C’est une histoire aux confins du scientifique, du politique et du médiatique. Le mercredi 19 septembre, le gouvernement français demandait à la science de dire si les OGM sont bel et bien des poisons pour l’homme. La demande est formulée toutes affaires cessantes. Et elle est rendue publique via un communiqué de presse adressé aux médias peu avant 16 heures. Son intitulé sonne comme un coup de canon et met en valeur son adverbe redondant:
«Maïs OGM NK 603: Marisol TOURAINE, Delphine BATHO et Stéphane LE FOLL saisissent immédiatement l’ANSES»
Le gouvernement expliquait «avoir pris connaissance des informations, rendues publiques aujourd'hui, sur l'étude menée par des chercheurs français, mettant en cause l'innocuité à long terme du maïs transgénique NK 603 sur les rats».
Quand et comment avait-il pu «prendre connaissance» d’informations qui n’étaient pas encore rendues publiques? L’étude «menée par des chercheurs français» n’était pas encore disponible sur le site de la revue américaine Food and Chemical Toxicology qui devait la publier.
On parlait déjà OGM depuis le matin. A 10 heures, l’Agence France Presse diffusait, depuis Caen, la dépêche inaugurale:
«Mortalité "alarmante" chez des rats nourris avec un maïs OGM (étude)»
La partie de ping-pong avait commencé à l’aube du 19 septembre avec la parution du Nouvel Observateur. Sur un fond jaune maïs la une du célèbre hebdomadaire était scoopique, exclamative et affirmative («Les révélations d’une étude de scientifiques français. Oui, les OGM sont des poisons!). Suivaient sept pages à l’unisson.
Peu avant l’Angélus, José Bové, eurodéputé vert, faisait savoir qu’il avait demandé à la Commission européenne de «suspendre immédiatement les autorisations de mise en culture» accordées au maïs génétiquement modifié Monsanto 810 ainsi qu’à la pomme de terre Amflora. Et ce à la lumière de l’étude caennaise.
Quelques minutes plus tard, la parole était donnée à l’Association française des biotechnologies végétales. Cette structure réunit des scientifiques et experts généralement favorables aux OGM faisait savoir que contrairement à ce qui était affirmé, cette étude «n'est pas la première à avoir évalué les effets à long terme des OGM sur la santé».
En sortant du Conseil des ministres, Stéphane Le Foll réagissait à son tour publiquement à la publication de l’étude
«Il est indispensable de préciser dans le droit européen les conditions dans lesquelles on peut déclencher un moratoire sur les cultures d'OGM. Il faut revoir les protocoles d'homologations et permettre aux Etats de faire des choix, pour ou contre les OGM.»
Le ministre de l'Agriculture explique encore que l'étude du Pr Gilles-Eric Séralini «conforte la position qui était la nôtre» rappelant qu’il avait «toujours été résolument opposé aux OGM résistants à des herbicides ou porteurs de pesticides» en raison du risque de dissémination des gènes modifiés dans l’environnement végétal.
Une réaction qui peut surprendre
Deux heures plus tard, les trois ministres annoncent la décision du gouvernement. En substance, et au vu des conclusions de l’étude: saisine immédiate –pour avis– de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses); transmission –en urgence– au Haut Conseil français des Biotechnologies et à l'Autorité européenne de sécurité des aliments. En fonction de l'avis de l'Anses, le gouvernement français demandera aux autorités européennes de prendre toutes les mesures nécessaires en termes de protection de la santé humaine et animale et ce «jusqu’à suspendre en urgence l’autorisation d’importation dans l’Union européenne du mais NK 603».
Et les trois ministres d’ajouter que cette étude «semble confirmer l'insuffisance des études toxicologiques exigées par la règlementation communautaire en matière d'autorisation de mise sur le marché de produits transgéniques».
Cette réaction pouvait surprendre. Jamais, de mémoire journalistique on n’avait vu le gouvernement français réagir ainsi à une publication scientifique encore sous presse. Comment une telle décision pouvait-elle être prise dans une telle urgence? S’agissait-il d’un affolement? Fallait-il au contraire imaginer que des contacts avaient été pris en coulisses entre les auteurs de la publication (ou l’hebdomadaire qui disposait ici d’une exclusivité) et les autorités gouvernementales?
Une série de questions s’imposaient: quand (et à quel niveau) les trois ministères avaient-ils été informés des conclusions de l’étude à paraître dans Food and Chemical Toxicology? Par qui l’information avait-elle été donnée et par qui avait-elle été pré-expertisée? Qui avait conclu que cette publication «semblait confirmer l'insuffisance des études toxicologiques exigées par la règlementation communautaire en matière d'autorisation de mise sur le marché de produits transgéniques»?
Incidemment la question se posait de savoir si les auteurs avaient informé les autorités sanitaires quand ils avaient constaté les symptômes très précoces et a priori très inquiétants –«une hécatombe», selon le Pr Seralini dans le Nouvel Observateur– sur les rats de laboratoire.
Ces questions étaient sans véritable objet. Aucun contact n’avait été établi avec le gouvernement avant la publication résumée et extrapolée des conclusions de cette étude dans le magazine. Quant à l’empressement du gouvernement à réagir à ce travail, peut-être fallait y voir la preuve d’une nouvelle réactivité aux questions sanitaires et environnementales; et aussi le souhait gouvernemental de disposer dorénavant de nouvelles modalités, plus longues, d’expertise sur l’animal.
Auprès de Stéphane Le Foll, on conserve la trace des échanges effectués par texto de la matinée du 19 septembre. On peut ainsi y confirmer que le ministre de l’Agriculture n’a pris connaissance de l’existence de l’étude française qu’à la lecture de l’hebdo français; ce qu’il confirme implicitement dans sa déclaration télévisée à sa sortie du Conseil des ministres. Et c’est lors de ce même Conseil qu’il a mûri ce qui allait être annoncé dans l’après-midi.
Le Foll est d’autant plus sensible à ce sujet que ce petit-fils d’agriculteur s’intéresse de longue date aux différentes questions sanitaires soulevées par les OGM, un sujet sur lequel il a notamment travaillé avec Corine Lepage (fondatrice et présidente d'honneur du Criigen, qui a commandité l'étude en question) lorsqu’il siégeait au Parlement européen. Au sortir du Conseil, le principe de la saisine en urgence de l’Anses était pris.
Il est ainsi apparu très vite aux yeux du gouvernement qu’il était préférable de prendre le risque d’être accusé de sur-réagir de préférence à celui d’être mis un jour au pilori pour ne rien avoir fait; ou d’avoir agi un peu plus tard et sans le faire savoir.
C’est ainsi que l’ombre célèbre du nuage de Tchernobyl (celui qui en 1986 n’aurait pas franchi les frontières françaises) réapparut un instant sur Paris. Avec cette obsession gouvernementale de ne pas commettre la moindre erreur de communication.
En ont-ils trop fait trop tôt?
En deux heures, plusieurs versions d’un communiqué de presse circulèrent entre les trois ministères sous l’œil des services du Premier ministre. Le principe de précaution ne faisant pas toujours oublier le principe de réalité, il fallut calmer les ardeurs de ceux et celles qui entendaient profiter de cette opportunité pour prononcer l’interdiction de toutes les importations d’OGM; une mesure qui aurait rapidement conduit le cheptel bovin français à la disette.
Accusés d’en avoir «trop fait et trop tôt», les trois ministres répondront que le gouvernement n’a fait ici, sur le fond, que suivre la logique qui prévaut depuis l’affaire de la vache folle et qui dissocie l’évaluation scientifique du risque sanitaire de la gestion politique de ce même risque.
A ce bémol près que la forme médiatique et amplificatrice choisie par le pouvoir politique ne manquera pas de peser sur l’évaluation qu’elle réclame en urgence tout en anticipant ses conclusions.
«Un désastre pour le débat public, sa qualité, sa capacité à générer de la décision politique et démocratique. C’est, pour l’instant, le résultat majeur de l’opération de communication organisée par l’équipe du biologiste Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen», accuse le journaliste Sylvestre Huet dans Libération rejoignant les analyses de Michel Alberganti publiées sur Slate.fr.
Pour autant des réactions apparaissent. Des journaux et des journalistes étrangers (du New Scientist à Carl Zimmer du New York Times sur son blog) critiquent cette démarche. D’autres suivront qui aideront à faire la lumière sur cette affaire par voie de presse. Ce ne serait pas le pire des paradoxes de cette affaire inédite.
Jean-Yves Nau
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