Comme si les combats ne suffisaient pas, la question des armes chimiques en Syrie est devenue un sujet d’inquiétude depuis quelques jours. Des révélations de responsables américains, rapportées d’abord par le Wall Street Journal, ont affirmé que le gouvernement syrien déplace une partie de son arsenal d’armes chimiques hors des zones habituelles de stockage. La nature de ces armes déplacées, leur quantité, leur destination demeurent inconnues mais au moment où le président Bachar el-Assad apparait aux abois, ces mouvements sont jugés inquiétants.
La porte-parole du Département d’Etat américain, Victoria Nuland a souligné que Washington «a indiqué à plusieurs reprises, que le gouvernement syrien a la responsabilité de protéger ses stocks d’armes chimiques». A Paris, le Quai d’Orsay s’est déclaré «préoccupé» par ces informations dont «il cherche à vérifier la réalité».
Présomptions de longue date
Les arsenaux chimiques étant entourés de secret, et leur existence étant fréquemment niée par leurs détenteurs, les informations qui circulent sur ces questions viennent essentiellement de services de renseignements occidentaux, disposant de toute une batterie de moyens (satellites, informateurs, surveillance du commerce international des produits suspects, etc) ou de personnalités qui ont intérêt à placer tel ou tel Etat en mauvaise posture. Une grande prudence s’impose donc d’autant plus que l’on n’a pas oublié que la guerre contre l’Irak avait été justifiée, il y a moins de dix ans, par le trio George W. Bush, Tony Blair et José Maria Aznar qui, la main sur le cœur, avait martelé que la paix du monde était menacée par les armes chimiques irakiennes qui n’existaient pas.
Toutefois, il y a pour la Syrie des présomptions de longue date, des indices qui inquiètent et un comportement rétif de la part de Damas à propos de toute inspection de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique. Selon les experts, Hafez el-Assad a développé fortement son arsenal chimique après que Mikhaïl Gorbatchev lui eut signifié en avril 1987 qu’il ne devait plus compter sur l’aide soviétique pour atteindre son objectif prioritaire qui était de parvenir à une parité stratégique conventionnelle avec Israël. Damas se serait alors tourné vers les armes non-conventionnelles espérant parvenir ainsi à une sorte de parité avec Israël doté de l’arme nucléaire.
Les responsables américains comme européens parlent des stocks d’armes chimiques syriens comme d’une réalité. Pour la presse américaine, c’est le plus important stock au Proche-Orient, pour Israël, le plus important au monde. Au moins trois types de produits, parmi les plus dangereux, sont réputés détenus par le régime syrien: le gaz moutarde, utilisé pendant la guerre de 14-18, qui s’attaque au poumon, aux yeux, à la peau et cause de graves lésions qui peuvent conduire au cancer. Il y a surtout le gaz sarin, neurotoxique virulent découvert par les savants nazis, qui paralyse le système nerveux. On le dit 500 fois plus puissant que le cyanure. Ses effets redoutables ont été observés en mars 1995 dans le métro de Tokyo lorsque la secte Aum Vérité Suprême a déposé des sacs en plastique remplis de ce gaz dans les rames, avant de les percer avec la pointe d’un parapluie. Cet attentat a fait douze morts et des milliers d’intoxiqués. La même secte avait commis, l’année précédente, un attentat semblable dans un immeuble de Matsumoto, qui avait fait sept morts et 144 blessés. Troisième élément, encore plus dangereux, le «VX», plus puissant que le sarin avec des possibilités d’utilisation étendues, notamment dans l’eau. Il est dix fois plus mortel que le sarin. Quant aux capacités éventuelles de la Syrie en armes biologiques (peste, charbon, variole, etc.), les informations manquent.
Explosion en juillet 2007
La détention d’armes chimiques est défendue par la Convention sur l’interdiction de telles armes signée à Paris en 1993 et entrée en vigueur de 1997. Cette convention, ratifiée par 188 Etats, interdit d’utiliser, produire, détenir, stocker ou transférer des armes chimiques. Or la Syrie figure parmi les six pays, avec notamment l’Egypte et la Corée du nord, qui n’ont ni signé ni ratifié cet accord. Dans la région, Israël a signé le texte mais ne l’a pas ratifié. Damas ne se considère donc pas tenu de respecter les termes de la convention.
Parfois, un évènement fortuit est venu alimenter les soupçons à l’égard de Damas. Ainsi, le 26 juillet 2007, une forte explosion a été entendue dans la région d’Alep. Officiellement, il s’est agi d’un accident lorsqu’un incendie s’est déclaré dans une installation entreposant des matières hautement explosives. Cependant, l’hebdomadaire Jane’s defence Weekly a indiqué quelques semaines plus tard, que l’explosion est survenue lors de tests destinés à installer du gaz moutarde dans les ogives de missiles Scud C. Lors de l’explosion non seulement du gaz moutarde, du sarin et du VX ont été dispersés, mais plusieurs ingénieurs militaires iraniens ont été tués, selon l’hebdomadaire.
Un autre débat porte sur les réelles capacités nucléaires de la Syrie à la suite de différents incidents ces dernières années, notamment le bombardement par l’aviation israélienne, le 6 septembre 2007, du site al-Kibar, près de Deir ez-Zor, qui aurait pu abriter un réacteur clandestin construit avec l’aide de la Corée du Nord. En dépit des démentis syriens, les services de renseignements américains ont estimé que le site présentait des similitudes avec la centrale nucléaire nord-coréenne de Yongbyon. Le manque de coopération manifesté par Damas n’a pas permis aux inspecteurs de l’AIEA, autorisés tardivement à enquêter sur place, de déterminer avec certitude la nature exacte de l’installation bombardée. La Syrie a le droit de se doter d’un secteur nucléaire civil, mais en qualité d’Etat signataire du Traité sur la non prolifération nucléaire elle doit respecter certains engagements, notamment celui de permettre à l’AIEA d’inspecter ses installations sans entraves, ce qui n’apparaît pas être le cas. Toutefois, dans le contexte syrien actuel, le nucléaire n’est pas un facteur militaire, si ce n’est que des matériaux de cette nature pourraient tomber en les mains de groupes incontrôlés.
Un régime désespéré
L’extension des zones rebelles, jusqu’au cœur de la capitale, pose le problème de savoir jusqu’où le régime est capable d’aller dans une tentative désespérée de reprendre le contrôle des évènements. C’est-à-dire, pourrait-il lancer dans la bataille des armes chimiques ? Il est fort probable qu’il en ait les capacités techniques si l’on observe ce qui s’est passé chez son voisin irakien, ce qui ne veut pas dire qu’il en ait l’intention.
A l’approche de la fin de la guerre Irak-Iran, Saddam Hussein a lancé une série de campagnes pour reconquérir le contrôle du Kurdistan qui lui a largement échappé à la faveur du conflit. Cette tache est confiée à son cousin Ali Hassan al-Majid, personnage impitoyable qui entreprend de raser des villages kurdes et de regrouper les habitants survivants. C’est ainsi qu’il ordonne, en mars 1988, de bombarder aux gaz, la ville de Halabja, ce qui lui vaudra le sobriquet infamant de «Ali le Chimique». Ce massacre coûte la vie à 5.000 kurdes. Ali le Chimique sera pendu en janvier 2010 pour crimes contre l’humanité.
Les déplacements d’équipements observés par Washington ouvrent la voie à diverses hypothèses. Ils peuvent annoncer un projet l’utilisation de telles armes en dernier recours contre les zones rebelles, ou au contraire témoigner d’une volonté du régime de les placer à l’abri loin des zones de combat afin qu’elles ne tombent pas entre les mains de groupes incontrôlés; ou bien encore préparer la défense ultime d’un réduit alaouite, sur le littoral, entre les frontières libanaise et turque, où le régime chercherait à se replier pour constituer une zone autonome. Autre hypothèse, les dirigeants syriens se prépareraient à riposter à toute intervention turque sur leur territoire.
Chaos
L’ancien ambassadeur de Syrie à Bagdad qui a fait défection il y a quelques jours, Nawaf Farès, a déclaré à la BBC qu’il est convaincu que Bachar el-Assad pourrait utiliser des armes chimiques contre les forces rebelles pour rester au pouvoir, ajoutant qu’elles avaient peut être déjà été utilisées à Homs. Toutefois, les propos de cet ancien haut responsable des services de renseignements syriens, considéré comme un criminel par des opposants, doivent être reçus avec prudence.
Ce qui parait provoquer le plus d’inquiétude dans l’immédiat en Occident comme dans le monde arabe, c’est ce qu’il adviendra des stocks et des installations sensibles en cas d’effondrement du régime. Les unités spéciales chargées de la sécurité de ces sites resteront-elles en place quoi qu’il advienne? Des groupes terroristes tenteront-ils de s’emparer de certains matériaux? Aussi, face à l’impossibilité diplomatique d’une action préventive internationale sur le terrain, certains spécialistes avancent qu’une façon de répondre à ces préoccupations et de faire savoir aux forces assurant la sécurité des sites qu’elles doivent rester sur place coûte que coûte et que cela jouera en leur faveur à l’avenir.
Xavier Baron