A leur naissance, Sam et Ivan Raimi ont sûrement reçus la bénédiction d'une tzigane bienveillante, car la sortie de leur dernier film, un petit bijou qui s'appelle Jusqu'en enfer (Universal), bénéficie d'un timing quasi miraculeux. Alors que l'économie sombre dans le gouffre ouvert par la crise financière, cette histoire de saisie immobilière qui tourne au cauchemar peut être lue comme une allégorie des maux qui s'abattent sur l'Amérique contemporaine, ce qui lui confère une résonance sociale que ne renieraient par les critiques les plus sérieux. Mais je vous rassure, la meilleure raison d'apprécier ce film n'a rien de sérieux: il est bien gore, bien terrifiant et surtout, très drôle.
Christine (Alison Lohman), une jolie blonde un peu ordinaire mais qui a bon cœur, est employée au service des prêts dans une banque de Los Angeles. Elle est intelligente, ambitieuse (même si, comme le suggère adroitement le film, elle a encore honte de son passé de péquenaude grassouillette) et elle a rencontré le fiancé idéal (interprété par l'attendrissant Justin Long, qui pour moi, désolé Justin, restera toujours le type de la pub Apple) un prof de fac qui l'aime à la folie et, ce qui ne gâche rien, dont les parents sont très riches. Au boulot, Christine vise une promotion, mais son patron (David Paymer) lui fait bien comprendre que pour l'obtenir, elle devra apprendre à prendre des «décisions difficiles» à propos des clients qui sont en retard dans leurs remboursements (c'est-à-dire, faire saisir leur maison). Obstacle supplémentaire, son rival, le très hypocrite Stu (Reggie Lee), la traite déjà comme s'il était son patron.
C'est alors qu'une vieille dame hongroise à moitié aveugle, Mme Ganush (Lorna Raver), se présente au bureau de Christine pour lui demander, et rapidement, pour la supplier, de lui accorder un délai supplémentaire sur le crédit de sa maison. Vous avez compris : pour faire plaisir à son patron, Christine sert les dents et s'oblige à refuser toute aide à la pauvre femme. (Mémo à moi-même, en gras : « Ne jamais faire ça. Donner un petit délai à la dame tzigane avec les ongles tout sales. »)
Mais Christine reste insensible et Mme Ganush se venge en déchaînant contre elle la malédiction du lamia. Le soir même, un diseur de bonne aventure d'origine hindoue (Dileep Rao) lui explique qu'elle sera poursuivie par d'horribles visions pendant trois jours, au terme desquels un démon viendra l'emmener en enfer.
Les différents stratagèmes auxquels a recours Christine pour échapper à son sort constituent les deux derniers tiers du film. Elle lit de vieux grimoires, met tout ce qu'elle a en gage pour se payer les services d'un médium (Adriana Barraza) et se résout à commettre des actes dont elle ne se serait jamais crue capable (et dont cette spectatrice n'aurait jamais cru pouvoir rire). Je vous l'accorde, Sam Raimi a peut-être parfois la main lourde sur la projection de substance dégoûtante en direction de son héroïne. Par exemple, le fait d'être aspergée de liquide d'embaumement alors qu'on est sous un cadavre est-il vraiment terrifiant ? N'est-ce pas plutôt le fait qu'on est sous un cadavre, qui fait peur? Mais quand il vous mijote une bonne vieille séquence de suspense (quelle est cette ombre derrière le rideau? Qui est en train de monter l'escalier? Mince, la poignée de la porte a bougé!), il est imbattable.
Même ce qui peut sembler légèrement ringard, comme le regard parfois un peu vide de Lohman ou la musique un peu lourde sur les violons de Christopher Young, marche parfaitement dans le film de Raimi, tout simplement parce cela fait partie de son style. N'oublions pas que le réalisateur a fait ses débuts avec The Evil Dead, qui mélangeait horreur et humour en repoussant les limites du grotesque et a influencé toute une génération d'artisans du gore. A ce titre, Jusqu'en enfer est moins proche de l'horreur contemporaine («l'extrême» japonais, la boucherie sadique de Saw, etc.) que des films des années 1970-80, qui nous semblent aujourd'hui étrangement innocents, avec leur occultisme premier degré (L'Exorciste) et leurs héroïnes terrifiées mais indomptables (Jamie Lee Curtis dans Halloween). Jusqu'en enfer dispose de moyens bien plus confortables que la série Evil Dead, mais ses habits plus cossus cachent le même enthousiasme, et le même talent.
Depuis sept ans, Sam Raimi est totalement absorbé par Spider-Man, dont le prochain épisode devrait sortir en 2011. J'espère qu'il continuera à réaliser la série, qui, sans lui, perdrait le peu de panache qui lui reste. Mais entre deux coupes de champagne en compagnie de Tobey Maguire et Kirsten Dunst, Sam Raimi serait bien avisé de s'encanailler davantage. C'est un plaisir de le suivre jusqu'en enfer.
Dana Stevens
Traduit par Sylvestre Meininger -
Sortie française le 27 mai.