France

Qui connaît vraiment les salafistes en France?

Temps de lecture : 4 min

Nombreux sont ceux qui se succèdent dans les médias pour parler des membres de cette mouvance, mais ils restent encore peu étudiés par les spécialistes et difficile à recenser précisément pour l'Etat.

Un membre du groupe salafiste Forsane Alizza, en novembre 2011 à Nantes. REUTERS/Stéphane Mahé.
Un membre du groupe salafiste Forsane Alizza, en novembre 2011 à Nantes. REUTERS/Stéphane Mahé.

Islamologues, sociologues, représentants des grandes organisations musulmanes (Conseil français du culte musulman, Union des organisations islamiques de France): de nombreuses personnalités se succèdent sur les antennes radiophoniques et plateaux télévisés pour «parler salafisme».

Mais que savent-elles vraiment de ces musulmans ultra-orthodoxes qui vivent en France, dont les uns appellent à la violence tandis que d’autres sont quiétistes? Comment ont-ils pu, ces responsables politiques, ces leaders religieux ou ces universitaires, avoir suffisamment approché ce groupe religieux parmi les plus hermétiques qui soient pour pouvoir aujourd’hui parler en connaissance de cause? Ainsi, sur France Inter, à la question de savoir s’il connaissait des salafistes, le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, a semblé bien en peine de répondre.

«Combien sommes-nous à vraiment connaître les salafistes en France? Sûrement pas plus nombreux que les doigts d’une seule main!», estime Samir Amghar, auteur d’une des deux seules thèses soutenues sur le sujet dans notre pays. Ce sociologue, âgé de 35 ans, s’est embedded parmi des salafistes (en Europe, en Amérique du nord et en France de 2002 à 2006) avec tout à la fois l’empathie nécessaire pour se faire accepter et la distance indispensable au chercheur. «A la fin, explique-t-il, j’avais développé une relation d’amour-haine à leur égard.» Mais cette démarche lui a permis d’écrire un livre qui fait autorité, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident (Michalon, 2011).

A la décharge des journalistes, islamologues ou fonctionnaires de l’Etat de tous poils et de bonne volonté qui tentent d’entrer en contact avec des salafistes, la chose n’est pas aisée en France. Normal selon le «Monsieur Islam» de la république française, Bernard Godard. «A la différence des Frères musulmans, les salafistes n’ont pas besoin de faire valoir des thèses politiques, donc ils n’ont aucun intérêt à communiquer, explique-t-il. Ils constituent un groupe indéfini avec pour seul fil directeur l’imitation des anciens, le régime saoudien wahhabite du XVIIIème; et ils n’ont pas de leader authentifié, nous n’avons donc pas d’interlocuteur légitime.»

Tournant de la guerre civile algérienne

Chargé du dossier «islam» dans divers cabinets ministériels et au Bureau central des cultes du ministère de l’Intérieur, Bernard Godard se souvient des premiers salafistes qu’il a rencontrés, il y a trente ans:

«A l’époque, je discutais avec eux, ils n’étaient pas antipathiques. On ne parlait pas de salafistes, nous les percevions plutôt comme des fondamentalistes, ayant une lecture littéraliste du Coran.»

«Dès 1980, certains se réclamaient pourtant du salafisme, confirme Samir Amghar, mais ils étaient effectivement plutôt assimilés à des traditionnalistes, leur islam identifié à celui des primo-migrants. Il existait un véritable décalage entre la réalité sociale et la connaissance.» Et puis, à l’époque, le cheikh Abu Bakr El Djezairi professe que pour être un bon musulman, il convient d'habiter en terre d’islam alors que vivre dans un pays occidental relève du «péché» ou quasiment. Cela accentue le repli de ces premiers salafistes français sur eux-mêmes et rend encore plus difficile les contacts.

C’est avec la guerre civile en Algérie, dans les années 90, qu'en France le salafisme perce en tant que tel. Les premières vidéos de cheikhs saoudiens font leur apparition à Trappes, à Argenteuil à la fin des années 90, puis c’est Ben Laden en 1998. «On ne fait alors pas vraiment le distinguo entre salafisme et djihadisme, ce sont tous, pensait-on, des "fous d’Allah" jusqu’au-boutistes», rappelle Bernard Godard, également auteur d’un état des lieux sur Les Musulmans en France (Pluriel, 2008).

La fin des années 90 constitue cependant un tournant pour les Renseignements généraux, qui mettent au point des critères d’identification efficaces et auraient produit alors des notes plutôt très bien informées.

Nouvelle visibilité avec internet

Avec l’apparition d’Internet, les salafistes acquièrent une nouvelle visibilité. La différence entre les quiétistes et les djihadistes devient beaucoup plus claire. C’est sur la toile que des personnalités émergent, des leaders s’autoproclament, des disputes éclatent et des dissensions apparaissent après des batailles théologiques et casuistiques parfois assez sophistiquées. «Tous ceux qui traitent du salafisme uniquement comme un mouvement radical et fondamentaliste sont à côté de la plaque, considère Samir Amghar. Le salafisme est un mouvement de revivification religieuse. Le théologique est étroitement lié au politique, on ne peut faire l’impasse sur la doctrine religieuse pour le comprendre.»

Nouveau tournant, depuis quatre ou cinq ans et plus encore depuis quelques mois. D’abord, les convertis et les jeunes issus de l’immigration tentés de faire l’hijra, c'est-à-dire d’aller vivre à Médine ou à la Mecque, sont souvent rentrés au bercail. «Il y a eu beaucoup de départs, avec femmes et enfants et… presque autant de retours. Tous ces Français qui partaient en Arabie Saoudite ont finalement trouvé plus confortable de revenir vivre ici», raconte Bernard Godard.

Conséquence: ces jeunes salafistes commencent à se penser comme un groupe social communautaire; ils veulent créer des lieux de vie qui ne soient pas «pollués» par la société occidentale dans laquelle ils vivent. Mais pour construire une mosquée ou une école, il leur faut obtenir des autorisations, ce qui les oblige à communiquer avec l’administration française. Et cette dernière peut ainsi les identifier plus précisément.

Sortis du bois avec les printemps arabes

Et puis, avec les printemps arabes, ils sont sortis du bois. Jusqu’ici plutôt discrets dans les mosquées qu’ils fréquentaient, les voilà plus contestataires. Ils se sentent assurés par l’avancée des salafistes tunisiens et égyptiens.

Depuis peu, ils se feraient de plus en plus entendre au sein des mosquées, en réclamant par exemple des leçons de Coran avec créneaux horaires spécifiques. A Paris, dans les boutiques de la rue Jean-Pierre Timbaud, une sourde bataille a opposé les éditeurs des Frères musulmans et ceux des salafistes, dont les livres sont désormais aux meilleures places.

Les salafistes ne se cachent plus et participent désormais au Salon international du monde musulman, au Bourget en novembre 2011 et bientôt à Montreuil en novembre 2012. «Ce qui pose problème aux agents de l'Etat, c’est le nouvel éparpillement géographique des salafistes en France», estime Bernard Godard. Dans les campagnes, ce phénomène déroute beaucoup plus encore qu’en zone urbanisée.

Et puis, que tous ceux qui utilisent «salafiste» à tort et à travers prennent garde à son usage, avertit Mohamed-Ali Adraoui, car le terme est en passe de devenir un mot générique. Selon ce chercheur qui a soutenu une thèse sur le sujet —dont les Puf publieront prochainement une version plus grand public (Du Golfe aux banlieues, le salafisme islamisé)—, «le mot tient désormais plus du concept que de la réalité, et on assiste à un mouvement paradoxal: l’usage de plus en plus simplificateur du terme "salafiste" alors que le phénomène se complique de plus en plus».

Ariane Bonzon

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