Temps de lecture: 9 min
Bien sûr, vous avez lu et relu Les Confessions
de Jean-Jacques Rousseau, dont on fête cette année le tricentenaire.
Slate vous propose de tester vos connaissances sur ce monument de la
littérature française.
Conseil de lecture: Les Confessions,
2 volumes Garnier Flammarion, nouvelle édition, par Alain Grosrichard,
professeur à l’Université de Genève (4,1 euros et 12,9 euros). La lecture des
notes, précises, complètes et –c’est rare– ironiques, est un régal.
On peut aussi entendre Alain Grosrichard parler des Confessions sur France culture.
A Quand on se confesse, c’est qu’on a péché. Quels péchés Rousseau confesse-t-il?
1• La paresse
2• L’orgueil
3• La gourmandise
4• La luxure
5• L’avarice
6• La colère
7• L’envie
Réponse...
Réponse: 1, 2, 3, 4, 5 et 6
Excepté
l’envie, JJR commet à peu près tous les péchés. Il est gourmand, voire
goinfre. il est avare: des années après, il se souvient de 10 écus
prêtés et non remboursés. il parle lui-même d’une «avarice sordide»,
tempérée par un réel désintéressement. Il est sans doute colérique (en
tout cas fort susceptible) et orgueilleux, compte tenu des innombrables
conflits qui émaillent sa vie. Son oeuvre l’atteste: il n’est pas
vraiment paresseux, mais il se fatigue vite dans l’effort physique et
adore glandouiller dans les prés sous prétexte de s’adonner à la
botanique.
Cependant,
ces péchés sont balancés par une honnêteté exceptionnelle, au risque de
provoquer l’incrédulité:
«Ma fonction est de dire la vérité, mais non
pas de la faire croire.»
Une honnêteté subjective, la sienne, mais cet
homme-là est sincère quand il se confesse.
B Les Confessions, c’est:
1• Un roman
2• Un récit autobiographique
3• Une fiction
4• Une correspondance
5• Un OLNI
Réponse...
Réponse: 1, 2, 3, 4 et 5
Les Confessions
est un livre unique, qui tient du récit, du roman et de la fiction (car
il y a des oublis, des erreurs, des silences bien subjectifs), sans
oublier des lettres (présentées comme des justificatifs ou preuves de
bonne foi). Le tout «forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur»,
comme l’écrit d’emblée l’auteur. Cet objet littéraire non identifié
n’est pas de l’autofiction; ce pourrait être de l’auto-non-fiction.
C Jean-Jacques est-il
1• une bête de sexe
2• un masturbateur fou
3• un grand sentimental
4• un pervers
5• un petit coquinou
6• bourré de complexes
Réponse...
Réponse: 3, 4, 5 et 6
La sexualité de JJR occupant une place importante (et croustillante) dans le livre, une réponse détaillée s’impose.
Bête de sexe
Des
années après, deux minutes passées au pied d’une femme aimée, «sans
même oser toucher sa robe», lui semblent une félicité incomparable.
Rousseau est niais, il ne s’en cache pas:
«Je
n’imaginais pas comment une fille et un garçon parvenaient à coucher
ensemble; je croyais qu’il fallait des siècles pour préparer ce terrible
arrangement.»
Sa
vie amoureuse abonde en occasions manquées (qui lui laissent des
souvenirs impérissables) entrecoupées de rares conquêtes (qu’on ne
saurait qualifier de succès). Il doit à Madame de Larnage (elle a 45
ans, lui 20 de moins) sa seule relation charnelle passionnée. Le récit de cette
aventure où, lassée de la pusillanimité de Rousseau, la peu chaste
Suzanne finit par prendre les choses en mains est drôlatique. il y
découvre, enfin!, le plaisir:
«Jamais
mes yeux, mes sens, mon coeur et ma bouche n’ont si bien parlé; jamais
je n’ai si pleinement réparé mes torts; et si cette petite conquête avait coûté des soins à Madame de Larnage, j’eus lieu de croire
qu’elle n’y avait pas de regret.»
Masturbation
Rousseau se montre étonnamment peu disert sur l’onanisme, ce «dangereux supplément»,
alors qu’il n’entend rien cacher de lui. Il découvre la masturbation à
16 ans, dans... un hospice turinois. Un jeune catéchumène tente de l’y
initier. En vain.
«Tandis
qu’il achevait de se démener, je vis partir vers la cheminée et tomber à
terre je ne sais quoi de gluant et de blanchâtre qui me fit soulever le
coeur (...). Je ne pouvais comprendre ce qu’avait ce malheureux; je le
crus saisi du plus haut mal.»
Il revient d’Italie en ayant perdu sa virginité (son innocence), non son pucelage.
Grand sentimental
Trop (voir question G).
Pervers
Sans
doute n’était-il pas très à l’aise avec les femmes. Un curieux épisode
le voit s’attacher à une fille de 11 à 12 ans que sa mère, indigne, lui a
vendue. Craignant de commettre un horrible «inceste», il n’aura pas de
liaison sexuelle avec elle mais son attachement «paternel» est douteux.
Le livre III évoque aussi un goût passager pour l’exhibitionnisme.
Petit coquinou
Il connaît son premier émoi avec une fessée:
«J’avais
trouvé dans la douleur, dans la honte même, un mélange de sensualité
qui m’avait laissé plus de désir que de crainte de l’éprouver derechef
par la même main.»
Las! Mademoiselle Lambercier, qui la lui prodigua, s’aperçut, «à quelque signe que ce châtiment n’allait pas à son but» (doux euphémisme) et, dès lors, y renonça. Frustration. L’enfant a 8 ans, un «sang brûlant de sensualité». La fessée, dit-il, le hantera durablement, sans qu’il ose la demander à ses partenaires:
«Jamais je n’ai pu prendre sur moi de leur déclarer ma folie.»
Bourré de complexes
Ouh la la, oui (voir question F).
D Qui a dit «Tout m’afflige et me nuit, et conspire à me nuire»?
1• Phèdre
2• Jean-Jacques Rousseau
3• Marie-Antoinette
Réponse...
Réponse: 1
C’est Racine qui fait dire à Phèdre ces vers fameux. Mais ce pourrait être la devise de Rousseau.
Les Confessions
est un fascinant exercice de paranoïa justificative alimenté par une
vision complotiste du monde. Il a en permanence peur d’être espionné («Les planchers sous lesquels je suis ont des yeux, les murs qui m’entourent ont des oreilles»)
et la liste de ses inimitiés est impressionnante.
Il faut dire qu’il se
montre particulièrement susceptible, souvent intransigeant, toujours
maladroit. Résultat, de Grimm
à la Pompadour, en passant par les franciscains, les Genevois et les
jésuites, sans oublier Diderot, D’Alembert et Voltaire, tous se liguent
contre l’innocent Jean-Jacques, qui subit «le plus affreux complot qui jamais ait été tramé contre la mémoire d’un homme».
Sa protectrice, Madame d’Epinay, lui écrit avec lassitude:
«Vous me faites pitié... Il n’est pas naturel de passer sa vie à soupçonner et à injurier ses amis.»
Autant l’avouer: la théorie du complot se traduit par quelques
longueurs qui rendent parfois la lecture soporifique. Mais Rousseau,
condamné après la publication d’Emile et du Contrat social et contraint à l’exil, a aussi des raisons légitimes de se sentir persécuté.
E Quel est le proverbe exact?
1• Une fille, ça pisse ou ça pleure
2• Un philosophe, ça pisse et ça pleure
3• Un philosophe, ça pisse ou ça pleure
Réponse...
Réponse: 2
Outre
quelques problèmes de vessie, Rousseau semble avoir la larme facile.
Pour être exact, il chiale sans arrêt.
Il pleure en se souvenant des
chansons de son enfance, en lisant un livre, lors du premier coït («Deux ou trois fois, en la pressant avec transport dans mes bras, j’inondai son sein de mes larmes») ou d’un coït raté, en écoutant son opéra à Fontainebleau, sur sa jeunesse écoulée, sur «la main bienfaisante de (son) amie», en écrivant ou en lisant des lettres, il a dû écrire les Confessions sur du papier buvard...
F Les Charmettes, ça vous évoque
1• Cougar club
2• La maman et la putain
3• Freud
4• Oedipe
5• Les quoi?
Réponse...
Réponse: 1, 2, 3, 4 et 5
Rousseau passe quelques années aux Charmettes, en compagnie de Madame de Warens, une veuve de 13 ans son aînée. Le voyant soumis à des tentations, elle prend son sort en main («Maman vit que, pour m’arracher aux périls de ma jeunesse, il était temps de me traiter en homme.»)
A 19 ans, le voici «pour
la première fois dans les bras d’une femme, et d’une femme que
j’adorais. Fus-je heureux? Non, je goûtai le plaisir. Je ne sais quelle
invincible tristesse en empoisonnait le charme. J’étais comme si j’avais
commis un inceste».
Phrase d’une grande lucidité. Comme l’écrivit Freud, pour les hommes à problèmes oedipiens, «là où ils aiment, ils ne désirent pas et là où ils désirent, ils ne peuvent aimer». Ce qui fait le sel de la vie amoureuse de Jean-Jacques est le «complexe oedipien non résolu» qui l’accompagne.
«Je coûtai la vie à ma mère»,
écrit-il. Dès lors, il s’en cherche d’autres. Il appelle Madame de
Warens «Maman» et elle lui donne du «Petit». En couchant avec elle, il
assouvit, en pleurant sur son sein, le fantasme de la Milf. Mais ce n’est pas assez:
«J’avais une tendre mère, une amie chérie; mais il me fallait une maîtresse.»
G Rousseau et l’amour...
1• Jamais le premier soir
2• No sex last night
3• La femme de mon pote
Réponse...
Réponse: 1, 2 et 3
«Et pour cette fois, ce fut de l’amour»:
la rencontre avec Madame d’Houdetot, qui «n’était point belle»
déclenche chez Rousseau une passion amoureuse –non partagée. Il en
souffre mais s’y résigne, d’autant plus que cette brave dame est la
maîtresse d’un de ses amis. Avant de replonger dans les théories
freudiennes:
«Je l’aimais trop pour vouloir la posséder.»
H Les enfants de Rousseau ...
1• ont été abandonnés
2• ont fait fortune dans le commerce
3• Rousseau n’a pas eu d’enfants
Réponse: 1
Il a 33 ans lorsqu’il rencontre Marie-Thérèse Le Vasseur, une lingère de 24 ans. D’abord placée sous le signe de l’apprentissage incestueux («Il
fallait, pour tout dire, un successeur à Maman: puisque je ne devais
plus vivre avec elle, il me fallait quelqu’un qui vécût avec son
élève»), leur
liaison devient une sorte d’inceste verbal permanent.
Il l’appelle sa «tante» (et elle son «oncle») et, tardivement, l’épousera sous un faux
nom en se faisant passer pour... son frère.
D’elle, il aura cinq enfants
et, contre son avis, les abandonnera tous aux «Enfants trouvés». Ses
ennemis, Voltaire en premier lieu, en tireront argument. Les
justifications de Rousseau ne sont guère convaincantes:
«Je crus faire un acte de citoyen et de père; et je me regardai comme un membre de la république de Platon.»
Comme le souligne Alain Grosrichard, 70% des enfants déposés aux enfants trouvés mouraient la première année. «J’aurais voulu, je voudrais encore avoir été élevé et nourri comme ils l’ont été», se persuade Rousseau.
I Rousseau préfère
1• les femmes
2• les mathématiques
Réponse...
Réponse: 1
C’est
en tout cas l’avis de Zulietta, belle courtisane vénitienne, qui,
lassée des hésitations et timidités de Jean-Jacques, lui lance:
«Zanetto, lascia le donne, e studia la matamatica.»
J Si Rousseau était un personnage de fiction...
1• Jim Stark (James Dean dans La Fureur de vivre)
2• Jules et Jim
3• Rantanplan
Réponse...
Réponse: 1, 2 et 3
Certes moins beau gosse que James Dean, Rousseau est un rebelle (with a cause): il évoque son indignation contre «nos
sottes institutions civiles, où le vrai bien public et la véritable
justice sont tujours sacrifiés à je ne sais quel ordre apparent,
destructif en effet de tout ordre, et qui ne fait qu’ajouter la sanction
de l’autorité publique à l’oppression du faible et à l’iniquité du
fort». La suite est connue.
Par deux fois, aux Charmettes, «Maman» lui imposera un ménage à trois, ce qu’il goûte d’abord avec étonnement («Ainsi s’établit entre nous trois une société sans autre exemple peut-être sur la terre»), puis fort modérément lorsqu’il cesse d’être le chouchou. Jules et Jim se sent alors très seul.
Le philosophe aime à se peindre comme quelqu’un de lent, mal à l’aise dans les salons et les joutes verbales:
«Deux
choses presque inalliables s’unissent en moi sans que j’en puisse
concevoir la manière: un tempérament très ardent, des passions vives,
impétueuses, et des idées lentes à naître, embarrassées et qui ne se
présentent jamais qu’après coup.»
Il réagit après coup, comme Rantanplan qui souffre plusieurs heures après qu’on lui a marché sur la queue.
K Rousseau et Internet...
1• Google est son ami
2• Tweet-clash
3• e-mail
Réponse...
Réponse: 2 et 3
Rousseau
écrit beaucoup et il aurait sans doute envoyé des mails à tous ses amis
et ennemis. Compte tenu de sa parano permanente, il serait
vraisemblablement un adepte du tweet-clash, voire du DM fail. Au regard
des oublis, approximations et erreurs qui émaillent Les Confessions,
il aurait bien eu besoin de Google. Le lecteur d’aujourd’hui a la
chance de pouvoir lire le texte avec un accompagnement critique qui
rétablit les faits et la chronologie.
L Qui a dit: «Qu’ils mangent de la brioche!»
1• Marie-Antoinette
2• Marie-Antoinette
3• Euh... Marie-Antoinette?
Réponse...
Réponse: pas de bonne réponse possible
Si
on se coltine un classique, c’est pour briller en société. Avec
Rousseau, on peut énoncer doctement que, non ce n’est pas
Marie-Antoinette qui a inventé le mot fameux: «Qu’ils mangent de la brioche.» Dans le livre VI, il est attribué à «une grande princesse». Il est possible que «l’Autrichienne, le trouvant à son goût, l’ait repris des Confessions», estime Alain Grosrichard.
M Avez-vous lu Les Confessions?
1• Oui, comme tout le monde
2• Non
3• Non, mais je vais le faire
Réponse...
Réponse: 1
C’est le principe des oeuvres classiques: on ne les lit jamais, on les relit. Relisez donc Les Confessions si vous avez raté ce test.
Jean-Marc Proust