Vous vous souvenez de toutes les conversations que vous partagiez avec votre meilleur pote en message Facebook, dans lesquels vous disiez «putain (parce que vous êtes vulgaire en message privé), putain, si quelqu’un tombait sur la conversation qu’on est en train d’avoir!»? Hé bien voilà, tout le monde a pu ou peut encore tomber sur cette conversation, ce lundi. A moins qu’il ne s’agisse que d’une hallucination collective, comme le défend Facebook. Que l’on ait cru que ces messages avaient été privés, alors qu'ils avaient toujours été sur notre Timeline.
N’empêche, quand mon voisin d'en face, à Slate a dit «trop marrant, il y a un bug Facebook, les messages privés des gens sont publiés sur leur timeline», puis quand il a ajouté: «ah trop marrant! C’est qui C…. H….? Hahaha c’est chaud! Les conversations!», c’était la panique. Il avait accès à mes conversations privées. Comme il est sympa, il a dit: «Allez, tous sur la timeline de Charlotte, il y a tout!» Là, j’ai eu des sueurs froides, je suis devenue rouge et blanche et j’ai tout supprimé.
Dieu merci, mes parents ne sont pas sur Facebook. (Papa, maman, ne lisez pas les paragraphes qui suivent.) S’ils y étaient, ils auraient pu découvrir, en public sur ma timeline, mes conversations intimes. Très intimes parfois. Mes amis, s’ils ont été rapides, ont aussi pu voir ce que les uns et les autres pensent des uns et des autres. Tel ami qui me disait en message privé qu’il ne supportait pas untel avec qui il travaille, tel autre qui détestait son travail et voulait se «pendre».
Alors oui, il est possible que j’ai mal paramétré mon accès Facebook, ou que j’ai pris mon wall pour mon inbox. Facebook me ferait presque croire que j'ai eu ces conversations en public... Vue la teneur des messages, je doute qu'ils aient survécu en public si longtemps sans que personne ne fasse de réflexion.
Coming-out sur Facebook?
Et trop d’amis ont paniqué pour que tout cela, me semble-t-il, n'ait été qu'un songe. J’imagine la tête de mes amis qui n’ont pas encore fait leur coming-out mais parlent à leurs copains/copines en messages privés.
D’autres ont peut-être pu voir que l’une de mes amies couchait avec un collègue de travail. Qu’un autre couchait avec deux personnes en même-temps –j’espère qu’aucune de ces deux-là n’était devant leur ordinateur à l’heure du bug.
Certains insultaient leurs chefs nommément –j’espère que les chefs étaient trop concentrés sur leur propre compte Facebook pour aller lire ce qu’il se passait sur ceux des autres.
Le coupable idéal...
J’ai une tendance à la paranoïa. Alors, depuis que j’utilise quotidiennement les réseaux sociaux et leurs riches possibilités d’espionnage, je me méfie. Des appareils photos qui traînent, des gens dans le métro qui peut-être vous filmeront pendant que vous réajustez votre collant sans élégance.
En vertu du principe selon lequel «même les paranoïaques ont de vrais ennemis», je continue de me méfier. Et désormais mon vrai ennemi sera Facebook. La firme de Mark Zuckerberg vient d’avérer mes pires craintes. Que ce soit une hallucination ou pas.
On aurait tout rêvé, tous ensemble, emportés par notre angoisse de notre vie dévoilée. Ça ne changerait rien à l’histoire: la confiance se fissure. Et si c’est Facebook qui prend, c’est aussi parce que le plus grand des réseaux sociaux est le coupable idéal.
Les révélations sur la vie privée via les réseaux sociaux, ou les technologies du siècle dernier, comme le SMS, ou les mails, n’ont pas débuté avec ce bug. Des ministres ont connu les DM fails. Grégoire Fleurot l’a écrit sur Slate: les réseaux sociaux sont, comme leur nom l’indique, conçus pour partager plutôt que pour garder des secrets.
La limite finale
Toute la relation qu’on entretient avec les outils sociaux relèvent d’un donnant-donnant assez simple: posséder un outil gratuit et à l’efficacité redoutable –justement parce que c’est à la portée de tous– pour entrer en contact gratuitement avec tout le monde, partager des contenus. L’envers de cette gratuité, c’est que les réseaux sociaux vendent une partie de ces données pour financer leurs opérations. Il y a là une grande confiance entre nous et ces entreprises.
Si nous étions coupables, comme Facebook le laisse entendre, ce ne serait que le signe que cette confiance est rompue. A de trop nombreuses reprises, le site de Zuck a joué avec nos limites. Nous sommes restés, accros –vigilants– redoutant que ce bug arrive. C’était la limite que l’on se fixait sans doute, que l’on redoutait certainement.
Si la grande panique de ce lundi n’est pas une hallucination collective, s’il s’agit bien d’un problème technique ou d’un piratage, Facebook est coupable de ne pas avoir su nous protéger.
Reste désormais deux questions: faut-il faire le ménage partout et tomber dans la grande parano –Twitter, Google, etc– et par quoi désormais remplacer ces outils irremplaçables?
Charlotte Pudlowski