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Engrenages, dont la quatrième saison a commencé sur Canal+ lundi 3 septembre, met en scène une équipe de la police judiciaire de Paris et ses rapports avec les autorités judiciaires, incarnées par un juge d’instruction, un ancien substitut du procureur devenu avocat et sa collègue avocate. Une plongée dans le système français qui nous montre que rien n’est aussi simple que ce que l’on croit, et surtout complètement différent des procédures américaines à l’œuvre dans The Wire (Sur écoute), Law and Order (New York, police judiciaire) et autres CSI (Les Experts). Premier exemple avec la police judiciaire et la police scientifique, qui n’ont rien à voir avec les crime scene investigators de CSI.
[Attention, cet article contient des spoilers sur les épisodes du lundi 3 septembre]
Ça commence comme dans Les Experts. Un cadavre (ou plutôt un corps agonisant dans ce premier épisode) et des personnages secondaires qui ne sont pas les enquêteurs. Une fois le générique d’Engrenages passé, l’enquête démarre. La scène a déjà été délimitée quand l'équipe de la 2e DPJ arrive. On découvre la capitaine Laure Berthaud en train de décrire le corps en parlant dans un dictaphone tandis que ses partenaires prennent des photos, mais aucun enquêteur ne relève de preuves en gants blancs dans des petits récipients stériles ni d'empreintes digitales. Et la chaussure gisant sur la scène du crime reste là où elle est.
Contrairement à ce que l’on voit dans Les Experts, où les crime scene investigators de Gil Grissom collectent tous les indices, les analysent dans leur laboratoire et mènent l’enquête, la 2e DPJ d’Engrenages ne se contente «que» de l’enquête.
Car dans la vraie vie, en France, la procédure est différente. Ce sont des policiers en combinaison blanche, les agents de la police scientifique, personnages secondaires qui n’interviennent pas directement dans la série, qui prélèvent et numérotent les indices.
Engrenages choisit de
ne nous montrer que le travail d’enquête de la DPJ, dont le moment le plus scientifique consiste, pour trois inspecteurs, à analyser une vidéo de surveillance et zoomer pour
mieux voir l’écusson sur le blouson d’un des suspects, et tenter de percevoir si
son complice est un homme ou une femme.
La PJ n’analyse pas les preuves
Dans Les Experts, à l'inverse, les enquêteurs analysent les indices en laboratoire mais vont aussi interroger des suspects. Au cours de la saison 5, Greg, le technicien ADN, intègre ainsi mystérieusement l’équipe de nuit des enquêteurs.
En revanche, pas de cumulards dans Engrenages: oui, les officiers de la PJ vont avoir recours à des analyses pour mener leur enquête, mais ils ne vont pas mélanger analyses en labo, interrogatoires et enquêtes de terrain. Chacun ses prérogatives.
© Nathalie Mazéas / Son et Lumière / Canal+
La collecte et l’analyse des indices est menée par la sous-direction de la police technique et scientifique (SDPTS), un service de la police judiciaire nationale. Au sein de cette sous-direction, c’est principalement le service central d’identité judiciaire qui effectue les prélèvements de preuves. Les analyses sont envoyées à l’institut national de la police scientifique (INPS) qui est en fait un réseau de six laboratoires répartis dans les grandes villes de France, placé sous l’autorité du ministère de l’Intérieur.
La DPJ collabore donc avec le service central d’identité judiciaire, qui va récolter les preuves, demander des analyses au laboratoire de police scientifique de Paris et partager ces informations avec l’inspecteur qui les lui a réclamés.
Arrêtons de croire que les membres de la police scientifique sont, comme Grissom, des surhommes capable de mener un interrogatoire chez des suspects, assister à une autopsie et manifester un savoir encyclopédique sur les insectes.
Même aux Etats-Unis, cet inspecteur ne devrait pas exister, car là non plus la police scientifique n’a le droit ni de mener des interrogatoires, ni de porter une arme. Que ce soit dans le système anglo-saxon ou français, la police scientifique relève et analyse les preuves mais ne mène pas d’enquête: ses techniciens sont avant tout des chercheurs, des scientifiques au service de la police. Les héros des Experts n’existent pas.
Les Experts. Même aux Etats-Unis, la police scientifique (ici Catherine Willows) n'est pas autorisée à porter une arme.
L’organisation de la police française
Plus largement, Engrenages donne un aperçu du fonctionnement de la police nationale française —à ne pas confondre avec la préfecture de police, qui est en charge de la sécurité à Paris et dans les départements de la petite couronne.
La police nationale est divisée en plusieurs directions: les quatre principales sont la DCRI (direction centrale du renseignement intérieur), la DCPJ (direction centrale de la police judiciaire), la DCCRS (direction centrale des compagnies républicaines de sécurité) et la DCSP (direction centrale de la sécurité publique). La plupart des affaires judiciaires sont traitées par la DCSP. Pour les cas les plus difficiles ou importants, la DCPJ prend les affaires en main. La répartition des affaires entre les différents services est généralement institutionnalisée et se fait naturellement.
Dans Engrenages, on n’a donc pas affaire à la DCPJ mais à la DPJ, la direction de la police judiciaire qui dépend de la préfecture de police de Paris. Dirigée par le préfet de police, elle est placée directement sous l’autorité du ministère de l’Intérieur.
Cette dépendance directe de la préfecture de police envers le ministère place particulièrement la DPJ sous les projecteurs. Une médiatisation où la culture du chiffre devient centrale et qui n’aide pas aux bonnes relations du commissaire Herville, le nouveau supérieur hiérarchique de Laure Berthaud, avec cette dernière.
Les priorités de la DPJ changent au gré de l’agenda médiatique du préfet de police et du ministre. L’équipe du capitaine Berthaud hérite alors des affaires criminelles mais aussi des cas de moindre gravité, qui sont seulement plus sensibles d’un point de vue médiatique. Il faut interpeller les terroristes de l’extrême-gauche, puis s’occuper du suicide d’un sans-papier kurde dans un centre de rétention uniquement pour présenter des résultats au ministre et obtenir une promotion. Engrenages obligent, les liens entre les deux affaires se compliqueront au fil de la saison.
Pauline Moullot
L’explication remercie Jacques de Maillard, directeur-adjoint du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) et Barbara Villez, directrice du réseau Scholar Exchanging and Researching on International Entertainment Series (SERIES) et chercheur associée à l’institut des hautes études sur la justice et au laboratoire communication et politique du CNRS.
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