La France est-elle un pays du nord de l'Europe ou du sud de l'Europe? La dette française bénéficie, ces derniers mois, de taux d'intérêt très bas parce que les marchés répondent: du nord. Ces taux mirifiques sont-ils usurpés? Les marchés anglo-saxons attendent-ils leur heure (la fin de l'année?), l'index sur leur tablette, prêts à renvoyer la Gaule à sa latinité?
Cette hypothèse glace d'angoisse le gouvernement socialiste. Toute sa politique est obnubilée par cette menace de dégradation. Ce serait pour François Hollande un Waterloo politique et économique puisque des taux relevés à 4% rendraient insoluble l'équation budgétaire et sanglante la rigueur «socialiste».
La France, au nord ou au sud? Pour répondre, il faut remonter à l'origine de la crise européenne. Contrairement à l'idée répandue, les coupables ne sont pas, en premier, les dérapages budgétaires.
Une étude éclairante de l'agence Moody's montre que les pays méditerranéens ont réduit de -8% du PIB à -1% leur déficit avant la création de l'euro (1999), puis ils ont relâché leur effort pour plafonner à un déficit de -2%, alors que les pays du centre (les pseudo-vertueux) ont, eux, glissé de +2% en 1999 à -1% en 2005. Les cigales n'étaient pas celles qu'on croit [1].
Après 2005, c'est vrai, le Nord s'est mieux comporté en moyenne, mais le Sud est resté à -2% (hormis la Grèce, dont on comprendra en 2009 combien les statistiques étaient truquées).
Ce n'est pas le budget qui dérape dans ces pays, mais le déficit commercial qui descend en flèche de 0% avant l'euro à -9% du PIB en 2007. Pourquoi? Parce que leur consommation explose: +30% en Grèce et Espagne, +12% au Portugal, de 2000 à 2007, contre seulement +4% en Allemagne. Les pays du sud s'endettent auprès des pays du nord pour importer et le service de cette dette du Sud vis-à-vis du Nord croît à 5,6% du PIB en 2007. Il fallait que cela s'arrête.
Et la France?
La France est-elle dans ce cas? Elle souffre elle aussi d'un déficit extérieur qui se creuse. Mais celui-ci ne provient pas d'un boom des importations, la cause en est une stagnation des exportations.
La France n'a pas vu sa consommation exploser après l'adoption de l'euro, mais elle a vu ses productions se dégrader progressivement. Normalement, les revenus auraient dû suivre, mais ils ont été maintenus, voire améliorés grâce en grande partie aux prestations sociales.
L'Etat au sens large (Sécurité sociale et collectivités locales comprises) a prélevé plus pour distribuer plus: aujourd'hui 56% du PIB, record mondial. Il maintenait ce faisant la consommation comme un bon moteur de l'économie française, mais cette performance est trompeuse: elle s'est faite en ponctionnant toujours plus les producteurs. Et quand la puissance publique comprenait qu'elle exagérait, que le travail était devenu trop cher, elle allégeait le fardeau de certains (défiscalisation des bas salaires), mais forcément aux dépens des autres.
Depuis quatre ans, le Sud a progressé sur le bon chemin. L'Italie, l'Espagne, le Portugal ont abaissé leurs coûts de production et amélioré leur export. Les déficits commerciaux ont été réduits de moitié en moyenne (à -4% du PIB en 2011). La France n'a encore rien corrigé de son modèle.
L'effondrement de la croissance cet été oblige désormais au choix. Selon Laurence Boone, de Bank of America Merrill Lynch, le ralentissement de la croissance de la zone euro aura été violent en 2012 (-0,7% contre +1,6% espéré il y a un an) et l'ajustement budgétaire a été ralenti par le manque de recettes: le déficit de la zone euro devait être ramené à -2,9% du PIB, il restera de -3,4% [2].
Cette leçon de 2012 vaut pour 2013. En France, le gouvernement, qui refuse toujours de choisir, a fait ses calculs pour une hausse du PIB en 2013 de 0,8%. Si la croissance tourne en récession de -0,3%, comme le prévoit Laurence Boone, le déficit ne remontera pas de -4,2% fin 2012 à -3% fin 2013, mais à -3,5% ou -3,7%.
Le fameux seuil de 3% sera manqué. Le gouvernement devra soit plaider pour des délais (les marchés n'apprécieront pas), soit annoncer 10 ou 15 milliards d'euros de coupes supplémentaires, soit lancer enfin des efforts structurels et une politique d'offre qui dynamisent la croissance.
La faveur des marchés pour la France ne va pas durer encore bien longtemps. Le gouvernement a pris des risques: conserver une hypothèse non crédible de croissance, privilégier les hausses d'impôt aux coupes des dépenses. La dernière erreur, sans doute fatale, serait de minorer l'impératif structurel de compétitivité.
Eric Le Boucher
Article également publié dans Les Echos
[1] «Euro Area Periphery, Special Comment», 21 août 2012. Retourner à l'article
[2] «Global Economic Weekly», 21 septembre 2012. Retourner à l'article