Avec Neil Armstrong, décédé le 25 août à l'âge de 82 ans des suites d'une opération des artères coronaires, disparaît l’emblème d’une Amérique qui, pendant qu’elle s’enfonçait dans le bourbier de la guerre du Vietnam, a su gagner la bataille sur un autre terrain, plus pacifique: celui de l’espace. Armstrong s’est éteint quelques jours après un nouveau succès américain: l’atterrissage du robot Curiosity sur Mars. Le contraire des missions spatiales habitées qu’il incarnait.
Neil Armstrong était le prototype des astronautes américains, à ceci près qu’il n’était pas militaire lorsqu’il a rejoint la Nasa. Diplômé en ingénierie aéronautique de l’université de Purdue puis de celle de Californie du Sud, il obtient plusieurs doctorats. De 1940 à 1952, il participe en tant qu'aviateur pour la Navy à 78 missions de combat pendant la guerre de Corée. Il quitte la Navy en 1960 et rejoint le National Advisory Committee for Aeronautics (Naca), l’ancêtre de la Nasa, comme concepteur d’avions et pilote d’essai.
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Il fait alors partie des pionniers de l’aviation à très grande vitesse et haute altitude avec le X15, qui détient toujours le record de vitesse d’un engin habité dans l’atmosphère. Neil Armstrong atteindra avec lui les 6.420 km/h le 26 juillet 1962. Le record actuel, 7.274 km/h (Mach 6.72), sera réalisé le 3 octobre 1967 par William «Pete» Knight.
Armstrong, lui, aura volé sur 200 modèles différents d’avions, de jets, de fusées, d’hélicoptères et de planeurs, avant d’obtenir le statut d’astronaute de la Nasa en septembre 1962. Il est alors l’un des deux seuls civils dans ce cas avec Elliot See, qui trouvera la mort en 1966 dans le crash d’un jet d’entrainement de la Nasa.
Trois ans et demi plus tard, Neil Armstrong est nommé commandant de l’équipage de Gemini 8, avec David Scott comme pilote. La mission, vitale pour les futurs vols lunaires, consiste à réaliser, pour la première fois, un arrimage entre deux vaisseaux spatiaux dans l’espace. L’opération est un succès mais un problème technique —un fort roulis— empêche l’équipage d’effectuer la sortie dans l’espace de David Scott et impose le retour d’urgence sur Terre.
Neil Armstrong joue ensuite le rôle de commandant de secours pour Gemini 11, dont le lancement a lieu en septembre 1966 avec Pete Conrad et Dick Gordon à bord. Lui assure la fonction de responsable des communications avec la capsule (Capcom) depuis le sol.
Le 27 janvier 1967, le module de commande d’Apollo 1, première mission du programme qui doit conduire les Américains sur la Lune, prend feu lors d’un essai au sol. Les trois astronautes, Gus Grissom, Ed White et Roger Chaffee, trouvent la mort dans l’accident, faute d’avoir pu ouvrir la trappe de sortie. Avec quatre autres astronautes, Neil Armstrong est à Washington ce jour là, pour la signature du Traité de l’espace. Tous sont très affectés par le décès, dans de terribles conditions, de leurs camarades.
Un alunissage très risqué
Après ce drame, la Nasa accélère encore le rythme des vols préparatoires à Apollo 11, la première mission dont l’objectif est de poser un homme sur la Lune. Par un jeu subtil d’affectations qui ne doit sans doute pas grand-chose au hasard, Neil Armstrong est d’abord affecté à l’équipage de réserve d’Apollo 9. Le 23 décembre 1968, Deke Slayton, responsable de l’affectation des astronautes, lui propose le poste de commandant d’Apollo 11. Buzz Aldrin sera le pilote du module lunaire et Michael Collins celui du module de commande, qui restera en orbite autour de la Lune.
Le choix de celui qui posera le premier le pied sur la Lune se révèle délicat. Armstrong et Aldrin peuvent prétendre à cet honneur. Pour justifier le choix d’Armstrong, la Nasa fait valoir, lors de la conférence de presse du 14 avril 1969, la position de la trappe de sortie, située du coté d’Armstrong donc plus facile à atteindre pour lui, ainsi que sa fonction de commandant de bord. Certains rapportent que l’absence d’égo démesuré d’Armstrong à joué, en fait, un rôle important dans la décision.
Le 16 juillet 1969, à 9h32 heure locale, la fusée Saturn V décolle de Cap Canaveral, au Kennedy Space Center de l’île Merritt en Floride. Pendant la première phase de l’ascension, le rythme cardiaque de Neil Armstrong atteint les 110 pulsations par minute.
Mais le vol est surtout marqué par les alarmes liées à des problèmes de l’ordinateur de bord du module lunaire. Après coup, on apprendra que le code d’erreur 1202 qui apparaît alors, signifiant une surcharge informatique, était lié à la check-list de Buzz Aldrin, qui avait choisi le laisser le radar d’atterrissage fonctionner pendant l’approche.
Le flot de données sature la mémoire de l’ordinateur, preuve qu’à l’époque l’informatique embarquée était plus que rudimentaire. De plus, Armstrong, ayant détecté que la zone d’atterrissage programmée ne semble pas sûre, passe en commande manuelle et cherche un meilleur terrain pour se poser. Pendant cette phase critique, le seul message envoyé par le centre de commande de Houston est «30 secondes», ce qui est alors le délai restant pour atterrir avant d’être à cours de carburant.
On imagine la tension, sur Terre, pendant qu’Armstrong cherche où se poser… Mais la lumière du capteur de contact fixé aux pattes du module lunaire s’allume. Armstrong coupe le moteur. «Houston, ici Base de la Tranquilité. L’Eagle a atterri», dit-il alors. Il est 20h17, temps universel, le 20 juillet 1969.
Un petit «a» pour l'homme
Alors que le plan de vol prévoit une période de repos des astronautes après l’atterrissage, Neil Armstrong demande à Houston d’avancer l’heure de la sortie extra véhiculaire. Celle-ci n’a tout de même lieu que plusieurs heures plus tard: à 2h56, temps universel, le 21 juillet 1969, Armstrong pose sa botte gauche sur la surface de la Lune.
Il prononce aussitôt la phrase qui, malgré la très mauvaise qualité de la transmission, donne un frisson d’émotion à tous ceux qui l’entendent sur Terre: «That’s one small step for [a] man, one giant leap for mankind.» («C'est un petit pas pour un homme, mais un bond de géant pour l'humanité»).
Armstrong avait-il des instructions pour prononcer ces mots lors de cet instant historique? A l’époque, cela paraît peu probable: les communicants n’avaient pas leur omniprésence d’aujourd’hui. La télévision n’était pas, non plus, ce qu’elle est devenue. Surtout, Apollo 11 était une aventure à l’issue trop incertaine pour en planifier le message de succès. Selon le biographe de Neil Armstrong, James Hansen, l’astronaute aurait conçu sa phrase en suivant ses pensées pendant le voyage et avant sa sortie du module lunaire.
Par ailleurs, une polémique est née autour de cette déclaration. Neil Armstrong assurant avoir dit «for a man» et non «for man», qui désigne l’humanité et non un individu. L’affaire du «a» inaudible dura des années et aboutit à la décision d’écrire le «a» entre crochets. De fait, la formulation sans le «a» pose problème dans la mesure où la différence entre l’humanité et l’espèce humaine n’est pas flagrante.
L’émotion du moment n’a pas été altérée par ce problème sémantique. La voix d’Armstrong, diffusée par Voice of America, relayée par la BBC et de multiples stations de radio, aurait été entendue par 450 millions de personnes sur une population mondiale de 3,6 milliards d’individus.
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«Enchanté, en extase et extrêmement surpris»
Vingt minutes après la sortie de Neil Armstrong, Buzz Aldrin le rejoint pour découvrir les sensations de la marche sur la Lune. Très vite, ils découvrent une plaque commémorative et… ils plantent un drapeau américain qui, très froissé par le voyage, paraît flotter sous la brise. Dressé trop près du module lunaire, il sera finalement détruit lors du décollage…
Mais, dès lors, le président Richard Nixon peut dialoguer avec les astronautes. Il parle une minute et Neil Armstrong lui répond pendant 30 secondes. Les conversations très longue distance coûtent cher, sans doute…
Les astronautes ne passent que 2h30 sur la surface de la Lune, preuve qu’ils n’avaient pas prévu un programme d’exploration très chargé. Ce sera pour les prochaines missions. Apollo 11 doit surtout remplir le contrat fixé par John Kennedy en 1961:
«Poser des hommes sur la Lune avant la fin de la décennie et les ramener sur Terre sains et saufs.»
Le retour se passe sans encombre et les trois astronautes amerrissent le 24 juillet 1969, huit jours après leur départ. Des années après ce formidable succès, Neil Armstrong fera publiquement état de sa perception avant le lancement de la mission Apollo 11, à qui il n'accordait alors que 50% de chances de succès. Voici ce qu’il dira avoir ressenti après l’atterrissage sur la Lune:
«J’étais enchanté, en extase et extrêmement surpris que nous ayons réussi.»
De quoi confirmer l’égo plutôt modeste de Neil Armstrong, qui ne sera pas démenti par sa vie après la Lune.
Pas un rouleur de mécaniques
Auréolé de son succès, l’astronaute aurait pu en tirer le maximum de profit. D’autres que lui ne s’en privent pas. Mais Neil Armstrong n’était décidemment pas de la trempe des rouleurs de mécaniques. Peu après Apollo 11, il annonce son retrait des vols spatiaux.
Après un bref passage à la Darpa, la fameuse agence qui conçoit les technologies destinées à l’armée, il en démissionne et quitte également la Nasa en 1971. Il accepte alors un poste de professeur d’ingénierie spatiale à l’université de Cincinnati, où il enseigne jusqu’en 1979. Parallèlement, il participe à l’enquête sur l’accident d’Apollo 13 en 1970.
En 1986, il est nommé par Ronald Reagan à la commission Rogers, qui enquête sur le drame de la navette spatiale Challenger. Après 1979, il accepte aussi de collaborer comme porte-parole de différentes entreprises américaines et d’intégrer plusieurs conseils d’administration. En revanche, il refuse toutes les offres pour entrer en politique comme d’autres anciens astronautes (John Glenn, devenu sénateur de l'Ohio, ou Harrison Schmitt, élu sénateur du Nouveau-Mexique).
En 1994, après 38 ans de mariage avec Janet, il divorce et se remarie avec Carol Held Knight. A partir de ce moment, il décide de refuser tous les autographes en raison du trafic auquel ils donnent lieu. Il combat également les usages non autorisés de son nom, de son image ou de ses citations. Et fait don des gains des procès qu’il gagne à des œuvres de charité ou à l’université de Purdue.
Ainsi, en mai 2005, il attaque son coiffeur, Marx Sizemore, dont il est le client depuis vingt ans et qui a vendu des mèches de ses cheveux à un collectionneur pour 3.000 dollars. Armstrong le contraint à faire don de cette somme à une œuvre.
Au final, un homme étonnant et assez étrange. Couvert d’honneurs après une vie d’aventures, de risques et d’émotions hors du commun, Neil Armstrong semblait avoir perdu le goût de type d’activités. Peut-être avait-il fait le plein de sensations fortes pour, finalement, se contenter d’une vie plus simple. Celle, tout de même, de l’un des hommes les plus célèbres de la planète: pour toujours, il restera celui qui le premier a posé le pied sur la Lune, à la surprise générale. Y compris la sienne.
Michel Alberganti