Le 5 août 1962, Marilyn Monroe était retrouvée
morte dans sa chambre, à 36 ans, un flacon de somnifères vide à son
chevet. Quatorze autres flacons de médicaments et pilules sur la table
de nuit. Cinquante ans après sa mort, l'actrice demeure l'une des icônes
de la culture et de la pop culture. A l'occasion du cinquantenaire de
sa mort, Slate s'interroge sur son héritage en plusieurs volets. Le troisième : Marilyn Monroe, et la beauté naturelle.
Un moyen de mesurer la fascination que continue de susciter Marilyn Monroe c’est d’aller sur Tumblr. Outre les très nombreux blogs qui lui sont entièrement dédiés, on voit passer sans cesse des images ou des gifs d’elle, venant aussi bien de pré-adolescentes en quête d’identité que de trentenaires installés. La nouveauté depuis quelque temps c’est que la plupart de ces photos sont accompagnées de notes type «Marilyn faisait du 42, elle était considérée comme la plus belle femme du monde, c’était une vraie beauté NATURELLE», ou autre message opposant Marilyn, beauté libre et authentique, aux diktats actuels de la beauté. Mouais… Marilyn naturelle, une idée à revoir.
Il suffit de comparer quelques photos de Monroe pour se rendre compte qu’elle a eu plusieurs visages et physiques. En caricaturant grossièrement, on distingue :
Norma Jean (période ouvrière):
Photo de David Conover, 1944, Norma Jean à l’usine où elle travaillait
L’icône Marilyn à la grande époque (Période Les hommes préfèrent les blondes):
Photo de Frank Powolny, 1952
Marilyn en taille 42 (période Certains l’aiment chaud):
Photo de Sam Shaw, 1958
Marilyn à la fin de sa vie, (période très mince):
Photo de Lawrence Schiller sur le tournage de Something’s gotta give
La dichotomie «Norma Jean la pauvre orpheline» versus «Marilyn Monroe le sex-symbol» (soit photo 1 et 2) est devenue une tarte à la crème sur le sujet. Mais une période – à mes yeux la plus intéressante – est souvent passée sous silence. Les années 1948/49, qui correspondent au moment de sa transformation, quand elle cherche comment se démarquer des toutes les autres aspirantes actrices, comment devenir Marilyn Monroe. Elle est mannequin et tente vainement de décrocher des rôles mais ne tape pas vraiment dans l’œil des producteurs. La journée, elle déprime dans sa chambre. La nuit, elle traine dans des soirées à Hollywood où elle joue les pique-assiettes. C’est dans l’espace de ces deux/trois ans qu’elle va sciemment se métamorphoser en Marilyn Monroe.
D’abord, il y a l’opération du nez. Les fans puristes vous expliqueront que non, Marilyn ne s’est pas faite refaire le nez. C’est vrai, on lui a juste affiné en retirant du cartilage. Un débat fait rage chez les aficionados pour déterminer si oui ou non on considère cela comme de la chirurgie esthétique. En tout cas, elle est passée sur le billard pour son nez.
Il y a également un gros débat sur un éventuel implant au menton, mais rien n’est prouvé.
Par contre, elle s’est fait blanchir les dents – classique. Elle a également subi une épilation à l’électrolyse pour modifier l’implantation de ses cheveux sur le haut du front. (j’aimerais savoir quel producteur ou agent sadique lui a suggéré cette torture.)
De manière générale, sur cette période, le gros du travail a concerné ses cheveux. Il y a donc l’épilation mais également le raidissement de ses boucles à la soude caustique (le même produit qui sert à déboucher les chiottes).
D’ordinaire, on dit que Norma Jean était naturellement rousse. En réalité, pas du tout. Elle était châtain, tout ce qu’il y a de plus banal. Les photos d’elle en rousse datent du moment où elle commence une décoloration. Pendant huit mois, elle va tenter tous les dégradés de blond possibles jusqu’à arriver à son blond platine.
Photo
d’André de Dienes, 1949
Ensuite, il y a évidemment le grain de beauté sur le haut de la lèvre qui fait une apparition de plus en plus voyante sur les photos. Et si vous faites bien attention, vous remarquerez qu’elle va également inventer le sourire Marilyn, ce sourire lèvres largement ouvertes qui découvrent les dents et presque les gencives et qui doit être le fruit d’heures de travail devant son miroir.
Pour ce qui est de son poids, il variait en fonction des médicaments qu’elle s’enfilait. Mais le 42 dont on dit qu’il lui va si bien n’était pas franchement la taille qu’elle préférait. Pour le tournage de son dernier film – Quelque chose va craquer de Cukor – elle fait un régime pour retrouver sa minceur et l’exposer lors de la fameuse scène de la piscine, scène qu’elle choisit de tourner nue, et dont elle orchestre plus ou moins les fuites des photos dans les journaux pour montrer aux studios qu’elle garde son aura de star.
En prime, rajoutons qu’elle expliquait elle-même en avoir pour 4heures de maquillage et coiffure avant de se transformer en Marilyn.
Donc Marilyn reine de la beauté naturelle n’est qu’un nouveau mythe créé par notre époque. Elle subissait autant les diktats sur le physique que les jeunes actrices de nos jours.
Evidemment, Marilyn Monroe ne se résume pas à une création de coloriste démoniaque. Elle était d’une photogénie dingue, d’un sex-appeal impressionnant, elle fascinait ceux qui la rencontrait – et ça, ce n’est pas le résultat d’opérations de chirurgie ou de soude caustique. Mais il n’empêche que le travail sur son image qu’elle a fait pendant ces années-là l’a amené à devenir une icône.
Au début de sa carrière, elle s’est donc servie de son corps pour accéder à son rêve, devenir actrice. En 1955, elle quitte Los Angeles pour s’installer à New-York et monter sa propre boîte de production. Elle ne veut plus des rôles sexy dans lesquels la cantonne Hollywood – rôles pour lesquels, en plus, elle est sous-payée. Elle veut devenir une véritable comédienne. A cette époque, elle note un rêve qu’elle fait:
«Le meilleur des chirurgiens – Strasberg [1] doit m’ouvrir le corps ce qui m’est égal puisque le Dr H m’a préparée – m’a donnée un anesthésiant, mais elle a fait aussi un diagnostic et est d’accord avec ce qui doit être fait – une opération – pour me rendre à la vie et pour me guérir de cette terrible maladie, quelle qu’elle soit. (…) Strasberg m’ouvre après que le Dr H m’a fait l’anesthésie et a tenté par des moyens médicaux de me réconforter – tout dans la pièce est blanc en fait je ne vois personne juste des objets blancs – ils m’ouvrent (…). Et il n’y a absolument rien – Strasberg est profondément déçu (…) la seule chose qu’on a découverte c’était de la sciure finement coupée – comme sortie d’une poupée de son – et la sciure s’est répandue partout sur le sol et la table.» (in Fragments, p 97)
On ne va pas psychanalyser une morte n’est-ce pas, mais ce cauchemar frappe tout de même par la dichotomie entre son corps et ce qu’elle se sent être – et ne pas être.
Quand j’étais petite, je voulais absolument être (comme) Marilyn Monroe. Je n’avais pas encore compris que le visage radieux qu’elle offrait en photo n’était pas celui qu’elle avait le matin en se réveillant. Je prenais au premier degré sa déclaration: «give a girl the right shoes and she can conquer the world» (donnez à une fille les bonnes chaussures et elle peut conquérir le monde).
Alors quel est le vrai visage de Marilyn Monroe? Il n’y en a pas un qui soit plus authentique, avec ou sans cartilage supplémentaire dans le nez. Peu importe l’époque de sa vie, il reste sa photogénie, ce truc inexplicable qu’elle dégageait comme sur cette photo, une des plus fascinantes de Marilyn sans fard, en 1946, soit avant tous les changements énumérés précédemment:
Photo
d’André de Dienes, été 1946, sur une plage de Malibu en fin d’après-midi
Titiou Lecoq
[1] Lee Strasberg est son professeur de théâtre. Retour à l'article.