Au Mondial de l’automobile, on vient voir des nouveaux modèles, admirer des prototypes qui ne rouleront sans doute jamais nulle part, mais ce sont surtout des voitures d’occasion que l’on vient acheter.
Ça ne se sait pas beaucoup parce que les JT qui vous montrent des images de la Porte de Versailles pendant le salon se concentrent sur les stands les plus prestigieux, mais le coin où l’on signe le plus de chèques, c’est le Hall 7.1, un paquebot de béton glauque et ouvert à tous les vents placé un peu à l’écart de la fiesta.
Nicole Marteau est la boss des lieux. Responsable d’une structure commerciale dépendant du CNPA (Conseil national des professionnels de l’automobile), elle est celle qui loue, chaque année, quelques milliers de mètres carrés aux organisateurs pour les rétrocéder en tranches à une trentaine de gros concessionnaires de la région parisienne:
«J’ai de la place pour à peu près un millier de voitures, plus un gros parking de réserve qui sert de stock tampon pour faire tourner les modèles en fonction des ventes et de la demande.»
Elle en a vu, des salons de l’auto, madame Marteau. Et des années de crise et de vaches maigres aussi. Mais là, elle sent bien que c’est un peu la fin des haricots.
– Dans le temps, je n’avais aucun mal à trouver des exposants. C’était même plutôt un problème diplomatique parce qu’il fallait refuser du monde faute d’espace. Désormais, il faut que j’aille les chercher et ce n’est pas toujours évident.
– Ah bon, mais pourquoi donc? Le Mondial continue de faire ses 1 million/1,5 million d’entrée à chaque édition, vous devez donc avoir le même nombre de visiteurs dans votre hall, non?
– Les visiteurs viennent, mais ils n’achètent plus rien. Sur un bon salon, il y avait peut-être quelque chose comme 1.000 ventes d'occasions. Et parfois plus. Aujourd’hui, on se satisfait de 500 signatures. Du coup, c’est moins intéressant pour les professionnels qui doivent payer un emplacement, acheminer les voitures, avoir du personnel sur place, etc… Il n’y a d’ailleurs plus de négociants indépendants, juste des agents et des concessionnaires…
– Et les constructeurs, ils ne cherchent pas à écouler leurs stocks d’occasion ici?
– Peugeot voulait venir mais il ne voulait pas payer… Ça n’a pas marché.
«Même la Foire de Paris, ça ne marche plus comme avant»
Bon, elle a l’air un peu déprimée comme ça, Nicole Marteau, mais c’est compréhensible. L’expo de véhicules d’occasions («VO» pour les connaisseurs et les pédants) du Mondial, c’est l’arbre qui cache la forêt. Parce que les grands espaces où l’on montre des tas d’autos de seconde main, ça ne marche quasiment plus nulle part:
«Même l’expo que nous organisons au printemps à la Foire de Paris, on a du mal alors que c’était traditionnellement un gros événement.»
De fait, le souci, ce n’est même pas la fameuse crise, même si ça n’aide pas, mais les changements de pratique des acheteurs et l’explosion des annonces sur Internet.
«Les gens qui viennent acheter un VO au Mondial, ils ne cherchent pas un modèle marginal ou cher. Ils viennent chercher de la voiture standard au meilleur prix. Et ça, ils le trouvent sur le Web sur des dizaines de sites. D’ailleurs, les concessionnaires ou les agents vendent aussi par ce canal, que ce soit sur leurs propres sites, sur ceux de leurs marques ou sur les grandes plateformes d’annonces.»
Là, moi aussi, je suis gagné par la déprime. Et la culpabilité aussi parce que je travaille sur Internet et que je contribue à ce processus schumpeterien de destruction créatrice en favorisant la fin du contact humain et le remplacement des vendeurs de voitures d’occasions gominés en costumes à rayures par des geeks boutonneux en sweats à capuche.
«Mais alors, vous allez arrêter? Il n’y aura plus de voitures d’occasion au Mondial de l’automobile?», je demande avec sans doute une trace d’angoisse dans la voix. «On n’en est pas là, me rassure Nicole Marteau. Notre présence ici, c’est une sorte de service que nous rendons à la profession et nous pensons que c’est une mission du CNPA plus qu’une simple activité commerciale. Mais bon, l’avenir nous le dira...»
Hugues Serraf
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