On nous serine que la filière auto va mal chez nous, mais pas mal de secteurs industriels aimeraient se porter aussi bien.
Aussi bien? Comment ça, elle n’est pas à l’article de la mort, la bagnole française, avec ces automobilistes qui n’ont plus un sou et n’achètent plus rien, au point que le gouvernement est forcé de mettre les constructeurs sous perfusion de prime à la casse toutes les cinq minutes? Hum, pas vraiment. Si l’automobile gauloise a bien quelques soucis de fin de mois à l’occasion, la nouvelle de sa mort est largement prématurée, comme on dit.
D’abord, plantons le décor. Le parc français, c’est-à-dire le stock de voitures et de véhicules utilitaires circulant dans le pays, c’est 38 millions au premier janvier 2012, en hausse d’un petit pourcent par rapport à l’année d’avant.
C’est plutôt respectable en termes d’équipement (près de 85% des ménages possèdent au moins une auto, et 30% d’entre eux ont au moins deux). Et avec à peu près 500 voitures particulières pour 1.000 habitants, le marché est tellement mûr de chez mûr qu’il faut désormais inventer la Twizy pour espérer le faire croître du côté des foyers à triple véhicules...
―Ouais, tu parles, notre stock de bagnoles, il est vieux et depuis la crise, plus personne n’achète d’autos neuves. Je l’ai lu dans un journal super bien informé...
― Tss... L’âge moyen est de 8 ans. C’est pas génial, mais c’est convenable et à peu près dans la moyenne des pays développés. Aujourd’hui, une voiture est garantie 3 ans, parfois 7, roule peu (12.000 kilomètres par an) et on peut la conserver longtemps en bonne santé...
― Mais alors, on en vend ou on n'en vend pas?
On en vend, mon vieux.
Allez, je vous donne le grand secret: depuis presque deux décennies, on immatricule à peu près 2 millions de voitures particulières par an en France pour 5 à 6 millions de transactions de voitures d’occasion.
C’est un marché de renouvellement, comme celui des télés et des frigos. Alors, quand on entend dire que c’est une «bonne année», c’est qu’on est un poil au-dessus des 2 millions, mais pas beaucoup plus.
Quand on dit que c’est une «mauvaise année», en revanche, on est juste un peu en dessous mais pas beaucoup moins. Et je ne raconte pas de bobards, puisque je le tiens de François Roudier, qui s’occupe de la com au Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA) et s’y connaît un peu mieux qu’un type qui vend ses théories catastrophiques au comptoir d’un bistrot.
Deux années exceptionnelles en plein marasme?
«Bon, c’est vrai que pour 2012, on va sans doute faire moins bien en immatriculations de voitures de particuliers qu’en 2011, sans doute moins 8%, tempère-t-il parce que mon enthousiasme peut faire peur, parfois. Mais c’était parce qu’on sortait de deux années exceptionnelles. Tenez l’an dernier, on a fait plus de 2,2 millions, soit pas loin d’un record historique...»
― Vous avez fait deux années exceptionnelles en plein marasme?
― Oui, mais on a eu un coup de pouce: la fameuse prime à la casse...
― Et là, sans prime à la casse, vous pensez que vous allez faire à peine moins 8% par rapport à une paire d’années exceptionnelles?
― On peut le dire comme ça...
― Mais comment ce fait-ce?
«La France est un pays un peu spécial. Les automobilistes ont énormément d’épargne et empruntent relativement peu pour changer de voiture, ce qui n’est pas le cas des autres pays européens. D’ailleurs, sur des marchés de niches un peu spécifiques comme le camping-car, où la proportion de financement par l’emprunt est plus forte, la chute est plus dure lorsque la conjoncture est difficile, explique encore le professionnel. Mais même lorsque les Français ont recours au crédit, les organismes financiers qui dépendent des banques sont assez agressifs et les taux sont bas. Donc on gère assez bien les aléas de la conjoncture».
Ok, Ok, j’ai compris. La France est un marché de renouvellement, avec des volumes à peu près inchangés d'une année sur l'autre parce que ce pays un peu mou n’a jamais vraiment de grosses périodes de croissance économiques comme les autres pendant les booms, mais ne sombre jamais vraiment non plus dans de vraies récessions pendant les vaches maigres.
Mais au-delà de la stabilité du marché, est-ce que les constructeurs «domestiques», comme on dit chez 30 millions d’amis, ne se font pas tailler des croupières par les étrangers, qui viennent jusque dans nos bras, pétroler nos autoroutes et nos départementales?
― Euh, non, pas franchement. En France, les répartitions de parts de marché sont là encore assez stables entre marques locales et marques étrangères, aux alentours de 55%-45% au bénéfice de nos constructeurs. C’est plutôt bien, même si les Allemands sont à près de 75% (mais avec 7 marques). Les Italiens, qui n’ont qu’une seule marque de grand volume sont au tiers seulement...
― Ah, et cette année, ils vont tout de même bien morfler, les Français...
― Non en fait. A l’heure actuelle, on table plutôt sur une part de marché à 56,2%. Mais on peut se tromper un peu. Les prévisions, vous savez...
Trop dépendants de l'Europe
C’est tout de même dingue, cette affaire. Les constructeurs français sont maîtres chez eux dans un marché finalement très confortable et ils vont si mal que ça? Avec PSA qui est obligé de fermer une usine et de mettre 8.000 personnes en difficulté?
«Là, c’est un autre problème, répond François Roudier. PSA est un constructeur qui reste très dépendant de ses différents marchés européens, lesquels ont vraiment plongés à l’inverse de la France, notamment la Grande-Bretagne, l’Italie et bien sûr l’Espagne. Ce sont des pays où le crédit est essentiel et si les banques ne prêtent plus, on le sent passer. Renault, qui a fait d’autres choix, est plus à l’aise dans le reste du monde avec Nissan et sur le low-cost avec Dacia. Mais PSA (Peugeot et Citroën) est en mesure de reprendre la main grâce à l’alliance avec GM, qui lui permettra de réduire ses coûts et d’être plus efficace, mais aussi grâce à de nombreux projets à l’international. Dans le secteur, il y a toujours des retournements fantastiques...»
Hum, ça se défend. Fiat que l’on donnait pour mort il y a cinq ans, s’est refait une santé sur le dos de Chrysler et son PDG parade dans les salons en faisant sonner ses grosses pièces de monnaie dans sa poche de costume Armani (en se fichant pas mal de l’Italie et des Italiens, il est vrai, mais nos grands patrons à nous sont plus patriotes). Alors un PSA remontant lui aussi de ses trente-sixièmes dessous, ça n’a rien d’absurde.
Surtout dans un pays où l’automobile se porte aussi bien, évidemment.
Hugues Serraf
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