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Ma croisière Costa: un premier jour sans fin

Temps de lecture : 8 min

Réunion d'«informations», consignes de sécurité... Les premières 24 heures sur un bateau ne font pas rêver.

Un couloir du Costa Voyager / Loïc H. Réchi
Un couloir du Costa Voyager / Loïc H. Réchi

Le premier jour de croisière est sans doute celui qui dure le plus longtemps. Une fois la carte Costa récupérée, la chambre explorée de fond en comble, un premier tour du bateau esquissé, les voyageurs sont tenus de se munir de leur gilet de sauvetage rangé dans un des placards de la cabine pour assister à une réunion d'information générale et à un exercice de sécurité.

Organisée à l'attention des nouveaux arrivants dans le théâtre Alexander le Grand du pont 6 Apollon, tout à l'avant du bateau, la réunion d'information confine à la vaste blague ennuyante. Elle porte d'ailleurs assez mal son nom, le terme adéquat étant plutôt «réunion d'information commerciale».

A cette occasion, mes compatriotes français montés à Villefranche-sur-Mer et moi-même avons pu faire la connaissance d'Anaïs, une minuscule jeune femme à la chevelure blonde frisouillante chargée de répondre à toutes nos questions à chaque fois que nécessaire (dixit elle-même).

«N'hésitez jamais à venir me déranger, je suis à votre entière disposition même si vous me voyez dans un salon en train de discuter avec d'autres collègues, je suis entièrement là pour vous.»

Anaïs m'est apparue extrêmement agaçante dès la seconde où elle a ouvert la bouche. Rien de physique, non, non, juste cette manie à vouloir effrayer le passager sur ce qui l'attend au cours des escales à venir si d'aventure il choisissait de ne pas recourir aux excursions organisées par Costa pour se débrouiller par ses propres moyens. De quoi vous donner envie de trouver une utilité au gilet de sauvetage orange qu'une voix sortant des haut-parleurs quadrillant chaque recoin du bateau m'avait intimé de prendre avec moi pour assister à la réunion.

Pendant une heure, mes nouveaux compagnons de galère et moi-même avons donc dû essuyer une présentation powerpoint déballant une litanie d'arguments commerciaux sur la majorité des excursions disponibles à la réservation pour chaque escale. Et à raison de six escales et trois ou quatre possibilités d'excursion pour chacune, autant vous dire que le temps s’est écoulé très lentement.

Anaïs a ainsi eu tout le loisir de nous expliquer qu'en ne recourant pas aux excursions organisées par son employeur, on risquait de se retrouver dans des situations complexes au cours desquelles on serait confronté à notre incapacité à parler la langue du pays –une situation extrêmement anxiogène il est vrai, qu'est-ce qui a bien pu passer par la tête de ces gens en décidant de partir en vacances à l'étranger– et que pire encore, les gens du pays ne parleraient sans doute pas le français.

Quatre jours plus tard, au détour du dîner quotidien avec la famille bretonne –je reviendrai sur la question de la restauration et de la famille bretonne plus tard, celle-ci étant bien trop centrale pour qu'on ne la traite à la va-vite– j'ai pris connaissance du cas de cette Française d'une quarantaine d'années qui n'était toujours pas descendue du bateau de peur qu'il lui arrive quelque chose qui l'empêcherait de remonter à temps. Je venais de réaliser que j'avais largement sous-estimé la portée du discours angoissant d'Anaïs.

Ainsi, les passagers ont par exemple été informés que si le bateau faisait escale à Livourne en Toscane le lendemain, Livourne était en fait une ville merdique –«Livourne est une ville vraiment pas terrible, prenez plutôt une excursion pour Pise ou Florence». De manière assez géniale, Anaïs la diabolique s'est évertuée une heure durant à déconstruire les éventuels fantasmes de liberté que des passagers intrépides auraient pu dessiner.

Vous balader tout seul en escale? Vous n'y pensez pas...

Pour Port Mahon par exemple, petit port sympathique de Minorque, la plus méconnue des îles de l'archipel espagnol des Baléares, Anaïs a bien insisté sur le fait qu'on arriverait un dimanche. Et qu'est-ce qu'il se passe le dimanche? Eh bien évidemment, ils ont beau avoir le pire taux de chômage d'Europe, ces grosses feignasses d'Espagnols insulaires n'en rament pas une. Et alors, de lâcher de manière insidieuse:

«Attention! On arrive le dimanche. Il y aura peu de taxis. C'est mieux de faire une excursion.»

Mais qu'on est cons, comment n'y avait-on pas pensé? Et puis les excursions, selon les éléments de langage extrêmement élaborés, c'est à chaque fois l'occasion «d'avoir un guide qui vous expliquera plein de choses», «d'avoir un peu de temps libre pour prendre des photos et acheter des souvenirs», «de faire des excursions très belles et très intéressantes» –«belle» et «intéressante» constituant l'épine dorsale de son vocabulaire, même si «jolie» ne tenait pas un rôle complètement anodin dans ses tics de langage.

A ce stade de la réunion, la population du Costa Voyager est déjà irrémédiablement divisée en deux camps probablement irréconciliables: ceux qui vivent dans l'épouvante de l'escale sans excursion avec le risque terrifiant qu'un type leur parle en italien ou en espagnol sans qu'ils ne soient en mesure de comprendre quoi que ce soit, et ceux ayant cessé d'écouter Anaïs au bout de moins de dix minutes, levant de temps à autres la tête de leur smartphone pour tendre une oreille avant de replonger presque aussitôt dans une partie de jeux pour mobiles.

Ladite réunion fut aussi l'occasion de prendre le pouls des gens qui s'adonnent aux plaisirs des croisières. Vu que le vacancier moyen flippe déjà visiblement de se retrouver confronté à des individus qui pourraient lui parler dans une langage étrangère dans un pays qui n'est pas le sien, on serait aisément tenté de croire qu'avec le naufrage du Costa Concordia et ses trente-deux morts, les touristes ont eu la bonne idée de déserter ces bateaux semeurs de mort. Que dalle.

Dans une dépêche AFP de juillet, Erminio Eschena, patron de MSC France, l'un des principaux concurrents de Costa, se félicitait d'avoir dépassé dès fin juin les performances réalisées sur l'ensemble de l'année 2011. Quant à Costa Croisières France, Patrick Pourbaix, le directeur adjoint, pouvait annoncer, tout fier, que la compagnie avait retrouvé la croissance depuis plus de trois mois déjà.

Au-delà des petits vieux qui râlent

Les croisières sont en fait une affaire qui flotte, particulièrement en France. Si les opérateurs italiens et espagnols en bavent un peu à cause de la récession, le marché français, loin d'être «mature» avec seulement 441.000 voyageurs en 2011 –contre 800.000 Italiens, 1,5 million d'Anglais et plus de 11 millions d'Américains– a largement de quoi voir venir.

Qui est le passager typique? On est en fait assez loin du cliché des couples de petits vieux qui se tapent quatre croisières par an et râlent à longueur de journée parce que les chiottes étaient mieux sur tel bateau ou que la bouffe est un peu trop salée par rapport à tel autre.

Le facteur mois d'août, synonyme de vacances populaires, n'y est assurément pas totalement pour rien, mais il n’empêche qu’on trouve de tout à bord, du père de famille looké Jean-Guy Wallemme au déconneur marseillais venu avec sa femme à moitié refaite et leurs quatre marmots, en passant par toute une colonie déprimante de petits couples de jeunes qui n’ont même pas encore 30 ans mais qui en comptent manifestement deux fois plus dans leurs habitudes de consommation.

Bien entendu, on trouve des bataillons de toutes nationalités de ces prototypes de petits vieux aux habitudes précédemment décrites, mais la diversité des profils à de quoi surprendre.

Détail pas anodin, les noirs, arabes et autres asiatiques se comptaient sur les doigts d'une main sur le Costa Voyager. D'ailleurs, c'est simple, je n'ai en fait pas vu d'asiatiques, ni d'arabes parmi les passagers à bord, les cinq doigts métaphoriques de la main étant une famille française noire. De mon expérience empirique, la croisière reste largement un loisir de petit blanc.

Dieu merci donc, cette infâme réunion commerciale et infantilisante finit par se terminer, mais nous n'eûmes pas pour autant le droit de reprendre un semblant de liberté.

Quel est le plus grand danger sur un bateau?

A la place, on nous introduisit auprès de trois bellâtres italiens tout vêtus de blanc, des officiers, qui se présentèrent sommairement avant d'envoyer une vidéo sur la sécurité à bord, celle-là même que j'avais déjà visionnée en partie lors de mon test télévisuel d'arrivée dans la cabine.

Afin de s'assurer que tout le monde avait bien vu la vidéo –probablement une leçon tirée du fiasco du Concordia, histoire de se prémunir des assureurs et autres avocats en cas de naufrage– on nous a repris la petite carte rouge qu'on nous avait filé deux heures plus tôt au moment de notre arrivée au port de Villefranche, preuve qu'on avait bien assisté à la séquence sécuritaire.

Au cours de laquelle on apprit que le plus grand danger sur un bateau est… l'incendie. Le film nous lista donc toute une batterie de petites astuces pour l'éviter ce genre de désagrément –ne pas s'endormir dans son lit avec une cigarette par exemple– et passer «une croisière agréable et sans danger», selon la formule consacrée. Evidemment, pas un mot sur le début d'incendie qui prit sur le bateau, il y a six mois à peine, en mer Rouge.

La vidéo terminée, nous eûmes droit à une démonstration sur la manière adéquate d'enfiler et attacher le gilet de sauvetage, puis Anaïs nous enjoignit de suivre un des trois officiers en direction de notre Muster Station, le point de rassemblement en cas de situation extrême au cours de laquelle nous nous verrions dans l'obligation de devoir abandonner le navire pour monter à bord de l’une de ces petites chaloupes au design rétro-futuriste, les mêmes que celles qui étaient rouillées sur le Costa Concordia et que le personnel avait été infoutu de mettre à la flotte.

Comme précisé par ce B gravé sur ma carte Costa Voyager et tracé au marqueur sur mon gilet, je suivis donc le jeune officier italien qui nous conduisit une soixante d'autres Français et moi-même au point de rassemblement B situé sur le pont 5 à babord.

De là, je m'attendais à ce qu'on nous donne de nouvelles instructions, qu'on nous explique la procédure à suivre pour monter dans la chaloupe ou pour dégoupiller et mettre à l'eau les plus petites navettes gonflables comprimées dans des sortes de barils en plastique.

Le jeune officier italien ne décrocha pas un mot, nous conduisit au point B et puis… plus rien. En deux minutes, l'affaire était pliée.

Pourtant, à en croire les statistiques que j'ai glanées dans un numéro de Science et Vie spécial paquebot, paquebots et ferrys représentent 6,3% de la flotte mondiale mais sont concernés par 9,9% des sinistres. En 2010, ils ont totalisé près d'un quart des bateaux sinistrés dans les eaux européennes.

Quant à la principale cause d'accident, à l'instar du Titanic ou du Costa Concordia, c'est généralement l'humain qui fait office de maillon faible, selon un nombre de variables allant de l'erreur de cap au capitaine qui veut montrer la côte de plus près au matelot endormi sur la passerelle.

Dernier facteur que Costa s'applique à ne pas trop mettre en valeur dans ses brochures de vente de rêves en barre, avec la pression économique, les effectifs sont réduits au plus strict nécessaire. Et comme la flotte de paquebots a presque doublé en une dizaine d'années, il a bien fallu trouver de nouveaux équipages pour assurer la bonne marche de toutes ces machines. Sans qu'on sache vraiment où tous ces gens ont obtenu leur diplôme.

Pas de quoi fouetter un officier italien donc… La partie détente de la croisière pouvait commencer pour de bon.

(à suivre)

Loïc H. Rechi (texte et photos)

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