S'il est quelqu'un qui manque dramatiquement à François Hollande en cette rentrée, c'est bien Olivier Ferrand, le fondateur du think tank Terra Nova, décédé brutalement cet été. Cette disparition a marqué cruellement et très symboliquement le vide sidéral qui s'est creusé entre la vie électorale en France et les sciences sociales modernes, ou pour le dire autrement, entre la politique et la connaissance.
La déception que l'on constate dans les sondages sur la politique gouvernementale était hélas prévisible: les socialistes sont revenus au pouvoir sans aucune idée adaptée à la période. Les seuls logiciels dans leurs ordinateurs étaient:
- 1. de virer Sarkozy et le plus possible des dispositifs qu'il avait mis en place
- 2. de faire payer les riches au nom d'une vision «dure» du capitalisme ultralibéral.
Aujourd'hui, mais plus encore dans les semaines à venir, la pauvreté intellectuelle du PS va apparaître au grand jour comme son impréparation totale à gouverner la France. Le bilan que laisse Martine Aubry à la tête de son parti mériterait d'être regardé de plus près: elle laisse un désert d'idées.
François Hollande, lui, s'était préparé par un travail sur lui-même, par une réflexion sur l'exercice «normal» du mandat présidentiel et par une compréhension générale de la situation, qui lui a soufflé de présenter un programme d'une grande prudence. C'est déjà bien, dira-t-on. Non. On le constate aujourd'hui: il a travaillé trop seul, ignorant justement des connaissances de la recherche économique et sociologique récente, et ses rares propositions sont globalement incapables de conduire le «redressement» du pays, comme espéré.
Le cas du contrat de génération l'illustre. Annoncé cette semaine, il est l'archétype de ce qu'il ne faut plus faire: le candidat politique invente une mesure sociale qu'il tire comme le lapin d'un chapeau, puis l'impose quoi qu'elle coûte, sans aucune expérimentation.
C'est une mesure exactement contraire à toutes les leçons tirées des mille échecs passés des politiques de l'emploi. Elles disent, comme le résumait l'économiste Tito Boeri lors d'un colloque à Sciences po: il faut abandonner les mesures catégorielles (jeunes et seniors, en l'occurrence), car elles ont trop d'effets pervers, il faut éviter les incitations fiscales, car elles poussent aux détournements, il faut des mesures générales et laisser le plus possible de flexibilité aux entreprises.
Olivier Ferrand aurait pu expliquer au président de la République et à la classe politique française que, dans un monde devenu incertain, imprévisible, traversé en permanence par des crises de toutes sortes (bienvenue au XXIe siècle!), l'Etat de 1945, construit pour un monde stable, était devenu inopérant. Le PS arrive pour «rétablir» l'Etat, coupable de s'être trop effacé devant le marché. Hélas, il rétablit l'Etat d'hier, impuissant, trop coûteux.
L'exemple canadien
A Aix-en-Provence aux Rencontres du Cercle des économistes début juillet, la Canadienne Jocelyne Bourgon, qui était secrétaire générale de toute l'administration quand le Premier ministre Jean Chrétien a «réinventé» l'Etat en 1993, racontait que les gouvernements précédents, étranglés par la dette et la croissance en berne, ont géré l'Etat, comme le PS aujourd'hui en France, sur le principe du «faire mieux avec moins». Ils enregistrèrent échec sur échec. Jean Chrétien change et bascule du «quoi couper» à «quoi préserver». Il redessine complètement les missions publiques autour de la compétitivité et de la solidarité. Le nombre de fonctionnaires est réduit de 20%, l'Etat abandonne les aides aux régions (-65%), les subventions à l'industrie et aux transports (-50%), pour se consacrer à l'éducation, la santé, la recherche et les infrastructures. Le succès est au rendez-vous: dès 1997, le Canada dégage un surplus, la dette revient de 70% du PIB à 30%, «sans que le niveau de solidarité ne baisse», souligne Jocelyne Bourgon.
Le cas canadien a été amplement étudié. Les sciences sociales nous disent aujourd'hui comment l'Etat peut développer ses capacités de réaction à l'incertain, devenir pragmatique, souple, préventif et non plus curatif et que, principe général, il équipe les gens à s'adapter plutôt que de vouloir les protéger.
La dette, la compétitivité, le dialogue social sont les trois impératifs de François Hollande. Son gouvernement s'est trop focalisé sur le seul premier, c'est une erreur grave. Mais d'une façon générale aucun ne sera atteint, la défiance demeurera, si les socialistes pensent comme ils le pensent que la solution est dans le rétablissement du vieil Etat.
Eric Le Boucher
Article également paru dans Les Echos