Pour la première fois depuis le début de la crise dite des dettes souveraines, nous venons de vivre une bonne semaine pour l’Europe. Qu’on en juge! Tout avait commencé avec Mario Draghi et son annonce de rachat de titres des Etats en difficulté, en tant que de besoin. Traduction concrète d’une annonce antérieure selon laquelle la Banque centrale européenne ferait reculer la spéculation contre la zone euro.
Puis il y a eu successivement: la décision de la Cour suprême allemande, les fameux juges de Karlsruhe, validant le mécanisme européen de sécurité, acceptant donc la solidarité qu’il implique et renvoyant les adversaires allemands de l’euro à leurs incantations. Il y eu aussi, en milieu de semaine, le surprenant et bienvenu discours du président de la Commission européenne, Jose Manuel Barroso, qui s’est soudain souvenu qu’il disposait d’un poste important.
Signe que le rapport des forces est en train de changer: il s’est remis à faire de la politique. Le président Barroso a donc ressorti de son chapeau une proposition politique, celle d’une fédération d’Etats-nations, concept élaboré en son temps par Jacques Delors. Et qui fait écho aux propositions qu’Angela Merkel a transmises à François Hollande pour donner une perspective politique à l’Union européenne. Propositions auxquelles, par parenthèses, François Hollande s’est, pour le moment, abstenu de répondre, tant il semble avoir peur de la gauche de la gauche.
Tirer les conséquences du changement stratégique américain
La semaine s’est ensuite poursuivie avec deux événements importants: l’annonce du projet de fusion entre EADS et BAE Systems; le vote néerlandais aux élections législatives.
Rapprocher EADS et BAE Systems, ce qui doterait l’Europe d’un géant mondial de l’aéronautique, plus puissant que l’américain Boeing, ouvrirait une perspective considérable. Ce serait aussi une avancée essentielle pour qui croit à la nécessité d’une Europe de la défense, car les Britanniques de BAE Systems sont surtout spécialisés dans ce domaine. C’est une vision industrielle essentielle pour l’Europe et qui sera peut-être freinée, voire combattue, par un gouvernement britannique plus proche des intérêts américains.
Mais doter l’Europe d’un tel outil concernant l’aéronautique civile et militaire serait tirer toutes les conséquences du changement stratégique américain. Bien sûr, les événements de ces derniers jours dans un certain nombre de pays musulmans ont conduit Barack Obama à redire que l’Amérique ne se retirerait pas du monde. Mais ces phrases, indispensables dans de telles circonstances, ne doivent pas faire oublier le discours d’Honolulu, qui redessine les perspectives stratégiques des Etats-Unis pour les années qui viennent et qui fait basculer très clairement leur sens de préoccupation de la zone Europe/Moyen-Orient vers la zone Asie/Pacifique.
Cerise sur le gâteau: le vote des Néerlandais! Alors que toute la presse annonçait la victoire des eurosceptiques, pour ne pas dire des anti-Européens, et surtout celle de l’extrême droite, cette dernière s’est effondrée et les partisans du nouveau traité l’ont emporté.
Prenons donc acte de cette belle séquence. Constatons que les taux d’emprunt de l’Italie et de l’Espagne ont commencé de baisser et que les bourses se sont réveillées. Et que la chancelière allemande elle-même a finalement avalisé la théorie des dominos et considéré qu’il ne fallait nulle part, pas même en Grèce, lâcher prise, faute de quoi c’est toute la construction monétaire européenne qui serait en péril.
Certainement des reculs à venir
Mais cette séquence, aussi belle soit-elle, n’est qu’une étape dans un long processus de crise qui connaîtra certainement des reculs avant, espérons-le, d’autres avancées.
Ainsi, premièrement, les adversaires de l’euro et de l’Europe n’ont pas désarmé. Le patron de Goldman Sachs n’a pas changé de discours et continue de militer pour la destruction de l’euro, suivi en cela par nombre de fonds spéculatifs. Il y a fort à parier que leur prochaine cible sera la France. Pour preuve, le numéro spécial que The Economist prépare sur ce pays «nouvel homme malade de l’Europe», si l’on en croit les rumeurs londoniennes.
Deuxièmement, le discours dominant est désormais de mettre en garde contre l’austérité telle qu’elle est pratiquée, laquelle serait un obstacle au retour de la croissance. Mais l’urgence n’est plus là: elle n’est pas de savoir comment on va retrouver la croissance, elle est de savoir si l’on va éviter la récession dans toute l’Europe. Ce qui serait évidemment catastrophique sur un territoire qui bat de tels records de chômage.
Troisièmement, il faut donc désormais sans tarder ouvrir une discussion politique sur les modes d’application et surtout le rythme des programmes de retour à l’équilibre des comptes. Il est clair qu’il faut un délai spécifique pour la Grèce, le Portugal. Il en faudra un pour l’Espagne, etc. Et il serait peut-être temps aussi de remettre en cause le dogme des 3% de déficit public que chaque pays doit s’efforcer d’atteindre.
Le nouveau traité ouvre d’ailleurs la voie à cette remise en cause, lorsqu’il est question de distinguer déficits structurels et déficits conjoncturels. Lutter pied à pied pour la réduction des déficits structurels en tolérant des déficits conjoncturels ouvrirait certainement la voie à un allégement des contraintes et à un retour plus rapide de la croissance.
A ce stade, il n’y a donc aucune raison de désespérer, et surtout pas de perdre courage.
Jean-Marie Colombani
Cet article est également paru dans El Pais.