Fermer la vingtaine de réacteurs nucléaire d'ici 2022; produire 60% de l'énergie (et 80% de l'électricité) grâce aux renouvelables d'ici 2050 et diminuer à cette échéance de 80% à 95% par rapport à 1990 les émissions de gaz à effet de serre. Tels sont les principaux objectifs de la transition énergétique entamée par l'Allemagne en 2011. Une transition que les experts du Centre d'analyse stratégique ont examinée à la loupe dans une note publiée en septembre et qu'a commentée pour Slate Fabien Roques, directeur à l'IHS-CERA, cabinet de consultants en stratégie énergétique.
Abandonner le nucléaire, c'est possible?
oui Avant Fukushima, l'Allemagne comptait 17 réacteurs en fonctionnement. Contre 58 en France. Ils ne contribuaient donc «que» pour 23% à la production électrique (plus de 75% en France) et 11% à la consommation d'énergie finale du pays (40% en France). Car, il ne faut pas l'oublier, l'électricité n'est que l'une des façons de consommer de l'énergie. A côté des carburants ou du chauffage, entre autres.
Huit réacteurs ont été fermés en 2011 et cela n'a visiblement posé aucun problème: la différence a été compensée par une baisse des exportations électriques, une augmentation de la production des énergies renouvelables et une petite baisse de la consommation.
D'ici 2022, date butoir pour la fermeture des neuf autres tranches, l'Allemagne devrait compenser le manque à gagner nucléaire. Mais pas forcément de la façon souhaitée.
Les ENR (énergies renouvelables) suffiront-elles ?
non (pas en l'état actuel des technologies)
La part des ENR (énergies renouvelables) a progressé de façon impressionnante sur la dernière décennie, notamment l'éolien et le solaire. Mais cette progression marque désormais le pas: le parc éolien ne s'étend plus aussi vite (sauf l'éolien offshore) et les tarifs d'achat sur le solaire ont très sensiblement baissé en 2012, mettant en cause la rapide progression passée (mais aussi la filière industrielle du pays!). Il faudra d'ici 2050 bien du volontarisme –et des progrès technologiques– pour que les ENR puissent répondre aux espoirs que les Allemands ont mis sur eux.
Mais le problème ne se trouve dans l'immédiat pas tant du côté des capacités installées que de celui du réseau: «certains champs d'éoliennes offshore ne fonctionnent pas car ils ne sont pas encore reliés au réseau électrique», assure Fabien Roques. Et lorsqu'ils le seront, tout ne sera pas pour autant réglé: «l'Allemagne a mal anticipé ces questions, et manque de capacités pour transporter le courant produit par les éoliennes au nord vers le sud», poursuit l'expert.
Le CAE estime ainsi que le pays devra consacrer 45 milliards d'euros d'ici 2020 à ses réseaux de transport et de distribution d'électricité. Le problème n'est pas seulement financier: construire des réseaux prend du temps, notamment en autorisations de toutes sortes.
Le charbon et le lignite ont-ils pris le relai?
non (pas pour l'instant)
Contrairement aux rumeurs insistantes, la production d'électricité à partir de charbon et de lignite n'a pas augmenté pour compenser la baisse du nucléaire, constatent les experts. Sur longue période, leur part a du reste diminué (75% de la production électrique en 1973 –42% actuellement) et elle est à peu près stable depuis plusieurs années.
A 42%, elle reste cependant très importante, et pour partie, très polluante, notamment pour le lignite. Les centrales les plus émettrices devraient fermer dans quelques années, mais de nouvelles capacités sont prévues, qui ont profité des allocations gratuites de quotas CO2 au milieu des années 2000 pour démarrer leur construction. In fine, la part du charbon/lignite pourrait donc très légèrement progresser.
La consommation peut-elle baisser?
un peu «Il semble que la consommation électrique allemande ait cessé de progresser, et se trouve désormais à un plateau», note Fabien Roques. Mais quid de l'avenir? Des économies supplémentaires pourraient être réalisées, mais beaucoup a déjà été fait dans l'habitat et dans l'industrie, qui s'est beaucoup restructurée y compris énergétiquement à la suite de la réunification.
Du reste, l'Allemagne affiche un taux d'intensité énergétique déjà légèrement inférieur à la France, et ce malgré la puissance de son industrie (151 kilo équivalent pétrole pour 1.000 euros de PIB contre 164 en France). Autrement dit: des baisses de consommation sont encore possibles, mais proportionnellement moins qu'en France.
En outre, l'électricification du parc automobile d'ici 2025 pourrait aussi venir contrecarrer cette évolution. Il n'est pas donc certain que les Allemands verront leur consommation électrique diminuer sensiblement
L'Allemagne deviendra-t-elle l'otage de la Russie?
+ que la France Logiquement, les centrales au gaz sont amenées à jouer un rôle de plus en plus important: on en construit pour prendre le relai des ENR (éolien, solaire), par définition intermittentes, lorsque celles-ci ne produisent pas d'électricité. «Attention cependant, nuance Fabien Roques, construire de nouvelles capacités ne signifie pas que beaucoup de gaz sera brûlé, car ces nouvelles centrales ne tourneront pas à plein temps.»
Et elles pourraient subvenir à l'augmentation de la consommation, si celle-ci était avérée et si les ENR ne pouvaient prendre le relai.
Actuellement, le gaz représente une part minoritaire de la production électrique (13%) mais tout de même 23% de la consommation énergétique totale (15% en France). Mais surtout, quand la France s'approvisionne tout à la fois en Algérie, aux Pays-Bas, en Norvège et en Russie (15% environ pour ce dernier pays), l'Allemagne dépend elle à environ 50%, de la Russie. D'où l'attention portée outre-Rhin aux relations avec ce pays, et l'implication controversée de l'ex-chancelier Schröder dans le consortium germano-russe chargé de la construction du gazoduc Northstream reliant directement les deux pays.
La transition coûtera-t-elle cher?
oui très cher, mais... pas forcément plus qu'ailleurs.
Les partisans du nucléaire français ont beau jeu de le répéter: l'électricité allemande coûte deux fois plus cher que dans l'Hexagone, tant pour les ménages que pour l'industrie. Certes. Mais cela n'empêche pas l'industrie allemande d'être compétitive. Reste à savoir jusqu'où la facture va grimper.
Personne ne le sait, mais si les subventions aux ENR représentent déjà 36 euros par mégawattheure, selon le CAE, elles pèsent pour l'essentiel sur les ménages, les entreprises étant quasiment exemptées. La solution n'est pas forcément durable: les ménages allemands risquent bien, un jour, de grincer les dents.
Alors oui, cette transition sera coûteuse. En coûts de réseaux, en subventions aux énergies alternatives, etc. Mais le sera-t-elle forcément moins en France, le jour où les décisions énergétiques auront été prises?
«Le premier pays qui s'essaie à la transition essuie forcément les pots cassés, estime Fabien Roques. Il paie forcément plus cher. Mais il peut aussi en tirer des avantages très importants, notamment s'il en fait une vraie stratégie industrielle: énergies alternatives, stockage de l'électricité, réseaux intelligents, techniques du bâtiment, les industriels allemands, Siemens en tête, qui investissent dans ces secteurs bénéficieront de cette transition.»
Mais apprendre à vivre et à produire avec moins d'énergie peut se révéler aussi, à terme, être un vrai avantage compétitif. Car, et c'est bien l'état d'esprit des Allemands, la transition est, de toutes façons inéluctable. Autant donc la préparer.
Catherine Bernard