Économie

Sérieusement, que reproche-t-on à PSA?

Temps de lecture : 6 min

Le groupe automobile est symptomatique de l'industrie française, et pas qu'automobile.

Philippe Varin, en conférence de presse, le 12 juillet 2012. REUTERS/Charles Platiau
Philippe Varin, en conférence de presse, le 12 juillet 2012. REUTERS/Charles Platiau

Dans la série «les socialistes français n’aiment pas les entreprises», PSA Peugeot Citroën tient la vedette. La firme automobile qui jouissait plutôt d’une bonne image d’entreprise sérieuse, propriété d’une famille protestante anti-bling-bling, a déclenché un tir de barrage à boulets rouges et roses avec l’annonce de la fermeture d’Aulnay.

Les socialistes ont sans doute beaucoup à reprocher à Philippe Varin, le PDG du groupe, à commencer par ces 8.000 suppressions d’emplois, méchant cadeau d’arrivée au pouvoir. «Le changement c’est maintenant» a vilaine allure… Et, sans doute, oui, l’annonce a été retardée pour l’après-élections. Pas par choix politique, d’ailleurs: tout simplement pour ne pas voir les candidats se livrer à une surenchère de promesses (il y en a eu quand même) que PSA savait que ni lui ni même les candidats ne pourraient tenir. Dans ces périodes pré-électorales, mieux vaut se tenir coi, à carreau. Mais bon, les socialos l’ont mauvaise, ça se comprend.

Mais en dehors de ça, qu’y a t-il à reprocher à PSA? Faut-il ainsi «convoquer au ministère» et le PDG et la famille sochalienne? Pour quoi leur dire? Pour les critiquer sur quoi?

Montebourg, Chavez tricolore

Petite parenthèse: l’agitation montebourgienne qui a un air de pure «com» peut paraître affligeante ou comique, comme on voudra, en tout cas superfétatoire. Ce serait à tort. Elle a déjà un coût: les marchés financiers ont décoté PSA par simple crainte des réactions du gouvernement français. Ce pourrait aller plus loin et compliquer la tâche de... Pierre Moscovici. Le ministre des Finances qui veut séduire les marchés en prouvant qu’il est super-rigoriste pourrait voir cette politique macro-économique très abîmée par des déclarations micro-économiques à la Chavez du ministre du Redressement productif. Il faudrait, à mon humble avis, recadrer les éléments de langage du-dit Chavez tricolore…

Deuxième parenthèse qui va dans le même sens: il faut dire merci à Philippe Varin de mettre le gouvernement immédiatement en face du mur des réalités. Le PDG ne nous épargne pas complètement le concert de fausses lamentations, mais au moins les vrais problèmes sont-ils posés tout de suite, à commencer par celui du coût du travail. Voilà qui nous épargne de longs mois d’inutiles études, rapports, conciliabules, conventions, bla-bla-bla et nous conduit droit au résultat: si on veut maintenir les usines en France, il faut imposer une TVA ou une CSG «sociale» ou l’équivalent. La démonstration de Varin est claire: il fait comprendre au peuple socialiste que les entreprises, loin de gagner trop d’argent, n’en gagnent pas assez en France. Merci à lui.

Troisième parenthèse: au moment où le gouvernement se creuse la nénette pour relancer un peu l’automobile française, Bertrand Delanoë, maire de Paris, capitale de la France, décide de transformer les voies sur berges de la Seine en guinguettes pour bobos, sans donner aux automobilistes de banlieue, ces sales pollueurs, aucune autre alternative que de perdre deux heures par jour dans les bouchons. On soutient l’auto ou on la déteste au PS? Il faudrait, là aussi, harmoniser les éléments de langage et les politiques. Non?

Refermons ces parenthèses et revenons à nos voitures. Que reprocher à PSA? Quelles sont les erreurs faites et quelle leçons en tirer?

Des erreurs? Oui, a posteriori

Quand on repasse en revue les trente dernières années, la chute de l’automobile française pose le gigantesque problème qui va rendre très pointue –pas impossible mais très pointue– toute politique de réindustralisation de la France.

PSA a fait plein d’erreurs, sûrement. La famille Peugeot a bloqué les mariages imaginés par les PDG successifs (dont avec Fiat encore récemment) pour conserver son contrôle jaloux de la firme. Le succès du diesel l’a aveuglée et a limité ses recherches sur les autres moteurs, comme l’hybride (encore que tous les groupes européens ont loupé ce concept que les ingénieurs trouvent idiot). PSA ne s’est pas internationalisé assez vite ou, quand il est allé en Chine avant tout le monde, il a mal choisi son partenaire. On peut aussi trouver d’autres aiguillages manqués, peut-être aussi importants. Qu’on ait quand même à l’esprit que ces choix passés ont chacun paru logiques à l’époque et n’ont pas fait objet de véritables débats (sauf le diesel).

C’est que l’industrie automobile française en détresse au début des années 1980 (l’Etat a sauvé Peugeot discrètement et a renfloué Renault à grand prix) a su ensuite remonter la pente remarquablement. L’abri du protectionnisme contre les Japonais (limités à 3% du marché français) a été bien utilisé pour refondre entièrement les productions (le lean management, le juste-à-temps…) et les voitures elles-mêmes (elles ne rouillaient plus).

A la même époque, au début des années 1980, ce qu’on appelait déjà «la crise» a ravagé toute la construction mécanique française: navires, machines-outil, gros et petits équipements… Qu’on se souvienne de Creusot-Loire, faillite symbole d’un secteur qui ne sait pas trouver sa place entre la haute qualité allemande et le bas de gamme provenant du Japon (!) ou déjà d’ailleurs. Morte, la mécanique française a été engloutie par la mondialisation qui commençait.

L’automobile, elle, a été sauvée. Tandis que tous les constructeurs européens non-allemands disparaissaient ou presque (de Fiat à Volvo), PSA et Renault restaient en course et Renault s’offrait même le culot de racheter la terreur de naguère: le japonais Nissan.

Qu'est-ce qu'une voiture française?

Dans les années 2000, le succès a été remis en question. Tandis que les groupes allemands imposaient la rigueur, les français souffraient de l’abandon de la politique macro-économique de «désinflation compétitive», leurs coûts n’ont cessé d’augmenter. Surtout, les problèmes de la «spécialisation» dans la concurrence mondiale n’avaient en réalité été que repoussés.

La question est simple mais sans réponse: qu’est qu’une voiture française? Pour n’avoir pas su répondre, la mécanique est morte il y a vingt ans. La même interrogation se pose pour Renault et PSA. Les Allemands qui ont dévoré les marchés de la mécanique française font de même dans l’automobile. Audi vient renforcer le haut de gamme de ses camarades Mercedes et BMW et VW est en passe de devenir le n°1 mondial. Malgré leurs efforts, les marques françaises ne parviennent pas à monter en gamme, là où les marges sont bonnes. Le marché germanique est carrément verrouillé; la presse auto «descend» chaque modèle français qui prétend rouler sur les Autobahn.

Qu’est-ce qu’une voiture française? A cette question Carlos Ghosn répond: une Renault est «populaire, chaleureuse, verte, ergonomique, innovante, bien équipée». Est-ce que cela convainc? On ne saurait dire. Le doute est général. En dehors du luxe, le positionnement de toute l’industrie française d’équipement des ménages est incertain. Même l’agro-alimentaire (gros atout de la France) ne dispose pas d’un marketing identifiable et mondialement reconnu.

Faut-il cibler l’innovation? Pas sûr, quand on regarde les Advantime de Renault. Faut-il viser «les voitures qui tiennent bien la route», en soulignant que les allemandes à propulsion sont des savonnettes? Ce fut fait. Echec. C’était en fait se tromper et regarder dans le rétro. Faut-il poursuivre dans «la voiture aussi bonne que les allemandes mais moins chère» qui visiblement ne marche pas?

La question n’est pas qu’automobile. Elle concerne toute l’image de «la production en France». Il n’y aura pas de succès automobile sans succès de toute l’industrie. D’où la difficulté. Ce n’est pas suffisant. Il faudra, ensuite, réduire les coûts, réinventer l’apprentissage, trouver les bons ouvriers et, révolutionner les relations sociales. Ce n’est pas rien. Mais le «positionnement» de l’industrie en France est la pièce maîtresse de la réindustrialisation qui reste à inventer.

Là où Philippe Varin est coincé, c’est que PSA ne peut pas s’en tirer sans la France. D’autres groupes du CAC 40 le peuvent, en allant cueillir les profits à l’étranger et en y glissant progressivement leurs équipes, leur recherche et leurs états-majors (la surtaxe des 75% accélère de façon alarmante les départs). Une marque automobile, elle, est enracinée. Une Renault, une Peugeot, une Citroën sont d’abord «une française». Il y a donc un intérêt commun entre le gouvernement et PSA à trouver une alliance. Pas une défiance et des invectives: une alliance industrielle, sociale, politique et symbolique.

Eric Le Boucher

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