Si le temps passé à «se restaurer», à dormir et à gambader un peu à terre au cours des escales constitue les trois quarts de l'essence d'une croisière, il en reste un dernier quart à combler pour que les passagers ne connaissent jamais ce qui serait synonyme d'échec patenté pour Costa: l'ennui. Du coup, les organisateurs de la vie à bord du Costa Voyager ont imaginé toute une série d'activités qui réduisent théoriquement ce risque à zéro.
Les épisodes précédents
J'ai passé sept jours sur le Costa Voyager
Durant la journée, en plus de faire la crêpe sur l'un des centaines de transats disséminés un peu partout sur les ponts extérieurs, de faire trempette dans la petite piscine au centre du pont 7 Helios ou dans l'un des deux bains à remous du pont 4 Venus, les passagers peuvent s'adonner aux joies du babyfoot et du ping-pong, seulement toutefois après avoir acheté des balles dans une de ces machines qui délivrent normalement des chewing-gums.
Pour les croyants les plus fervents –Costa reste après tout une compagnie italienne–, il est possible à toute heure du jour et de la nuit de descendre se recueillir et prier la Sainte Vierge dans la chapelle nichée au bout du pont 3 Dionysus.
D'ailleurs, il est même envisageable d'assister quotidiennement sur les coups de 10 heures à une messe sur l'un des cinq modestes bancs de bois qui font face au plus petit autel du monde, dans une ambiance tamisée, à la lumière de petites ampoules simulant des bougies –rappelez-vous les consignes de sécurité de la vidéo du premier jour: «Le plus grand danger sur un bateau est l'incendie.»
L'autre lieu phare des activités diurnes est la bibliothèque Athena sur le pont 6 Apollon, clairement le lieu de toutes les folies.
Des petites équipes de loubards italiens de 60-70 ans se livrent à des parties de cartes de malade, réalisant régulièrement l'exploit de ne perdre personne en route. Aussi dingue que ça puisse paraître, pas de sieste, ça tape le carton sévère à la bibli.
C'est également ici que les accros d'Internet peuvent s'adonner à d'intenses sessions de surf pour dix euros de l'heure, ce qui en fait un cybercafé assez cher, mais paradoxalement pas tant que ça à l'échelle des croisières de luxe.
Hannah Pinni, journaliste de la section voyage du canard anglais The Telegraph a ainsi testé vingt croisières différentes pour comparer les différents tarifs en vigueur. Regent Seven Seas était la compagnie qui proposait les prix les plus prohibitifs à raison de 57 dollars de l'heure (45 euros) auxquels s'ajoutent encore 3,95 dollars d'activation à la première connexion, avec tout de même la possibilité pour les plus gros nerds d'opter pour un tarif de gros de 600 dollars pour vingt heures de connexion. Ambiance AOL 1995.
De l'importance de la bibliothèque
Autre constat incroyable –quand je vous dis que c'est à la bibliothèque que les choses se passent– on peut même y emprunter des livres. Et selon ce proverbe cher à ma bibliothécaire, «Laisse-moi voir ce qu'il y a dans ta bibliothèque et je te dirai qui tu es», le Costa Voyager ne propose que des livres de poche que je soupçonne d'avoir été abandonnés par les voyageurs précédents, même si la bibliothécaire italienne (qui fait aussi animatrice des jeux de piscine à d'autres moments de la journée) m'avoua être incapable de confirmer mon hypothèse, ce que je pris dès lors pour une confirmation implicite de sa part.
Et pour en revenir au proverbe de ma bibliothécaire, avec une proportion assez énorme de livres de Daniel Pennac, Marc Levy, Paulo Coelho, Guillaume Musso ou Eric Fottorino, j'ai été tenté de dire que le Costa Voyager n'est pas quelqu'un de très fréquentable, mais je me suis ensuite rappelé que je n'avais jamais lu ces types; bon peut-être un Pennac, une fois. Assez bien fournie compte tenu de sa taille, cette bibliothèque comptait également un sacré paquet de polars, de nombreux Vargas, du Chattam, du Grangé, du Mary Higgins Clark et cerise sur le gâteau, l'incroyable Gomorra de Saviano.
Cette bibliothèque était tout simplement le rayon livres d’un Relay H d'aéroport ou de gare. Dernier détail, on trouvait autant de bouquins en français que la somme des bouquins espagnols, italiens, anglais, néerlandais et allemand… On mésestime sans doute le rôle des Relay H dans le rayonnement international de la culture française.
L'autre moment clé dans le processus d'animation de la vie à bord est évidemment la soirée. En plus du casino et de la boutique où les passagers aiment généralement flâner avant ou après le dîner, le Costa Voyager propose deux représentations d'un spectacle qui varie chaque soir, l'un à 20h pour les convives du second service et l'autre à 21h30 pour ceux du premier.
Dans le théâtre Alexandre le Grand situé à l'avant du pont 6 Apollon, les marins d'eau douce peuvent assister, soir après soir, quarante minutes durant, à un duo de musique classique, un spectacle flamenco, un concert avec un soprano et un ténor et plus généralement à un spectacle mêlant chant et de danse.
Je dois confesser avoir été assez peu assidu aux spectacles de 20h, préférant profiter des joies de ma cabine, la faute en partie aux ayatollah des croisières –en l’occurrence ma mère, une fille espagnole et les Bretons– qui m'ont juré que les spectacles étaient de bien meilleure facture sur les gros bateaux.
Après avoir vu cinq minutes d'un truc effectivement pourri le premier soir, j'ai quand même pris la peine de réitérer l'opération quelques jours plus tard, le samedi 25 août 2012, jour de l'escale à Cagliari. Et j'ai passé un moment pas désagréable devant Destination, un spectacle de chant et de danse parfaitement maîtrisé, avec à la baguette Helen Ardron, une chanteuse anglaise capable d'une imitation vocale absolument parfaite de Debbie Harry, et à ses côtés, Daniel Law, un sosie de Michael Youn doté d'une affection manifeste pour les costumes de scène à la Claude François, mais capable de jouer à la guitare et chanter Mrs Robinson, avant d'enchaîner Love Me Tender trente seconde plus tard.
Quant aux voyageurs avertis qui pensent que les spectacles sont mieux sur les grands bateaux, ils pouvaient toujours ruminer leur haine au même moment, attablé devant un cocktail du côté du piano bar, en ayant tout le loisir de profiter des talents d'un sosie Eric Woerth manifestement plus doué pour le piano voix et le saxo que les finances et le turf.
Et clou de l'affaire, une fois le second service terminé, sur les coups de 23h30, les barjos de la danse pouvaient passer une partie de la nuit, un soir sur deux, à essayer de perdre les kilos engrangés la journée, sur le pont 7 Helios au son de tubes très actuels comme What Is Love ou No Limit dans un esprit de convivialité digne des meilleurs dancings.
Et pour les plus dingues d'entre eux, les clubbers hardcore, le salon panoramique tout en haut à l'avant du bateau se transformait chaque soir en une boîte de nuit vibrant sous les coups de mixette de DJ Ronni, passé maître au fil des jours dans l'art de l'alternance répétée de Ai se eu te pego de Michel Teló et d'autres tubes faisant le bonheur des hordes d'adolescents italiens et espagnols.
Ce qui de fil en aiguille nous conduit à autre élément central de la vie du Costa Voyager: l'alcool (qui lui-même nous renvoie à un sujet loin d'être anodin: le prix de l'alcool).
Comme n'importe quel restaurant, Costa fait des marges considérables avec les boissons alcoolisées. De la riche carte des vins à la non moins fournie carte des cocktails, le passager est soumis à la tentation permanente de consommer.
Passsons aux choses sérieuses: l'alcool
A la différence des repas, les produits éthyliques et non éthyliques proposés sont de très bonne qualité, et souvent assez élaborés. Et une fois les 15% de service –jamais compris dans les prix affichés à bord– acquittés, la vodka de base revient à huit euros et le verre de rouge un peu correct titille au minimum le même montant.
Mais heureusement, Costa est une compagnie qui a compris que certains passagers ont un amour tel pour l'alcool que la perspective de devoir payer huit euros à chaque verre pourrait sérieusement entamer leur bonne humeur, ou créer un climat de tension à bord plus nuisible encore que le chahut occasionné par les gens ivres, ce qui, au bout d’une chaîne d’événements fâcheux, pourrait conduire le Costa Voyager à faire les frais d'une mutinerie de passagers.
Du coup, Costa a inventé une formule all inclusive à seulement 18,5 euros par jour, formule toutefois doublement conditionnée. D'une part, l'heureux possesseur du all inclusive bénéficie d'un panel de choix largement suffisant pour se décoller la membrane du cerveau, tout en pâtissant de l'interdiction de profiter de tout produit ayant une petite étoile accolée en bout de ligne, ce qui le coupe donc de tout un tas de boissons un peu élaborées ainsi que des vins dignes de ce nom. Et d'autre part, selon le principe du «quand il y en a pour un, il y en a pour tout le monde», Costa est consciente que si elle acceptait que seul un membre de chaque famille soit en possession du all inclusive, elle s'exposerait au risque de se faire saigner à blanc par tout le reste de la tribu.
Conséquence, le all inclusive n'est disponible que si toute la famille opte pour. Dans le cadre d'une famille de quatre personnes, le all inclusive devient dès lors une petite coquetterie de 518 euros supplémentaires sur la note finale.
Mais même avec cette machine de guerre commerciale, Costa n'a pas pu pousser la tyrannie jusqu'à obliger les connaissances des propriétaires de formule all inclusive à adopter eux aussi la formule de tous les possibles.
Ce qui me conduit à introduire Delia, une jeune Espagnole de 23 ans venue me taxer une cigarette alors que je pratiquais une forme intensive de journalisme de bar –un art noble dont le lever de coude vif et l'attention auditive et oculaire sont les deux piliers– du côté du comptoir du piano bar du pont 6 Apollon.
Les choses se goupillant plutôt bien, il se trouvait que Delia disposait de la fameuse formule illimitée et qu'elle n'avait même pas eu à payer pour en bénéficier, l'agence de voyage espagnole par laquelle ses parents avaient réservé la leur ayant grassement offerte.
Et voilà comment cette rencontre fortuite du deuxième soir me conduit à passer une partie des nuits de ma semaine dans cette discothèque, DJ Ronni dans les oreilles, mais avec tout le loisir de picoler à l'œil, profitant d'une faille volcanique dans la belle machine Costa.
Et puis, la discothèque reste par ailleurs une valeur sûre, un terrain fertile en matière de journalisme social.
Bien qu’on pu y trouver des individus de tous les âges, la boîte de nuit était avant tout le lieu de prédilection des adolescents, vraiment nombreux sur le bateau, reproduisant des comportements universels de drague aussi maladroite que certains de leurs pas de danse mais marqués à coup sûr par ce voyage qui restera pour certains comme un moment fondateur dans leur construction sentimentale, ces sept jours de vacances confinés étant très propices à l'expérience des joies et peines des premiers amours.
Le principe de la croisière, en tant que formule de vacances, est sans doute ce qui permet de réaliser la meilleure synthèse de vacances parents-ado réussies; pour les plus jeunes, pour les raisons évoquées ci-dessus, et pour les plus vieux, ne serait-ce que parce que sur un bateau, il n'y a plus aucun besoin de s'occuper de sa progéniture qui passe forcément de bonnes vacances et qui surtout, ne peut jamais aller bien loin.
(à suivre)
Loïc H Rechi (texte et photos)