Actuellement, le principe actif dans l’Union européenne est celui de la concurrence fiscale. Il s’oppose aux principes fondateurs de la Communauté européenne qui engageaient les pays membres à aller dans le sens d’une harmonisation.
Mais pour contourner un obstacle qui risquait de bloquer toute autre avancée, un conseil des ministres des Finances (Ecofin) décida en 1992 que l’harmonisation des régimes fiscaux des Etats membres n’était pas «une condition nécessaire à l’achèvement du marché intérieur».
Concurrence fiscale
En instaurant l’unanimité pour toute décision d’ordre fiscal, les Etats membres bloquaient toute avancée. Certains pays comme l’Irlande virent dans ce recul une porte ouverte à la concurrence fiscale. D’autres retinrent qu’on devrait s’en tenir à un principe de convergence Mais dès l’instant où certains pays préfèrent promouvoir la compétition, ce sont eux qui dictent leur loi aux autres. Désormais, on ne parla plus d’harmonisation, mais parfois timidement de coordination.
Créer un serpent fiscal européen au moment où tous les pays de l’Union cherchent à réformer leur fiscalité pour construire un cadre propice à une sortie de crise, ce serait revenir à l’esprit des principes fondateurs de l’Union européenne, sans même aller aussi loin.
La démarche semble pragmatique. Alors que toute idée de politique fiscale européenne déclenche une levée de bouclier des souverainistes, il serait impensable de revenir d’emblée à l’idée d’harmonisation. En revanche, un serpent qui pourrait prendre la forme d’une coopération renforcée, avec des décisions prises à la majorité qualifiée pour instaurer un corps de règles communes aux Etats qui y participeraient, constituerait un objectif réaliste, commente le Syndicat national unifié des impôts (SNUI). Une idée à laquelle la Commission européenne n’est pas hostile, reconnaissant que la règle de l’unanimité dans la prise de décision bloque toute évolution.
Marges de manœuvre
Après tout, l’euro est aussi une forme de coopération renforcée puisqu’il réunit 17 des 27 membres de l’Union européenne. Il est lui-même l’aboutissement d’un serpent monétaire qui avait vu le jour en 1972 pour encadrer, jusqu’en 1978, les fluctuations des monnaies. Il avait été ensuite remplacé par le système monétaire européen.
Cette démarche n’est pas une fin en soi. L’objectif consiste à rendre des marges de manœuvre aux gouvernements qui se voient empêchés de mettre en œuvre leurs programmes de redistribution des richesses et de stimulation de la croissance. «La concurrence est profondément anti-démocratique», insiste John Christensen, directeur de l’ONG Tax Justice Network qui a rendu public cet été une imposante étude sur les paradis fiscaux. Elle «affaiblit tellement l’imposition des bénéfices des sociétés que des centaines de milliards d’euros sont perdus au profit de la fraude fiscale et des montages d’évasion fiscale».
Contre l’évasion fiscale
La concurrence –et, derrière, l’optimisation– stimule l’évasion. Le Parlement européen en évalue le montant à 1.000 milliards d’euros pour l’Union. Algirdas Semeta, le commissaire européen à la fiscalité et à l’union douanière, plaide lui-même pour une «plus grande convergence des fiscalités», mais il concède que «les avancées sont timides, alors même que la concurrence fiscale s'accroît entre Etats membres».
L’Irlande fournit un bon exemple de concurrence fiscale qui torpille toute idée de solidarité européenne. La crise que connaît le pays n’est pas étrangère au dumping fiscal qu’il pratique sur les sociétés: 12,5% contre par exemple 36,1% en France et 29,8% en Allemagne, d’après Eurostat. Pour sortir de l’ornière, Dublin a sollicité le soutien de l’Europe, mais a refusé de remettre en cause la fiscalité sur les entreprises. Le gouvernement irlandais continue à pratiquer un dumping préjudiciable pour ceux qui, précisément, l’ont aidé. Paradoxe.
Le cas ne se limite pas à l’impôt sur les sociétés. L’amplitude est grande entre les taux des prélèvements obligatoires pratiqués par les différents pays de l’Unions européenne: de 48% pour le Danemark ou 46% pour la Suède et la Belgique à 27% pour la Bulgarie, la Lettonie et la Lituanie, en passant par 44,5% pour la France, 39,5% pour l’Allemagne et 37,4% pour le Royaume-Uni, indique l’Insee pour 2010.
Réformes nationales
Bien sûr, l’échelle de temps nécessaire pour bâtir une construction fiscale européenne est sans rapport avec l’évolution des politiques nationales. Celles-ci doivent s’adapter sans cesse. En France, les premières orientations de la réforme annoncée par François Hollande seront connues lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2013, fin septembre.
Certains sujets, comme une éventuelle augmentation de la CSG (instituée par Michel Rocard en 1991) pour financer la protection sociale, doivent être traités dans le cadre de la Conférence sociale et ne seront pas tranchés avant la fin de l’année. Mais d’autres devront apparaître dans le projet de budget 2013. «Si on loupe le coche du budget 2013 pour rapprocher l’impôt sur le revenu et la CSG, il sera difficile de rendre cette disposition effective avant la fin du quinquennat», explique Vincent Drezet, secrétaire général du SNUI.
En réalité, même si on entend souvent dire qu’il est impossible de réformer la fiscalité en France, les gouvernements ne cessent de la modifier, jouant sur le curseur de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés.
Ainsi, en dehors de l’impact de la crise, mais à la suite de l’adoption de nouvelles mesures et notamment de la loi Tepa, un rapport parlementaire de 2011 note que, entre 2008 et 2009, «les recettes ont baissé spontanément de 9,6%, soit 4,5 fois plus que le PIB, ce qui correspond à une perte de 20 milliards d’euros (soit 1 point de PIB) par rapport à une situation dans laquelle les recettes fiscales auraient reculé comme le PIB». C’est bien plus qu’une réformette!
Climat favorable
Mais au-delà des dispositions relativement techniques, c’est tout l’esprit de la fiscalité au service du financement des politiques publiques dans l’intérêt des citoyens, qui doit être remis à plat. En France comme ailleurs. Ce travail n’a de sens que dans un cadre européen, pour les pays qui souhaitent aller vers une Europe économiquement et socialement plus homogène.
Aujourd’hui, la crise a créé un climat favorable pour progresser dans ce débat. Avec en toile de fond ce projet de serpent fiscal qui commence à s’introduire au sein du Parlement européen. Et qui pourrait donner des orientations à tous les pays qui y participeraient pour rapprocher leur système fiscal.
Gilles Bridier
Article également paru dans Emploiparlonsnet