En juin dernier, le second tour des élections législatives n’était pas encore passé que, déjà, Pierre Moscovici et Arnault Montebourg, tous deux logés à Bercy, se tournaient le dos pour leur conférence de presse. Dans la même salle, les deux ministres invitaient les journalistes à une demi-heure d’intervalle. Pourtant, comme d’autres ministres le firent avant eux, se présenter ensemble face à la presse aurait été une bonne façon de manifester la solidarité à l’intérieur d’une même équipe.
Mais pas question pour le ministre du Redressement productif et celui de l’Economie et des Finances de faire conférence commune. Pour Arnaud Montebourg, c’était une façon de signifier que, contrairement à ses prédécesseurs, les prérogatives de Pierre Moscovici ne s’étendaient pas à l’Industrie et qu’il était lui-même un ministre de plein exercice. La composition du gouvernement Ayrault, avant le résultat des législatives, n’était encore que provisoire que, déjà, on construisait des remparts pour défendre les territoires.
Exister d’ici à 2017
Tout cela n’aurait qu’une portée anecdotique si la bataille d’égos s’était arrêtée là. Mais, bien sûr, c’était impossible. Car Arnaud Montebourg se situe sur une trajectoire qui doit nécessairement le placer dans la lumière. Pas facile, car on n’imagine pas que le redressement de l’activité des entreprises puisse être mené en dehors d’une politique économique ou d’une politique du travail, de la compétence de Pierre Moscovici pour l’une, de Michel Sapin pour l’autre. Mais pas question de céder.
Car Montebourg s’est déjà imaginé dans le costume d’un présidentiable: c’était le sens de sa candidature à la primaire socialiste. Ayant, avec 17% des suffrages, dépassé le score dont les instituts de sondage le créditaient, son résultat créa la surprise: son discours radical contre la mondialisation pour défendre l’emploi en France avait fait mouche. Ce qui lui valut, comme pour le prendre au mot, d’être appelé par François Hollande pour mettre en œuvre le «redressement productif». En étant confronté au terrain, comme sur le dossier PSA.
Mais arrivé à la troisième place à ces primaires derrière François Hollande et Martine Aubry, Arnaud Montebourg ne peut que penser d’ores et déjà à une prochaine échéance présidentielle. C’est le sens de son action à venir pendant les cinq prochaines années.
Deux poids lourds en quête de territoire
Aussi, il a besoin d’exister. Plus que d’autres ministres. Et cela, même si le Redressement productif sans l’Economie ou le Travail, c’est compliqué.
C’est pourquoi, sur le projet de Banque publique d’investissement (BPI), on l’a vu reprocher à Pierre Moscovici de tirer la couverture à lui. Car la mission de Montebourg consiste entre autres à soutenir le tissu des PME, une tâche qui incombera sur le terrain à la future BPI.
Et pourtant, c’est le ministre de l’Economie et des Finances qui a pris l’initiative. Sans cette structure de financement qui devrait être son bras séculier, Arnaud Montebourg perd de son efficacité vis-à-vis des PME. D’où une bataille de communiqués entre les deux ministres.
Pour autant, Pierre Moscovici à la barre de Bercy n’entend pas céder un pouce de terrain sur ce dossier du financement des PME. A tel point que fin août, le ministre a signé avec Nicole Bricq, la ministre du Commerce extérieur, une tribune qui, sous couvert de «bataille pour la croissance», se focalise sur les entreprises –les champions nationaux, mais surtout «les PME et les ETI» et les «filières stratégiques» qui doivent s’appuyer sur les régions. En plein dans la cible d’Arnaud Montebourg, bien que ce dernier ne cosigne pas le texte.
Et force est de remarquer que le nouvel accroc à propos du mandat de conseil sur la BPI attribué par le ministère de l'Economie (et jugé regrettable par Montebourg) à Lazard France, la banque de Matthieu Pigasse, met à nouveau en scène les deux hommes, ainsi que le propriétaire du magazine où la compagne de l'ancien député de Saône-et-Loire exerce son métier de journaliste. Si l’on pensait que ce genre de maladresse ou de croche-pied n’avait plus court, on se trompait.
Sur le nucléaire, pas d’opposition de fond avec Hollande...
C’est dans ce contexte que la sortie d’Arnaud Montebourg, le 26 août dernier, sur la filière nucléaire, mérite d’être analysée. En la qualifiant de «filière d’avenir», le ministre du Redressement productif ne prend pas le contrepied de Français Hollande: au contraire, il l’accompagne.
Certes, le chef de l’Etat, dans son projet présidentiel s’est engagé à réduire «la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75% à 50% à l’horizon 2025». Il ne faut pas entendre pour autant une réduction d’un tiers des capacités. Car si on considère que les besoins énergétiques ont doublé en 25 ans et que l’électricité représente aujourd’hui 30% de toute l’énergie consommée en France, la France aura environ besoin de 15% de production d’électricité en plus à cet horizon 2025.
Bien sûr, on attend beaucoup des énergies alternatives. Mais leur mise en œuvre sera forcément longue: par exemple, les premiers parcs éoliens marins ne devraient pas être opérationnels au large des côtes françaises avant 2017. Quant à revenir à des centrales thermiques… Reste le nucléaire: François Hollande s’est juste engagé à fermer la centrale de Fessenheim durant son quinquennat, mais il a promis de mener à son terme la construction de l’EPR de Flamanville.
Autrement dit, Arnaud Montebourg ne trahit pas les engagements du chef de l’Etat en défendant le nucléaire. Ce n’est d’ailleurs pas une première puisque, dès ses premiers discours comme ministre au début de l’été, il affirmait que la France devait «garder l’avantage compétitif acquis grâce aux investissements menés par le passé» – une référence évidente au nucléaire. Mais, à l’époque, on ne l’avait pas relevé.
… mais une provocation gratuite pour les Verts
Pas de divergences sur le fond… Mais en insistant pour faire entendre sa petite musique, le ministre du Redressement productif ne peut que faire sortir les Verts de leur réserve alors qu’un accord de campagne a été conclu avec le PS avant l’élection présidentielle. Sur la forme, on est proche de la provocation. Tactiquement très maladroite pour François Hollande.
Certes, Arnaud Montebourg se défend d’avoir cherché à provoquer. Il a pourtant maintes fois pu mesurer la sensibilité du dossier. Mais comme ancien député de Saône-et-Loire, il a eu dans sa circonscription une ville comme Le Creusot où, bien que l’activité des usines de la ville dans le nucléaire ait décliné, Areva fabrique toujours des composants pour ses centrales.
Et à ses fonctions actuelles, il est en prise directe avec le Conseil général de l’Economie, de l’Industrie, de l’Energie et des Technologies (CGEIET), ex-conseil général des Mines au cœur du lobby pro-nucléaire. Comme responsable politique, Arnaud Montebourg n’est pas un anti-nucléaire et tient à le faire savoir.
Un registre qui a déjà payé
Aussi, il prend parti à travers des expressions choisies, bien conscient de l’effet qu’elles produiront. Après tout, ses anciennes extravagances verbales lui ont plutôt réussi, comme on l’a vu aux primaires socialistes. S’il veut exister pour se préparer à de prochaines échéances électorales, bien qu’il soit marqué à la culotte par Pierre Moscovici, c’est un registre qu’il devrait continuer à exploiter.
Dommage pour François Hollande et le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, obligé de «recadrer» son ministre du Redressement productif pour tenter de calmer ses alliés Verts. Car c’est l’efficacité de l’ensemble de l’action du gouvernement qui est affaiblie par ces écarts fort contrôlés.
Cette pratique est courante, dans les gouvernements de droite comme de gauche. Et de nombreux assauts à fleurets mouchetés –ou parfois à l’arme lourde— ont notamment émaillé l’activité à Bercy depuis que les locaux abritent plusieurs ministères. Mais, en général, pas aussi rapidement après une prise de pouvoir.
Gilles Bridier