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Tuerie d'Aurora: les victimes peuvent-elles gagner un procès contre Warner Bros. et Batman?

Temps de lecture : 3 min

Une victime de la tuerie d'Aurora lors de la projection du dernier Batman veut intenter une action au civil contre Warner Bros. Mais le Premier amendement veille.

Affiche de Batman
Affiche de Batman

A peine quatre jours après la tuerie d'Aurora, durant laquelle un homme a tué 12 personnes et blessé 70 autres lors de la projection du nouveau Batman, The Dark Knight Rises, et déjà une action au civil intentée par une des victimes contre... Warner Bros., le distributeur du film.

Torrence Brown Jr., un des spectateurs présents vendredi 20 juillet, a vu l'un de ses meilleurs amis mourir lors de la tuerie dont est accusé James Holmes. Il n'a pas lui-même été blessé, mais dit désormais souffrir d'un traumatisme extrême, rapporte le site people TMZ.

Brown Jr. a engagé un avocat, Donald Karpel, pour le représenter, et Karpel a expliqué à TMZ qu'il comptait poursuivre trois entités qu'il tient pour responsables de la tuerie:

  • le cinéma, estimant qu'il y avait eu négligence parce que la sortie de secours par laquelle on pense que Holmes est passé n'était pas sécurisée;
  • les médecins de James Holmes, qu'il accuse de ne pas avoir assez surveillé leur patient
  • Warner Bros

L'avocat estime que The Dark Knight Rises est particulièrement violent, que Holmes a «imité une partie du film», et que les spectateurs n'ont pas tout de suite réagi parce qu'ils pensaient que les coups de feu faisaient partie du film, concluant:

«Il faut que quelqu'un soit tenu responsable de la violence galopante qui est montrée aujourd'hui.»

D'après les premiers éléments de l'enquête policière, on aurait retrouvé un masque et une affiche de Batman dans son appartement, et James Holmes s'est présenté comme «le Joker» après son arrestation (le père de Heath Ledger a dit après cette information «on ne peut pas dire que c'est la faute de Heath ou de son personnage. C'est de la fiction»).

Comme nous en avions parlé au moment de l'affaire Luka Rocco Magnotta, c'est loin d'être la première fois qu'un tueur s'inspire plus ou moins d'un film ou d'un personnage de fiction pour la mise en scène ou la justification de ses crimes.

Et ce n'est pas non plus la première fois que des victimes ou leur famille intentent une action contre le film, le studio voire le réalisateur de l'oeuvre en question (cela est vrai aussi pour les jeux vidéo et les chansons). Mais la justice ne leur a au final jamais donné raison, laissant peu de chances à Torrence Brown Jr. d'obtenir une condamnation de Warner Bros.

Le film comme liberté d'expression protégée

Pour obtenir une compensation financière, les victimes américaines doivent montrer que le studio qui produit le film aurait pu prévoir le mal qui allait en sortir, ce qui est compliqué à prouver avec des crimes intentionnels commis par des gens extérieurs aux studios, explique à Reuters Paul Smith.

Cet avocat a défendu Nintendo et Sony dans une action intentée par les familles de victimes du massacre de Columbine, qui affirmaient que Basketball Diaries, où le personnage principal tue ses camarades de classe dans un rêve, ou des jeux vidéo comme Doom avaient influencé les tueurs. La justice avait conclu que les fabriquants de jeux vidéo et films violents ne pouvaient pas prévoir que leurs produits causeraient Columbine.

Même si le plaignant arrivait à le démontrer, il se retrouverait ensuite face au premier amendement de la constitution américaine, qui protège la liberté d'expression. C'est cet amendement qui a prévalu dans l'affaire la plus célèbre, celle concernant Tueurs nésNatural Born Killers– le film d'Oliver Stone de 1994.

Le précédent Tueurs Nés

Woody Harrelson et Juliette Lewis y interprètent un couple de tueurs qui enchaînent les meurtres et deviennent des stars de la tuerie, le paparazzo Robert Downey Jr. les suivant à travers le pays pour obtenir des interviews.

Un an après sa sortie, Sarah Edmondson et Benjamin Darras, 18 ans, passent une soirée à prendre du LSD en regardant en boucle Tueurs Nés, avant de partir en road trip meurtrier dans le sud des Etats-Unis, tuant deux personnes dont une femme appelée Patsy Byers. S’en suit un procès de sept ans, après une plainte de son mari non seulement contre les deux tueurs, mais aussi contre Time Warner (déjà!) et Oliver Stone.

Après plusieurs appels, la justice a finalement décidé de rejeter l’argument du plaignant, qui estimait que le film incitait au crime et ne pouvait donc pas être défendu par le premier amendement.

Aujourd'hui, l'avocat Walter Dellinger, qui représentait Time Warner dans l'affaire, commente pour Reuters l'importance de ce premier amendement dans de tels cas:

«Il n'y a simplement pas de moyen pour le gouvernement dans une société libre de couper court à la liberté d'expression parce que quelqu'un se sert de cette expression comme d'un tremplin pour de la violence.»

La réaction du réalisateur d'Oliver Stone à la décision de justice date de 2001, mais elle est toujours autant d'actualité aujourd'hui:

«Les avocats me disent que c’est une énorme victoire, mais je ne suis pas d’accord. Je compatis avec la famille de Patsy Byers, mais c’est Sarah Edmonson qui lui a tiré dessus. C’est déprimant qu’une plainte qui aurait dû être rejetée tout de suite a pu résulter en une telle perte de temps, d’énergie et d’argent. Nous avons créé un nouvel enfer légal où tout le monde croit avoir droit à tout et où personne n’est responsable.»

Cécile Dehesdin

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