Culture

Les gays au cinéma, ce sont les hétéros qui les jouent le mieux

Temps de lecture : 7 min

La question n'est pas leur préférence sexuelle, mais de savoir s'ils sont acteurs ou non.

James franco et Sean Penn dans Harvey Milk, de Gus Van Sant.
James franco et Sean Penn dans Harvey Milk, de Gus Van Sant.

Pour nous, les gays, ça n'a pas été facile à avaler. Au fur et à mesure des années et des films, nous avons fini par admettre qu'au cinéma, les hétéros sont souvent meilleurs pour jouer les gays. C'est un signe des temps. La perméabilité de l'idée homosexuelle dans la société moderne progresse, c'est indéniable, et le cinéma en est le reflet. Fini l'époque où les hétéros redoutaient de s'engager dans des rôles qui pourraient les «enfermer».

Aujourd'hui, n'importe quel acteur hétéro se doit de passer par la case gay pour montrer l'étendue de son art. Cela fait partie du cahier des charges, un rite de passage, comme jouer un boxeur ou perdre 20 kilos pour devenir Gandhi. Bref, si vous faites du cinéma et que ça vous hérisse de voir un mec embrasser un autre homme, il vaut mieux changer de métier. Car, en plus, ils le font désormais si bien qu'on se demande parfois où ils sont allés chercher tout ça.

C'est comme Ken Jeong de Very Bad Trip. Il est hystérique! Plus folle que folle! Ce type va nous avaler tout crus! Et regardez Zach Galifianakis, toujours dans Very Bad Trip mais surtout dans Due Date. Même s'il joue un hétéro, ce gros bear se dandine avec son chien comme un hétéro-folle qui provoque toutes les calamités sur son passage. Il a un petit sashay dans le mouvement du bassin tout droit sorti de La Cage aux Folles II (le plus dément). Il faut être très bon pour parvenir à réussir une démarche si camp, sur le fil du rasoir entre le travelo et le mec paumé. Ces deux acteurs, déjà, on est jaloux: «Mais c'est NOTRE truc là, ils n'ont pas le droit de nous le piquer!».

Des gays partout

Ben si. Ils vont se gêner. Il y a des acteurs que l'on adore pour leur exploration du comportement gay, même quand il est banal. Certains pensent que c'est l'équivalent de la Blaxploitation, quand un sujet minoritaire devient un vecteur de succès commercial, une recette juteuse qu'il faut exploiter à fond.

Franchement, je fais partie de ces gays qui considèrent que plus il y a des personnages LGBT partout, mieux c'est. Même si ça finit par nous dégoûter nous-mêmes, c'est ironique. On a grandi dans une telle disette de visibilité gay, c'est finalement normal si ça nous donne les boutons de voir des folles partout.

Bien sûr, Hollywood reste globalement homophobe et de nombreux acteurs gays sont rarement signés pour des rôles gays. Pendant longtemps, jouer un personnage gay, c'était risquer sa carrière. Ou carrément la sacrifier. Certains acteurs gays ont sombré dans l'oubli parce que Hollywood les a punis pour leur courage (Brad Davis dans Querelle). Aujourd'hui, c'est un tremplin, une banalité.

Les symboles

Cela a commencé très tôt, mais c'est avec les années 80 que l'on a découvert la première grande vague des acteurs hétéros qui jouent dans des films gays, ceux qui ont clairement changé la psyché homosexuelle. Daniel Day-Lewis dans My Beautiful Launderette ou Dustin Hoffman dans Tootsie étaient d’abord des symboles.

Mais ce fut pendant les années 90 que s'est affirmé réellement l'engagement des acteurs dans des films homosexuels risqués. Tout le monde se rappelle de Tom Hanks dans Philadelphia, qui ouvrira de nombreuses portes à Hollywood. Dès l'année suivante (1994), le succès de Priscilla, folle du désert va provoquer un raz-de-marée de drag queens.

Par exemple, tout le monde s'est moqué de Patrick Swayze, Wesley Snipes et John Leguizamo dans To Wong Fu, Thanks for everything, Julie Newman», mais j'ai trouvé ce film correct, surtout parce qu'il est multi-ethnique (black et latina). La vague rose n'épargne alors pas la France avec Alain Chabat dans Gazon maudit, Patrick Timsit dans Pédale douce, Bruno Putzulu dans Pourquoi pas moi?.


Pédale Douce Trailer par actu-gay

Profession: acteur gay-friendly

Depuis, certains acteurs se font fait une spécialité de jouer des rôles gays, comme James Franco (Harvey Milk, Howl) qui est si gay-friendly que cela paraît louche. Est-il vraiment gay ou a-t-il décroché sa célébrité en jouant l'apprenti gay? (Réponse : N°2).

Ewan McGregor est encore plus efficace. Il a enchaîné plusieurs films gays comme I Love You Phillip Morris (où il est tellement chou) ou Beginners. Al Pacino a fait pas mal de rôles gays, comme dans Un après midi de chien, Cruising ou bien sûr, Angels in America.

Pour les gays, Matthew Broderick sera toujours gay, même s'il est vraiment hétéro. A force de figurer dans des films gays majeurs comme Torch Song Trilogy ou Les Producteurs, Broderick a pratiquement inventé un genre identitaire à lui seul: celui de l'hétéro qui joue si bien les gays, tout au long de sa carrière, que ça le met complètement à part. Ce que certains réussissent dans un film, lui, il le fait tout le temps, au cinéma comme au théâtre.

Dans ce cas, les gays ne se sentent pas dépossédés de quoi que ce soit, comme on le pensait encore dans les années 70. A l'époque, dès qu'un film gay sortait, on cherchait la petite bête, on se demandait quels étaient les motifs cachés d'un Michel Serrault qui était trop crédible en tant que folle. De nombreux acteurs hétéros se sont trouvés ainsi attaqués par le public même qu’ils croyaient séduire. Au début, ça nous a énervé, c’est vrai. Et puis, très vite, le succès était tel qu'il a bien fallu admettre qu'Albin était le meilleur des meilleurs.

Et c'est là où les gays ont changé d'avis. Après tout, ça faisait plaisir de voir un hétéro jouer un gay. Il y a un défi, dans le genre «Est-ce que tu sera assez fierce?». Ricky Gervais a l'air folle comme ça, mais il est hétéro (enfin, je crois). En France, des mecs comme Omar et Fred (dans le SAV de Canal+) font si bien les gays que ces derniers se demandent si Fred est homo.

Jouer l'attitude camp

Et puis, il faudrait sortir de cette idée selon laquelle les acteurs hétéros, en général, n'auraient pas la fibre pour assumer des rôles homosexuels. Comme tous les comédiens, ils travaillent leur sujet, ils disposent d’une surabondance de documents source pour se renseigner et puis il y a toutes les folles de leur entourage qui sont volontaires pour leur montrer comment descendre proprement un escalier comme Gloria Swanson dans «Sunset Boulevard». C'est l'équivalent du ippon dans le kendo ou le judo: le perfect blow, le coup fatal. Il y a beaucoup de chorégraphie, d'assurance, tout le corps bouge pour faire gay, même un tremblement de sourcil.

C'est finalement toute cette attitude camp que la société nous apprend à oublier pour serrer la main d'une manière masculine lors d’un entretien d’embauche, marcher droit dans la rue avec un pas assuré, baisser la voix d'un demi-octave. Tout ce que les gays doivent souvent désapprendre, les acteurs hétéros l'apprennent dans l'autre sens. Et c'est souvent ce qui nous fait mal: nous, on doit s'ajuster à la société, eux le font pour le fun du métier. Quand un acteur hétéro réussit un rôle gay, il doit être le miroir de deux publics. Et il doit savoir faire taire, par son autorité, les rires nerveux et le mal à l'aise dans la grande salle de cinéma.

Enfin, il ne faut pas oublier qu'un certain nombre d'acteurs hétéros qui jouent des rôles de gays SONT gays. Vous découvrez, comme tout le monde, que Travolta a eu une affaire pendant des années avec son pilote. Si je vous donnais la liste des acteurs hétéros français qui sont, en fait, homosexuels, vous tomberiez tous sur le cul. Mais on n'a pas le droit, donc respirez un coup. Il y a une énorme tromperie sur qui est VRAIMENT hétéro dans ces rôles «de composition» homosexuels.

Car la référence ultime reste ces acteurs gays qui sont out et qui s'amusent en jouant des rôles gays. Harvey Fierstein dans «Torch Song Trilogy» (un film qui devrait être montré dans toutes les écoles) et sa personnalisation de la folle apoplexique dans Independance Day, c'est quelque chose. Si cela vous intéresse, il y a une liste d’acteurs gays assumés ici. En Angleterre, il y a toute une floppée d'acteurs qui sont devenus des modèles à travers le monde: Stephen Fry, Matt Lucas (Little Britain), et surtout chez les papys: Alec Guinness (Star Wars), Ian McKellen (Le Seigneur des Anneaux) et Derek Jacobi (Gladiateur) sont les Pim Pam Poum du grand cinéma, souvent choisis pour des films à très gros budget.

Nous homosexuels, avons fini par prendre du plaisir à voir les acteurs hétéros nous personnifier d'une manière sincère. Il y a toujours ce pincement au coeur quand on pense aux nombreux acteurs gays qui se sont sacrifiés pour que ces thèmes soient abordés en toute franchise au cinéma. Un film comme L'homme que j'aime a beaucoup marqué ma génération car Jean-Michel Portal s'y est montré tel qu'il est dans la vraie vie et on se demande si cet engagement n'a pas freiné une carrière qui méritait tellement mieux. Ces acteurs ont préparé le passage pour les autres, et ils méritent notre reconnaissance.


Pour finir. Dans Maigret tend un piège de Jean Delannoy (1957), Jean Gabin cherche à coincer un serial killer homosexuel joué par Jean Desailly. Pendant tout le film, on s'attend à ce que le fameux Maigret émette un avis homophobe. Gabin a des expressions du visage qui n'en disent pas moins, mais jamais il ne franchit la ligne de l'insulte. Au moment de confondre l'assassin, il prend à partie sa mère, jouée par Lucienne Bogaert:

«Vous êtes vaniteuse, possessive, méchante... mais surtout, vous êtes bête ! Mais alors, bête !!!... Parce que vous l'avez abruti, votre fils !... Vous l'avez éloigné d'son père, des gosses de son âge, de tout c'qui pouvait en faire un garçon comme les autres! Car il n'est pas comme les autres!!! Et ça, vous l'savez aussi toutes les deux !... Demandez donc à sa femme !...»

Jean Gabin ne dit pas que Jean Desailly est «anormal». Il dit qu'il n'est pas «comme les autres». Ce qui est vrai. C'est ce que tentent d'illustrer tous les acteurs hétéros quand ils entrent dans la peau d'un personnage gay.

Didier Lestrade

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