Les révisions en baisse des perspectives de croissance alourdissent les contraintes sur les politiques économiques. Pourtant, des leviers existent pour tenter de stimuler la relance. Mais dans un contexte de récession, leur efficacité se réduit.
Aussi, l’annonce de la Banque de France a fait l’effet d’une douche froide: si, comme elle le prédit, le PIB recule de 0,1% au troisième trimestre de l’année après un deuxième trimestre tout aussi mauvais, l’économie française sera entrée en récession. De sorte que l’espoir d’une hausse limitée à un petit 0,3% sur l’année apparaît déjà très fragile.
La France n’est pas seule à s’enfoncer dans la crise. Avec une chute de 0,7% du PIB au deuxième trimestre 2012, la Grande-Bretagne a enregistré son troisième trimestre de baisse consécutif. Et l’euro, en la circonstance, n’y est pour rien, n’en déplaise aux eurosceptiques.
D’une façon générale, à la mi-juillet, le Fonds monétaire international (FMI) a revu ses prévisions à la baisse, «en raison principalement des problèmes financiers persistants en Europe et de la croissance moins forte que prévu des pays émergents».
Les projections pour la zone euro ont viré au rouge (-0,3% sur l’année), et le Fonds évoque pour les Etats-Unis «une panne de la croissance due à un resserrement excessif de la politique budgétaire causée par l’impasse politique».
Un essoufflement général
Tout cela dans un contexte de ralentissement pour un certain nombre de grands pays émergents, en particulier le Brésil, la Chine et l’Inde, à cause de «l’affaiblissement de la conjoncture extérieure et à la nette décélération de la demande intérieure».
On guette toujours la moindre décision des autorités européennes pour relancer la machine. La baisse du taux directeur de la BCE (d’un quart de point à 0,75%) décidée début juillet était attendue, et il en faudra plus –comme une nouvelle baisse de ce taux en septembre– pour revigorer l’économie en abaissant le coût du refinancement.
Dans ce genre de situation, l’une des solutions consiste à faire tourner la planche à billets, comme la Grande-Bretagne en a fait la démonstration en décidant, début juillet, d’injecter 50 milliards de livres supplémentaires pour soutenir son économie.
La zone euro a aussi besoin de mettre en œuvre une politique monétaire plus agressive qui ne craigne pas l’inflation, afin de restaurer un peu sa compétitivité. Paul Krugman, prix Nobel d’économie, n’y va pas par quatre chemins: «L’inflation n’est pas le problème, c’est la solution!».
Et si on laissait filer un peu l’inflation ?
En réalité, il enfonce le clou déjà planté par le chef économiste du FMI, Olivier Blanchard, en 2010 lorsqu’il avait conseillé de repenser les avantages et les coûts de l’inflation, et préconisé d’abandonner la cible des 2% pour passer à 4%. Une thèse reprise par d’autres économistes comme Kenett Rogoff appelant à ne pas mener les guerres des années 70, ou Jacques Attali (également cofondateur et chroniqueur de Slate.fr) considérant que «si elle est faible, l’inflation n’est pas l’ennemi absolu».
On a pu penser que, pour atténuer les effets de la crise, la zone euro s’était affranchie de la règle des 2% lorsque, à l’automne 2011, elle franchit les 3% en rythme annuel. Mais elle est ensuite revenue à des niveaux plus orthodoxes, de l’ordre de 2,3% en juin 2012. Et Mario Draghi, le président de la BCE, prédit un niveau inférieur à 2% dès la fin de l’année – ce qui justifie que les opérateurs de marché misent sur une nouvelle baisse des taux directeurs en septembre.
La récession complique la situation
Faudrait-il en faire plus pour, justement, laisser l’inflation filer un peu plus? En période de récession, la question est plus compliquée. L’inflation se traduit toujours par une hausse des prix. Si les salaires ne peuvent pas suivre du fait de la récession, il s’ensuit une baisse du pouvoir d’achat et donc un recul de la consommation qui est un des moteurs de la croissance économique.
Or, un des problèmes des pays de la zone euro réside entre autres dans le manque de compétitivité de leurs entreprises. Pas question, dans ces conditions d’alourdir le coût du travail en augmentant les salaires.
Les entreprises le paieraient trop cher. Et les salariés tout autant, dans un contexte où le chômage continue d’augmenter: touchant 17,8 millions de personnes dans la zone euro (soit un taux de 11,2%), il a progressé de plus de 11% par rapport à juin 2011. Renchérir le coût du travail dans ces conditions serait suicidaire pour l’emploi.
L’objectif consiste bien à éviter la combinaison d’une inflation forte, d’une croissance économique nulle ou presque et d’un chômage élevé. Car ce sont les trois ingrédients de la stagflation. Or, déjà en 1990, Pierre Bérégovoy aux Finances déclarait:
«Tout doit être fait pour endiguer l’inflation; tout doit être fait aussi pour éviter une récession (…). Nous devons donc naviguer au plus juste pour ne pas échouer dans la stagflation.»
Gare à la «stagflation»
Malgré tout, les trois ingrédients sont là: la zone euro, et la France dans cet ensemble, apparaissent au bord de la stagflation. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a plus rien à tenter. A 2% d’inflation, il existe encore quelques marges de manœuvre. En outre, il ne faudrait pas que, focalisée sur le spectre de l’inflation, la zone euro se laisse entraîner dans la déflation, tout aussi dangereuse pour l’économie que l’inflation.
La BCE peut notamment racheter de la dette des pays comme elle le fit déjà pour la Grèce, l’Italie et l’Espagne, en se limitant à la dette à court terme pour ne pas déclencher les foudres de l’Allemagne opposée aux dispositions inflationnistes comme le rachat de dette à long terme. Déjà, en 2010, la Banque centrale avait transgressé les règles en rachetant plus de 140 milliards d’euros de dette publique.
Depuis, de nouveaux outils ont été définis. Le Mécanisme européen de stabilité (MES) qui doit prendre la relève du Fonds européen de stabilité financière (FESF), se met en place comme l’a décidé le Conseil européen de fin juin.
Ce nouveau fonds, émetteur de dette, est dotée d’une force de frappe de 500 milliards d’euros qui s’ajouteront aux quelque 250 milliards d’euros dont dispose encore le FESF.
Ces sommes doivent être utilisées pour venir en aide aux pays de la zone en crise qui pourront par ce biais se refinancer à de meilleures conditions ou obtenir des lignes de crédit. A condition d’accepter, toutefois, des contreparties.
Avec ces différents outils, on ne parle pas de planche à billets. Mais s’agissant de rachat ou d’émission de dette, on est bien dans le cadre de mesures inflationnistes. Avec en contrepartie pour éviter un dérapage, un dispositif de supervision bancaire réclamé par l’Allemagne pour les pays de la zone euro.
La difficulté, à ce stade, consiste à tout faire fonctionner ensemble pour que, comme le clame Mario Draghi, la monnaie européenne fasse la démonstration de son caractère «irréversible» et que la zone euro utilise son énergie à se relancer plutôt qu’à se défendre sur les marchés.
Toutefois, la vraie solution pour sortir l’Europe de l’ornière, à laquelle même l’ingénierie financière est soumise, réside dans la compétitivité des entreprises pour stimuler la croissance. Il n’est pas d’autre solution pour sortir de la récession où la France, entre autres, est retombée. De ce point de vue, à force de vouloir se donner du temps, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault risque de laisser la situation s’envenimer.
Gilles Bridier