En Allemagne, la petite ville de Triberg, réputée pour ses cascades et ses pendules à coucou, a fait couler beaucoup d’encre début juillet, quand le maire, Gallus Strobel a inauguré un parking de 220 places avec des emplacements plus larges réservés aux femmes.
Pour se faire un bon coup de pub, Strobel y est allé franco et a demandé à deux architectes, un homme et une femme, de dessiner 14 places «sexuées» plus ou moins «difficiles»: vu le manque évident d’habileté de ces dames, 12 emplacements très larges, fortement éclairés et près des sorties, ont été estampillés «réservé aux femmes» et indiqués au moyen d’un grand symbole «féminin» peint au sol. Dans la même logique, deux places non rectangulaires exigeant une manœuvre en marche arrière entre murs et piliers, ont été étiquetées «réservé aux hommes», afin d’épargner au beau sexe cette épreuve trop gourmande en testostérone. Rien que ça.
«Manque d'humour»
Comme l’a rapporté le quotidien Süddeutsche Zeitung, Strobel a justifié la démarche en affirmant sans complexe que «les hommes [étaient] en général meilleurs dans ce genre de défi», et en reprochant aux critiques émises dans le monde entier de «manquer d'humour, ce qui est typique du politiquement correct». Afin de remplir les caisses touristiques de sa ville, le maire a encouragé les femmes à «venir lui prouver [qu’il avait] tort». Et selon le Daily Mail, des curieux désireux de tester leurs capacités d’orientation spatio-temporelle ont déjà relevé le pari dans ce drôle de parking.
Sans vouloir apporter à Strobel la publicité qu’il recherche tant, l’affaire mérite quand même qu’on se pose la question: les femmes sont-elles vraiment moins bonnes que les hommes pour se garer?
Les femmes se garent plus lentement, mais mieux...
La science n’est pas aussi catégorique que Strobel, et certaines études auraient même tendance à indiquer le contraire. National Car Parks (NCP), premier exploitant de parkings au Royaume-Uni, a évalué anonymement la «capacité à se garer» de 2.500 femmes et hommes en notant leurs performances selon sept critères. Et non seulement les conductrices obtiennent une meilleure moyenne générale que les conducteurs (13,4 sur 20 contre 12,3), mais elles excellent aussi dans la manœuvre même qui leur interdit les places pour hommes dans le parking de Triberg: la marche arrière.
Et bien que les femmes mettent en moyenne 21 secondes pour se garer —5 secondes de plus que les hommes— elles étaient 11 % de plus à s’essayer à la marche arrière, plutôt que d’avancer «tout simplement» dans un emplacement. Ces quelques secondes supplémentaires ne seraient donc pas une preuve de capacités défaillantes, mais de concentration: ces dames centrent leur véhicule 53 % des fois, contre 25 % pour ces messieurs.
... ou moins bien?
Certaines recherches vont cependant dans le sens inverse. Une étude menée par Claudia C. Wolf et son équipe à l’université de Bochum dans la Ruhr —décrite ici par Tom Vanderbilt— suggère en effet que les hommes sont en même temps plus rapides et plus adroits pour se garer entre des voitures. Accordant une certaine foi aux idées reçues, l’étude reprend également des recherches antérieures qui concèdent aux hommes une légère supériorité en cognition spatiale, notamment pour les mouvements qui requièrent une «rotation mentale», comme l’action de se garer.
Même les statistiques de l’examen au permis de conduire révèlent une nette différence entre les sexes: d’après les données recueillies par la Driving Standards Agency anglaise [équivalent de la Sécurité routière en France] pour les années 2010-2011, 40.863 femmes ont échoué à l’examen à cause d’un «manque de maîtrise» pendant la manœuvre pour se garer en marche arrière, contre 18.798 hommes.
Un manque de confiance dû aux stéréotypes
Une telle disparité ne dénote pas forcément une quelconque déficience innée chez les femmes. Le plus probable est que leurs performances sont grevées par le manque de confiance en soi. Des sondages menés par NCP dans le cadre de son enquête ont en effet montré que moins d’une femme sur cinq pensait être meilleure que les hommes pour se garer, et que moins d’une sur trois s’estimait plus adroite que son partenaire. Ces doutes peuvent avoir un impact sur la conduite des femmes, qui sont handicapées par des stéréotypes tenaces (un article de Vanderbilt dans Slate nous en apprend davantage sur ce «différentiel de performances» sur les parkings).
Du reste, le psychologue Zachary Estes de l’université de Warwick [Grande-Bretagne], ainsi que le docteur Sydney Felker du centre hospitalier de l’université de Georgia [États-Unis] ont découvert que les femmes faisaient de nets progrès en orientation spatio-temporelle, y compris dans les manœuvres pour se garer, quand les stéréotypes négatifs étaient battus en brèche à l’aide de messages encourageants. Il n’est guère surprenant que de nombreuses femmes se garent plus lentement, aient davantage besoin de repositionner leur véhicule, et échouent plus souvent aux épreuves de manœuvres en marche arrière quand la société les a convaincues qu’elles étaient mauvaises au volant.
De meilleures conductrices
Quoi qu’il en soit, les femmes sont meilleures sur la route. Car quand les hommes quittent la relative sécurité induite par une allure lente, des murs et des piliers, quand ils se lancent dans la jungle de la circulation, leur avenir est moins assuré que celui des conductrices. [Aux États-Unis], ils seraient ainsi responsables d’environ 80 % des accidents de la route graves ou fatals, et se trouvaient derrière le volant lors de 6,1 millions d’accidents en 2007, contre 4,4 millions pour les femmes.
S’il est vrai que les hommes parcourent plus de kilomètres (ce qui contribue mécaniquement à un nombre plus élevé d’accidents et à une meilleure maîtrise de son véhicule pour se garer, ne serait-ce que par la pratique), ils sont aussi plus dangereux et sont trois fois plus nombreux à être arrêtés pour conduite en état d’ivresse. Soyez prudentes sur la route, mesdames.
Marcelle Friedman
Traduit par Chloé Leleu