«Ils le disent eux-mêmes et c'est vrai, le public parisien est stupide. Je crois que les Français n'aiment pas quand les Espagnols gagnent. Souhaiter la défaite de quelqu'un est une façon vaniteuse de s'amuser. Ils se comportent avec la vanité des gens qui se croient supérieurs.» Toni Nadal, l'oncle et l'entraîneur de Rafael Nadal, n°1 mondial du tennis et tenant du titre de Roland-Garros pour quelques jours encore, s'est «lâché» avec ces mots sur la chaîne de radio espagnole Cadena Ser.
L'objet du courroux de cet homme généralement affable et paisible ? Le manque de soutien apporté, dimanche, par les tribunes du court Philippe-Chatrier à Rafael Nadal au fil de sa défaite en quatre sets contre le Suédois Robin Soderling en huitièmes de finale. «Ce qui me paraît déplacé, c'est d'appuyer la défaite de quelqu'un, a-t-il ajouté. C'est une manière peu gratifiante d'être heureux». Toni Nadal s'est dit aussi étonné qu'à l'entraînement à Roland-Garros, son neveu soit assailli pour donner des autographes, alors que «quand il joue sur le court, ce sont les mêmes qui veulent qu'il perde». » Le champion majorquin s'est lui-même interrogé sur cette absence de supporters lors de sa rencontre contre Soderling. «J'ai l'habitude d'entendre le nom de mes adversaires venir des tribunes quand je joue, a-t-il commenté. C'est vrai que c'est dommage que dans un tournoi où j'ai eu tant de grands moments, le public n'ait jamais eu un geste pour moi. Mais je ne vais pas en faire une excuse.»
Alors, le public de Roland-Garros est-il vraiment stupide? Affirmons d'abord une chose. Les Nadal ne sont pas des mauvais perdants. Rafael Nadal a toujours su accepter la défaite avec élégance et son oncle, Toni, a toujours été le premier à applaudir les victoires des adversaires -Roger Federer en premier lieu- de son neveu. Et constatons, c'est vrai, que les 15 000 spectateurs du central ont manqué, dimanche, de chaleur et d'élégance pour le quadruple tenant du titre qui tentait un exploit inédit : devenir le premier homme à gagner les Internationaux de France cinq années de suite. Ils ont clairement et majoritairement soutenu Soderling à la réputation pourtant sulfureuse en raison de ses relations controversées avec les autres joueurs qui, pour beaucoup, le jugent carrément infréquentable.
C'est la loi du genre : après quatre ans de règne sans partage de Rafael Nadal, Roland-Garros s'est lassé de son champion. Hélas, le public l'a maladroitement fait savoir à un Espagnol pourtant irréprochable au niveau de l'attitude. Et encore Nadal pouvait-il s'estimer heureux de ne pas être sorti sous les sifflets d'une foule devenue versatile au cours des dernières années et habituée à maltraiter certaines de ses vedettes à l'image des sœurs Williams et de Maria Sharapova qui ont souvent rejoint les vestiaires sous la bronca de tribunes vindicatives. Comme elle a l'a souligné elle-même, Sharapova, retombée à la 102e mondiale après une blessure à l'épaule, a été bien accueillie cette année. «Ici, ils adorent encourager le joueur qui n'est pas favori, a-t-elle souligné. Mais quand vous être n°1, on s'en prend à vous. C'est triste de voir comment fonctionne la société d'aujourd'hui.» N°1 mondiale un an plus tôt, la joueuse russe avait eu droit, lors de l'édition 2008, à un traitement de faveur du public de Roland-Garros qui l'avait huée -sans raison- après une bataille pourtant mémorable au terme de laquelle elle s'était inclinée face à sa compatriote Dinara Safina. Serena et Venus Williams, on l'a dit, ont souvent subi aussi les foudres de Roland-Garros qui les bat froid depuis toujours si bien que certains observateurs américains en sont même carrément venus à poser la question du... racisme.
Je couvre le circuit professionnel du tennis depuis 20 ans et je suis bien obligé de constater que le public de Roland-Garros est le moins bon des quatre tournois du Grand Chelem. Les Australiens sont incontestablement les meilleurs supporters devant les Britanniques et les Américains. Australie, Grande-Bretagne et Etats-Unis où existe une vraie culture sportive qui n'a jamais été celle de la France -il n'y a qu'à voir comment certains quotidiens nationaux escamotent le sport quand leurs confrères anglo-saxons y consacrent, chaque jour, des cahiers spéciaux.
A Roland-Garros affleurent souvent la méchanceté et la bêtise venues de spectateurs qui n'y connaissent pas grand-chose. C'est l'une des erreurs de l'organisation d'un tournoi qui a fini par évincer de son stade les vrais passionnés au profit d'invités qui jouissent des opérations de relations publiques mises en place tout au long de la quinzaine de la Porte d'Auteuil. Au fil des ans, la part des places allouées à ces spectateurs qui n'en sont pas vraiment a crû au détriment du public des licenciés de la Fédération Française de Tennis qui a fini par hériter de sièges de plus en plus mal placés tout en continuant à payer ses billets de plus en plus cher. Toute la partie basse du central est ainsi exclusivement réservée à des sociétés qui régalent leurs clients de la sorte. Et rien n'est plus choquant, pour le véritable amateur resté à la porte du stade faute de ticket, que d'assister au scandale de ces centaines de places vides délaissées par ceux qui déjeunent au frais de la princesse dans de luxueux espaces de restauration et qui, pour la plupart, sont des ignorants de ce sport. Lors de l'une des précédentes éditions, Roger Federer s'était ému d'avoir dû jouer une demi-finale devant un stade clairsemé qui ne s'était rempli que vers 15h. Anomalie qui n'a pas échappé cette année au magazine américain Sports Illustrated.
Dimanche dernier, nombre de ces pique-assiettes ignoraient quel champion est vraiment Rafael Nadal. Ils se sont simplement réjouis de le voir tomber de son piédestal. Ils tenaient là une belle histoire à raconter dans leurs déjeuners en ville. Ils y étaient ! Ils ont vu ce grand Suédois faire tomber l'idole ! Suédois dont ils ont déjà oublié le nom... Stupides ? Stupides !
Yannick Cochennec
(Photo: Un spectateur à Roland-Garros, REUTERS/Regis Duvignau)