Brad Pitt serait dans tous ses états. Selon la presse people, l’acteur croule sous les préparatifs pour son mariage imminent avec Angelina Jolie.
«Angelina Jolie ne s’inquiète pas plus que ça de savoir quand ils convoleront – c’est Brad qui fait monter la pression», selon «une source» qui se serait confiée au Sun (les guillemets et les conditionnels sont là pour indiquer le sérieux de la source. Sans doute la même qui a indiqué à France 3 que le couple le plus cool d’Hollywood allait se marier ce week-end).
«Il veut que la maison soit fin prête pour l’événement, même si les amis proches et les membres de la famille qui sont invités ne sont pas du genre à prêter attention à ça».
Brad Pitt s’agite, s’inquiète. Et voilà que les tabloïds ont lâché le mot: le «Groomzilla» est de sortie. Un Groomzilla? «L’équivalent mâle de bridezilla», explique l’Urban Dictionnary - un phénomène très américain. Soit la contraction de Groom (fiancé en anglais) et Godzilla (le monstre vert des films japonais).
Bridezilla (bride signifie la fiancée en anglais) est un mot bien connu aux Etats-Unis: il existe depuis environ une décennie sur l'Urban Dictionnary. Longtemps, il n’a pas eu d’équivalent masculin. Aucun besoin, puisque ce qu’il désigne (un monstre hystérique, obsédé par la planification du mariage) est «typiquement» féminin.
Le mariage, un truc de filles
D’abord, qui rêve de se marier, sinon les femmes? Et n’est-ce pas le but ultime d’une vie de femme? Pourquoi donc le mari devrait-il se préoccuper de quoi que ce soit? Le monde vous crie que le mariage, c’est un truc de filles, qui, quand elles étaient petites, après avoir joué à la poupée, s’imaginaient leur robe de mariée.
Il y a évidemment un fondement culturel à cela. La sphère publique ayant toujours (jusqu’il y a quelques décennies, ça fait peu sur l’histoire de notre civilisation) été réservé aux hommes, la sphère privée était le domaine des femmes. Comme l’explique le sociologue spécialiste de la famille François de Singly, les hommes ayant plus de droits, plus d’avantages, «ils pouvaient se construire à la fois dans leur vie sociale, professionnelle, et intime. A l’inverse, la construction de l’individualisation pour les femmes ne pouvait passer que par ses proches, et surtout son mari, dont elle dépendait». Cet épanouissement féminin par l’intime existe a fortiori à partir du moment où le mariage s’est basé sur un lien amoureux.
La comédie romantique sur le mariage, sous-genre à part entière de la comédie romantique, perpétue à l’envie ce cliché de la femme avide de mariage. Meilleures ennemies, 27 Robes, Un Mariage trop parfait, Muriel, Permis de mariage, Fashion Victime... Dans Ce que pensent les hommes, le personnage de Beth (Jennifer Aniston, ex-femme de Brad Pitt) rompt même avec l’homme qu’elle aime parce qu’il refuse de l’épouser, car le mariage de l’intéresse pas. Avant qu’il ne cède, pour lui faire plaisir à elle.
Même dans Le Mariage de mon meilleur ami [attention SPOILER pour ce film de 1997] où le scénario a l’extrême originalité de ne pas marier l’héroïne à l’homme qu’elle voulait, le but de cette héroïne est quand même de se faire passer la bague au doigt. Vous ne verrez jamais une femme lancer à la fin d’une comédie romantique grand public, comme Hugh Grant à Andie MacDowell, [re-SPOILER, 1994]dans Quatre mariages et un enterrement: «Accepterais-tu de ne pas m’épouser?»
Et puis organiser un mariage, on ne va pas se mentir, cela consiste en gros à choisir des napperons, le menu, et placer des invités: un «prolongement des fonctions domestiques», dirait notre ami Bourdieu.
Utérus, Hystérie
Chez la bridezilla, il y a également une notion d’hystérie. Vous savez, cette maladie si féminine…
Hystériques sous hypnose à la Salpétrière par D.M. Bourneville et P. Régnard.
D’Hippocrate à Charcot, en gros, on a pensé que seules les femmes étaient atteintes d’hystérie. Et s’il a été prouvé depuis plus d’un siècle que cette névrose n’a rien à voir avec l’utérus (qui a donné son nom à l'hystérie), mais surtout n’est pas propre au sexe féminin, elle reste dans l'imaginaire liée aux femmes.
Les mêmes comédies romantiques qui font passer les femmes par des obsédées du mariage les présentent comme fortement susceptibles de s’égosiller si tout ne se passe pas comme prévu (parfois au second degré, parfois pas). La télévision américaine a même conçu un format de téléréalité intitulé Bridezillas. Une émission qui prétend faire entrer les spectateurs dans le monde «des préparations de mariage mouvementées, où les futures épouses sont déterminées à obtenir le mariage parfait. Elles se battent avec leurs amis, leur famille, et leur futur mari pour obtenir tout ce qu’elles veulent pour leur mariage et pour qu’il soit exactement comme elles le souhaitent». Somme toute émission progressiste qui casse les stéréotypes.
Hystérie paritaire
Mais voilà, les Groomzillas sont arrivés. Les organisateurs de mariages américains en ont rencontré, et ils sont parfois «plus effrayants que la plus effrayante des mariés»… L’an dernier, un groomzilla du nom de Craig Bridger s’était même confessé dans les colonnes du New York Times. La nuit, il rêvait de cravates, le jour, il passait des heures à rédiger les faire-part.
«Quand nous nous étions fiancés, des amis m’avaient conseillé d’hocher de la tête et de laisser Tara [sa femme] s’occuper de tout. Et même si de plus en plus d’hommes s’impliquent dans l’organisation de leur mariage (…) c’est ce que la majorité des gens attendent du futur mari. La sagesse populaire veut que le mari (à l’image d’un enfantsoit présent mais n’ouvre pas la bouche. Les vrais mecs, dicte la logique, n’en ont rien à faire des mariages. Et cela fait souffrir Groomzilla — cela le fait pleurer. Mais seulement intérieurement. Il ne faut pas qu’il fasse couler l’auto-bronzant».
80% des hommes se sentent désormais impliqués dans leur mariage, selon Bridal Guide Magazine, un magazine spécialisé pour les mariéEs. Et les groomzillas sont de plus en plus nombreux parmi eux. Si cette espèce très humaine de maris plus impliqués que leur femme est encore méconnue, cela s'apprête peut-être à changer. Quand Brad Pitt, l’incarnation même de la virilité, peut faire une fixation sur une bague et des fleurs, c’est bien que les préparatifs de mariage ne sont pas l’apanage des femmes. Grâce à lui, les groomzillas vont sans doute prendre de l’ampleur - et libérer un peu la femme de son rôle d’hystérique en robe blanche. Comme la réalisation d'une promesse faite il y a 21 ans, à l'heure où l'on voyait un blondinet superbe débarquer pour la première fois sur les écrans de cinéma. Brad Pitt faisait son entrée avec Thelma et Louise, qui racontait la réponse de deux femmes à la violence masculine du monde.
Charlotte Pudlowski