France

A Paris, une difficile campagne «à l'américaine» attend la droite

Temps de lecture : 6 min

«Swing arrondissements», grands électeurs et fiefs géographiques, la municipale parisienne est un peu la course à la Maison Blanche à la française. De quoi rendre la bataille contre Anne Hidalgo encore plus compliquée pour l'UMP en vue de 2014.

Anne Hidalgo marche le long du bassin de la Villette le 5 septembre 2012, le lendemain de l'annonce de sa candidature à la mairie de Paris pour 2014. REUTERS/Jacky Naegelen
Anne Hidalgo marche le long du bassin de la Villette le 5 septembre 2012, le lendemain de l'annonce de sa candidature à la mairie de Paris pour 2014. REUTERS/Jacky Naegelen

A un an et demi des prochaines municipales, la gauche parisienne pense avoir trouvé son leader, la droite s'en cherche un. Au PS, Anne Hidalgo, la dauphine de Bertrand Delanoë, a annoncé sa candidature le 5 septembre, peu après qu'un sondage Ifop pour le JDD l'a donnée favorite.

Jeudi 13, l'UMP parisienne s'est elle choisie un nouveau chef de groupe, le maire du Ier arrondissement Jean-François Legaret, après un vote interne qu'une partie de l'opposition voulait faire reporter.

Et des premiers noms commencent à circuler pour mener la bataille en 2014 au nom de cette droite que le député Bernard Debré a qualifiée de «minée par ses divisions, incapable de s'entendre, sans aucun candidat naturel ou charismatique, mais surtout sans aucun projet»: le maire du XVIe Claude Goasguen a proposé la candidature de Jean-Louis Borloo et a affirmé qu'à défaut, il le serait lui-même; les noms de Chantal Jouanno, Rachida Dati, Pierre Lellouche et Valérie Pécresse sont souvent cités; l'éventualité d'une candidature de François Fillon, qui a affirmé au JDD que la question n'était «pas d'actualité», est elle peu probable.

Un scrutin à l’américaine

Une certitude: pour la droite, c'est une difficile campagne «à l'américaine» qui s'annonce, et pas seulement parce qu'elle s'ouvrira par une primaire. Aussi car, comme une présidentielle américaine, elle se déroule dans un cadre géographique particulier et, pour l'heure, qui lui est largement défavorable.

L’élection municipale parisienne est ce qui se rapproche le plus en France de la course à la Maison Blanche: pour gagner Paris, il ne suffit pas de gagner une majorité du vote des Parisiens, il faut remporter au moins 82 des 163 conseillers municipaux, élus dans le cadre de chaque arrondissement en fonction de leur population. Le XVIe et le XIXe ont par exemple treize conseillers de Paris chacun, là où les Ier, IIe, IIIe et IVe arrondissements n'en ont que trois.

Carte via Paris.fr

Ça vous rappelle quelque chose? Le système ressemble très fort à celui de la présidentielle américaine, où le Président est élu au scrutin indirect par des grands électeurs dont le nombre diffère en fonction des Etats. D’où une stratégie de campagne basée autour des 15 Etats qui peuvent basculer, et pas de tous les 50, puisque certains sont déjà acquis d’office à la cause démocrate (la Californie) ou républicaine (le Texas), comme à Paris le XVIe ou le XXe sont facilement acquis à un camp.

Cependant, contrairement à la présidentielle américaine, les conseillers de Paris ne sont pas distribués selon le système du winner-takes-all, ou «le gagnant emporte tout», mais à la proportionnelle. Du coup, même si la gauche ou la droite n’ont aucune chance de remporter le XVIe ou le XXe, il ne serait pas logique pour elles d'y arrêter toute campagne: dans le cas d'un duel droite-gauche au second tour, si la gauche remporte 69% des voix en 2014, les 31% de la droite lui permettront tout de même d'obtenir deux conseillers municipaux, contre onze pour la gauche.

Les autres, plus disputés, sont des swing arrondissements, ceux qui font l'élection. Jean-François Copé l’a bien compris, lui qui a lancé que «c'est arrondissement par arrondissement que [la droite doit] reconquérir Paris». Et si on poussait l’idée plus loin? Quels sont ces «swing arrondissements» et ceux qui sont irrattrapables?

Des arrondissements acquis, d'autres à sauver

L’UMP a ses arrondissements acquis qu’elle n’a a priori pas besoin de galvaniser autant que les autres: les VIe, VIIe, VIIIe et XVIe ont voté pour la droite aux trois dernières municipales et aux présidentielles de 1995, 2007 et 2012, avec une marge confortable, de même que le Ier et le XVIIe, où l'avance de l'UMP était cependant plus réduite aux municipales de 2008.

Six autres arrondissements, eux, étaient détenus par la droite en 1995 avant de basculer, parfois de justesse, à gauche en 2001, et sont a priori des terres de reconquête privilégiées: les IIe, IVe, IXe, XIIe, XIIIe et XIVe. Mais ils sont restés très franchement à gauche en 2008: celle-ci est passée au premier tour dans le IVe et à plus de 65% au second dans les IIe, XIIe et XIIIe.

C’est dans ces arrondissements-là que l’UMP aurait tout intérêt à placer des têtes de liste nouvelles, plus «décalées», «bobos» voire «écolo-bobos» pour reprendre les mots de Chantal Jouanno, qui estime que c’est ce qu’il faut pour gagner à Paris. Dans les XVIIIe, XIXe ou XXe, elles ne suffiraient sans doute pas à convaincre des habitants conquis par la gauche, et dans le XVIe, cela serait gâcher des personnalités qui pourraient attirer des électeurs indécis. Mais les tentatives de la droite d'y renouveler ses cadres (les candidatures d'Arno Klarsfeld, de Charles Beigbeder et de Jean-Marie Cavada dans le XIIe aux législatives de 2007 et 2012 et aux municipales de 2008, ou de l'entrepreneur d'origine chinoise Chenva Tieu dans le XIIIe aux dernières législatives) ont pour l'instant échoué.

Mais le plus gros problème de la droite, en plus de sa difficulté à grappiller des électeurs dans ces arrondissements qui sont passés à gauche en 2001, c’est que deux de ses fiefs risquent de basculer pour le PS.

En 1995, la droite conserve le Ve arrondissement, fief de Jean Tibéri, au premier tour. En 2001, elle le garde au second avec 53%, et en 2008, elle le sauve de justesse (45%) face à la gauche (44%) dans une triangulaire avec le MoDem. Ajoutez à cela que François Hollande l’a emporté avec 56,2% en 2012, soit 4,5 points de plus qu’au niveau national, et vous avez l’équation d’une bataille difficile pour l’arrondissement en 2014.

Le XVe devrait théoriquement être moins difficile à garder, mais la droite y est tout de même passée d’une élection au premier tour en 1995 à un 58,8% au second en 2001 puis un 52,6% en 2008. Et c'est la terre d'élection d'Anne Hidalgo, la probable tête de liste du PS...

Une géographie électorale favorable à la gauche...

Et non seulement la gauche est devenue largement majoritaire à Paris (plus de 55% au second tour de la présidentielle), mais la géographie électorale lui est tellement favorable qu'elle pourrait garder la mairie même en y étant minoritaire: comme l'écrivait en 2009 le chercheur en géopolitique électorale Mathieu Jeanne, le mode de scrutin privilégie en effet «la domination spatiale et territoriale par rapport au total des suffrages obtenus dans l’ensemble de la capitale».

En 2001, Bertrand Delanoë avait conquis la mairie de Paris avec 48,6% des voix au second tour, face à une droite divisée mais majoritaire avec 51,4%... Une bizarrerie que permettent de confirmer des projections effectuées depuis. En utilisant les résultats de la présidentielle 2007, Mathieu Jeanne notait que «alors que Nicolas Sarkozy devance son adversaire socialiste de près de 4.000 voix [50,04% contre 49,96%, NDLR], les résultats de Ségolène Royal appliqués au mode de scrutin par arrondissement auraient permis aux socialistes de dominer la droite de 19 sièges».

En simulant des résultats donnant la gauche à 47% sur Paris face à une liste unie de droite à 53% (avec une baisse du score de la gauche cohérente par rapport aux élections précédente et une participation inchangée), nous avons de notre côté abouti à... un seul siège d'avance pour la droite, majorité tenant qui plus est à quelques centaines de voix dans un arrondissement décisif, le XIIe [cliquez ici pour consulter le détail de notre simulation].

Explication, toujours signée Mathieu Jeanne dans son article de 2009: «Le vote de droite apparaît [...] nettement plus concentré dans l’espace parisien que ne l’est le vote de gauche.» Dans son «triangle d'or» VIIe-VIIIe-XVIe, la droite réalisait entre 72% et 78% le 6 mai 2012, là où dans ses trois arrondissements les plus forts (Xe-XVIIIe-XXe), la gauche ne faisait «que» 69% à 72%. En clair, la gauche parisienne est plus étalée et la droite trop resserrée.

... et une redistribution des sièges qui le serait

Pas étonnant donc que cette dernière critique le mode de scrutin. En 2001, Philippe Séguin le jugeait «inique», assurant que «si on avait procédé à l'élection au suffrage universel direct» il aurait gagné, et que «des milliers de Parisiens [allaient avoir] le sentiment d'avoir été floués». Sous les deux derniers quinquennats, Bernard Debré a lui déposé une proposition de loi qui instaurerait une liste unique sur l'ensemble de Paris pour l'élection du maire (les conseils d'arrondissements seraient eux maintenus), un peu comme ces Américains qui suggèrent de supprimer le collège électoral...

Une réforme qui a évidemment peu de chance d'être votée avec une Assemblée et un Sénat à gauche: ce mode de scrutin a été fixé par la loi «Paris Lyon Marseille» (PLM) de 1982, et la géographie électorale de Lyon et Marseille permet aussi à la gauche, de manière moins spectaculaire, d'espérer être majoritaire en sièges même en étant minoritaire en voix.

En revanche, la gauche pourrait éventuellement faire voter une autre réforme, qui elle lui serait favorable: celle du nombre de sièges attribué à chaque arrondissement, inchangé depuis trente ans. A l'heure actuelle, la répartition est en effet défavorable aux grands arrondissements très peuplés de l'Est, qui votent massivement à gauche. Lors de l'examen de la réforme territoriale de 2010, le député PS Christophe Caresche avait proposé d'attribuer un siège supplémentaire aux Xe, XIXe et XXe arrondissements et d'en enlever un aux VIIe, XVIe et XVIIe. Le sujet avait été aussi soulevé au Sénat par la gauche. A chaque fois, la droite l'avait enterré.

Cécile Dehesdin et Jean-Marie Pottier

Mise à jour du 15/03/13: en 2008 dans le XXème arrondissement, la droite n'est pas passé au second tour et n'a obtenu aucun conseiller, contrairement à ce que nous avions écrit.

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