scrutins à deux tours. Qui obligent donc aux rassemblements, aux alliances en vue du deuxième tour, tour décisif. On peut donc gagner un scrutin à un tour en terminant premier, comme vient de le faire l'UMP, et être en panne d'alliance en vue d'un deuxième tour. De ce point de vue, notons simplement que le total des voix de gauche, au soir du vote du 7 juin, est supérieur au total des voix de droite, le Modem n'étant comptabilisé ni à droite ni à gauche. Ce seul constat devrait conduire à relativiser les communiqués de victoire du parti du Président.
Il n'en reste pas moins que, selon la règle du jeu de ce scrutin européen, c'est bien l'UMP et Nicolas Sarkozy qui ont gagné. En doublant pratiquement le nombre de voix, et probablement aussi le nombre de sièges de l'UMP pour le Parlement européen.
Comme l'a dit François Fillon, ce sont les fruits d'une présidence française perçue par le pays comme positive. Ce sont aussi les fruits d'une tactique politique couronnée de succès et qui était une exacte réplique, en plus rapide, de sa campagne présidentielle. Il s'est agi pour lui, à travers l'utilisation du thème de la sécurité et, dans une moindre mesure, de celui de l'immigration, de se conforter à droite en écartant tout rival à sa droite. Les deux victimes de cette stratégie sont les souverainistes et l'extrême droite. Et le résultat approche le pourcentage obtenu par Nicolas Sarkozy au premier tour de l'élection présidentielle.
Enfin, ce score devrait conduire ceux qui n'ont pour seul bagage que l'anti-sarkozysme à réfléchir sur la pertinence d'une attitude que les Français n'approuvent pas.
Le PS, pour avoir trop cédé au pavlovisme ambiant qui, parfois à l'endroit du chef de l'Etat, frisait l'hystérie, est sévèrement sanctionné. Bien sûr, comme le dit Pierre Moscovici, le PS paie sans doute au prix fort son désastreux congrès de Reims; en même temps il est évident que Martine Aubry n'a pas encore pris la mesure de sa responsabilité. Ou, si elle l'a mesurée, elle n'en a donné aucune traduction. Le PS a pourtant mené campagne, sur la fin, autour des thèmes européens. Mais sans parvenir à faire passer un message fort et après s'être laissé embarquer, comme d'habitude, par une funeste attraction de certains de ses cadres à l'égard d'une extrême gauche elle-même en partie sanctionnée.
Une fois de plus, il faut rappeler aux dirigeants socialistes que le pays attend d'une force de gouvernement qu'elle ne soit pas exclusivement le parti de la protestation. Il lui faut exprimer une pensée sur la crise, sur la société française, sur le reste du monde. Exemple: le moment historique de la semaine écoulée a été le discours du Caire de Barack Obama. Avons-nous eu de la part de Martine Aubry et de ses lieutenants un seul commentaire sur cette révision stratégique américaine qui ait retenu l'attention de l'opinion?
Une partie des voix socialistes — c'est particulièrement évident en Ile-de-France — a donc préféré suivre le conseil de Michel Barnier en votant pour les listes Europe Ecologie conduites par Daniel Cohn-Bendit. Ce n'est certes pas la consigne de vote du chef de file de l'UMP en Ile de France qui peut expliquer le succès d'Europe-Ecologie. C'est une certaine façon une logique de situation: l'Europe est aux avant-postes des politiques menées contre le réchauffement climatique, comme elle est à l'origine de nombreuses décisions inspirées par le souci de la protection de l'environnement.
Daniel Cohn-Bendit et les siens ont parlé pendant cette campagne d'Europe et d'écologie: CQFD. Lui-même est évidemment partisan de la gauche au pouvoir, mais comme il l'a souligné, la prudence s'impose car nul n'est propriétaire de ses voix. Il n'empêche: son succès est, si l'on raisonne en terme d'alliance de gouvernements, une meilleure nouvelle pour le PS que ne l'eut été une victoire du Modem.
Le Modem, parlons-en! Son chef de file, François Bayrou, est la première victime. Dans une campagne particulièrement atone, ce dernier s'est débrouillé pour focaliser l'attention de la pire manière en agressant Daniel Cohn-Bendit à propos d'écrits que le leader écologiste avait lui-même désavoués et qui sont en effet significatifs de la dérive de l'extrême gauche des années 1970. Ce faisant, François Bayrou a probablement tombé le masque et laissé penser à certains des lecteurs de son livre «Abus de pouvoirs» qu'il y avait peut-être dans cet ouvrage des éléments d'autoportrait... François Bayrou, qui avait intelligemment choisi de sortir son livre pamphlet contre Nicolas Sarkozy à la veille du scrutin a peut-être aussi été sanctionné pour n'offrir qu'un anti sarkozysme sommaire à celles et ceux qui attendaient que le leader du Modem parle vraiment d'Europe.
Enfin, comme prévu, la bataille à la gauche de la gauche s'est soldée par la victoire de Jean-Luc Mélenchon qui redonne vie et couleur à un PCF jusqu'alors moribond et qui va maintenant s'efforcer de s'intégrer au jeu de ceux qui, à gauche, voudraient reconstruire une alternative de gouvernement. Laissant les amis d'Olivier Besancenot à leur radicalité et à leur refus de toute perspective politique autre que la grève générale.
Pour être au clair sur ce scrutin, il faudra évidemment attendre quelles seront les leçons tirées par les uns et les autres. Avant tout, par le président de la République. En confortant son socle, aidé par le recul du PS (qui risque de diviser par deux sa représentation au parlement européen), le Président s'est redonné une marge de manœuvre. François Fillon a dit: union nationale. Cela laisse penser que l'ouverture devrait être de nouveau au rendez-vous. Mais laquelle? Quels contours donner à ce mouvement qui sera attendu? Pour quelle dynamique? Autour de quelles personnalités? Car encore une fois si l'UMP a gagné, elle n'est pas, loin s'en faut, majoritaire dans le pays.
N'oublions pas non plus que la crise est toujours là, que les chômeurs seront encore plus nombreux à la rentrée et que, comme l'a dit le Premier ministre, l'attente du pays est forte...
Jean-Marie Colombani
Photo: Nicolas Sarkozy Reuters