Il était 17h08 à Roland-Garros lorsque Roger Federer s'est agenouillé sur la terre battue du court Philippe-Chatrier où, ce dimanche 7 juin 2009, il a vécu son D-Day de champion. Pour la première fois de sa carrière, la Coupe des Mousquetaires, remise chaque année au vainqueur des Internationaux de France de tennis, lui appartenait enfin. Après trois échecs consécutifs en finale contre Rafael Nadal, il l'a conquise sans coup férir face au Suédois Robin Soderling qui avait justement éliminé le quadruple tenant du titre une semaine plus tôt en huitièmes de finale.
En triomphant à Roland-Garros, Federer est devenu le sixième joueur à pouvoir s'honorer de posséder les quatre titres du Grand Chelem (Open d'Australie, Roland-Garros, Wimbledon, US Open) à son palmarès. Fred Perry, Donald Budge, Rod Laver, Roy Emerson et Andre Agassi, présent pour lui remettre la Coupe des Mousquetaires, avaient été les seuls, jusque-là, à avoir gagné au moins une fois l'un des quatre trophées les plus prestigieux du calendrier international.
Et grâce à ce succès obtenu à quelques semaines de son 28e anniversaire et de la naissance de son premier enfant, Roger Federer totalise désormais 14 titres du Grand Chelem, ce qui le place à égalité avec Pete Sampras qui était, jusqu'à ce 7 juin, le joueur le plus prolifique de l'histoire. Dans un mois, à Wimbledon, Federer aura donc peut-être un nouveau rendez-vous avec son exceptionnelle destinée.
Certains l'affirment déjà: Federer est aujourd'hui, c'est une certitude, le plus grand champion de l'histoire dans la mesure où Sampras n'a, lui, jamais disputé la moindre finale de Roland-Garros. D'autres contestent cette suprématie, préférant accorder leur préférence au légendaire Australien, Rod Laver, qui a amassé 11 titres du Grand Chelem et a qui a surtout réussi le tour de force de remporter, en 1962 et 1969, les quatre tournois du Grand Chelem la même année. Ils estiment aussi que Laver aurait cumulé plus de 11 titres majeurs, s'il n'avait pas été privé de participation à ces tournois du Grand Chelem, de 1963 à 1968 inclus, en raison de son statut de joueur professionnel - jusqu'en 1968, les tournois du Grand Chelem ne furent accessibles qu'aux joueurs dits amateurs.
C'est toute la difficulté — et l'incongruité — de comparer des records et des performances à travers les âges. Au temps de Laver, trois des quatre tournois du Grand Chelem se déroulaient ainsi sur gazon alors que Federer affrontent aujourd'hui le défi de quatre surfaces différentes face à une concurrence plus redoutable que celle qui existait dans les années 60. D'autres spécialistes soulignent que Björn Borg, vainqueur de 11 tournois majeurs, aurait également fait beaucoup mieux s'il avait participé chaque année à l'Open d'Australie, tournoi complètement dévalué dans les années soixante-dix et qui n'attirait plus que quelques rares vedettes de l'époque. Borg ne l'a disputé qu'une fois - en 1974 - alors qu'il a gagné ses 11 titres du Grand Chelem entre 1974 et 1981.
Ces mêmes experts qui rappellent, à juste titre, la formidable aventure que représentaient jadis les Internationaux d'Australie quand il fallait des semaines de bateau pour rallier le bout du monde. L'Américain Bill Tilden, vainqueur de 10 tournois majeurs entre 1920 et 1930, ne fit, par exemple, jamais le voyage. La vérité des chiffres vaut donc ce qu'elle vaut. En conséquence, Roger Federer n'est pas le plus grand champion de l'histoire parce qu'il n'est tout simplement pas possible de le dire.
Reste l'impression laissée par un champion. Et l'émotion qu'il dégage. Cette émotion qui ne sera plus mesurable dans 50 ou 100 ans quand d'autres experts se pencheront sur les exploits du génie d'alors qu'ils tenteront de comparer au Suisse. C'est le privilège des contemporains de Federer que nous sommes. C'est le bonheur qui nous est offert de le voir à l'œuvre sous nos yeux. C'est le plaisir de partager la joie intense qu'il ressent à chaque fois qu'il remporte un grand tournoi. Il est l'un des acteurs de nos vies de passionnés de sport. Il est le plus grand champion de notre histoire à nous. En le voyant pleurer à chaudes larmes, dimanche, sur le central de Roland-Garros, cela ne faisait plus l'ombre d'un doute...
Yannick Cochennec
Image de une: sur le central, dimanche. REUTERS/Bogdan Cristel