Ce devait être l'été du crash. Avant les vacances, des banques avaient demandé aux personnels des salles de marché de différer leur départ. La zone euro allait entrer dans des turbulences potentiellement mortelles dans un contexte de récession. L'Italie et l'Espagne allaient perdre leur accès au marché de refinancement de leur dette, la France socialiste allait devoir numéroter ses abattis.
Rien de tel ne s'est passé, tout au contraire. On peut écrire aujourd'hui que la probabilité d'explosion de la zone euro a diminué. La raison principale est, bien entendu, la phrase de Mario Draghi affirmant fin juillet que la Banque centrale européenne fera «tout ce qui sera nécessaire» pour sauver l'euro. Les précisions apportées le 6 septembre d'une intervention «illimitée», pour empêcher les taux latins de conduire à l'expulsion de l'Europe du Sud, ont convaincu. Rien n'est joué sur le fond. Mais regardez la série des bonnes nouvelles depuis.
Le «miracle» en action
La Cour constitutionnelle allemande a dit oui au Mécanisme européen de stabilité. Ce n'est pas une surprise, les juges de Karlsruhe savaient qu'un «non» aurait fait sauter la baraque. Mais, subtilement, ils ont montré qu'il y avait une quadrature du cercle possible: respecter la démocratie juridique allemande tout en autorisant la solidarité nécessaire dans la zone euro.
C'est le «miracle» européen en action, comme le relève Alain Minc dans son dernier livre, miracle qui «ménage les gènes des Etats membres tout en les embarquant à chaque fois plus loin dans l'aventure» [1]. A Angela Merkel, maintenant, d'engager –enfin– le combat sur le terrain politique pour convaincre les Allemands des bienfaits de l'euro et pour barrer la route à l'euroscepticime qu'elle a laissé monter de façon terrifiante dans son pays. Pas facile, c'est vrai. Mais le compromis «les Latins font de gros efforts, les Allemands paient un peu» est au fond la ligne intelligente ouverte à Karlsruhe.
Il serait paradoxal que les Allemands prennent le large au moment où les Britanniques annoncent leur retour... C'est ainsi qu'il faut interpréter la fusion de British Aerospace avec EADS. Il s'agit d'une volte-face: après des années de tentatives pour séduire le Pentagone, l'industrie de pointe britannique considère que son véritable avenir n'est pas, ou pas seulement, aux Etats-Unis, malgré «la relation spéciale» anglo-américaine, mais avec les continentaux d'EADS.
Je rosis le paysage? Peut-être un peu. Il reste à savoir si les motifs de BAE ne sont pas d'abord purement boursiers. Mais il n'empêche, stratégiquement, au moment où David Cameron refuse le pacte budgétaire et isole la Grande-Bretagne en Europe, cette fusion est une nouvelle proeuropéenne de première grandeur.
La Commission s'est réveillée!
Après, il y a Bruxelles. La Commission de Bruxelles s'est réveillée! Qui l'eût cru? Michel Barnier, commissaire au Marché intérieur, a présenté son projet d'union bancaire. Cela n'a l'air de rien ou, plutôt, d'un machin de plus, c'est une révolution si les banques européennes sont débranchées de leur Etat et si la BCE prend le pouvoir de supervision. La City de Londres va torpiller le truc? Je rosis encore? Un peu, mais un grand mur du nationalisme bancaire archéostupide est sur le point de tomber.
José Manuel Barroso a présenté cette semaine une relance du fédéralisme. L'Europe une «Fédération d'Etats-nations», voilà le président portugais dans les bottes de Jacques Delors. Il projette de faire voter un nouveau traité en 2014. Enfin, la machine institutionnelle repart! Les gouvernements seront forcés de répondre et les immobilistes, comme les socialistes français paralysés depuis le «non» de 2005, devront enfin sortir de leurs contradictions internes.
On terminera la liste par l'accord obtenu discrètement par le Portugal avec ses créanciers pour retarder le retour aux équilibres budgétaires. On voit ici se concrétiser l'espoir des économistes d'alléger un peu une austérité mortifère en période de récession. Le bon débat macroéconomique s'ouvre.
Bien entendu, rien de tout cela n'est fait. Fondamentalement, résume l'économiste Laurence Boone de Bank of America Merrill Lynch, la BCE n'a permis que de gagner du temps [2]. L'Europe du Sud comme la Grande-Bretagne et la France n'ont toujours pas trouvé la véritable sortie de crise: un nouveau modèle de croissance sans endettement dans la mondialisation. Les gouvernements nationaux sont en face des réformes mais, autour d'eux, à Francfort, à Bruxelles comme chez les industriels, les choses avancent.
Eric Le Boucher
Article également paru dans Les Echos
(1) L'Ame des nations, Alain Minc, Grasset. Retourner à l'article
(2) Euro Macro Viewpoint, 12 septembre 2012. Retourner à l'article