Encore une preuve, s’il en fallait, que les footballeurs ne sont pas des flèches. Sur les 14 jeunes joueurs du centre de formation de l’Olympique de Marseille qui passaient leur bac en juin, aucun n’a été reçu à l’examen. La brève publiée par La Provence n’a pas manqué de déclencher les moqueries sur Internet.
L’information a été rapidement démentie, ou plutôt complétée, par le directeur du centre de formation de l’OM lui-même, Henri Stambouli, qui a tenu à souligner que deux jeunes de son académie avaient eu le bac. La vérité est rétablie, mais il n’y a pas vraiment de quoi sauver la face des formateurs marseillais ou du foot français.
Pourtant, les curieux qui ont eu l’idée d’aller regarder ce qu’il se passe dans les autres clubs de Ligue 1 ont vite compris que le cas de l’OM, s’il a été le plus médiatisé, est loin d’être représentatif de l’ensemble des structures qui forment les footballeurs professionnels de demain.
Les neuf footballeurs en herbe du FC Lorient ont ainsi tous été reçus au grand examen de juin, comme en 2011. Même taux de réussite de 100% au SC Bastia (7/7) ou au Stade Brestois, qui a réalisé un impressionnant grand chelem avec 19 reçus sur 19 candidats, dont une mention très bien au bac S. Du côté de l’AS Nancy Lorraine, on ne se contente pas d’un taux de réussite de 100%: 7 des 10 candidats ont obtenu une mention.
Au-dessus de la moyenne nationale
En fait, le taux de réussite au bac des centres de formation a tendance à être supérieur à la moyenne nationale. Sur les 20 clubs de Ligue 1, 13 ont répondu à notre sollicitation ou publié les résultats de leurs jeunes en ligne (manquent notamment des grosses écuries comme le PSG ou l’Olympique Lyonnais).
Dans ces 13 clubs, 124 adolescents ont été reçus sur 141 candidats, soit un taux de réussite de 87,9%. Le chiffre est à prendre avec précaution –certains clubs ont peut-être refusé de communiquer à cause des mauvais résultats de leurs élèves. Mais il peut tout de même être comparé -à titre indicatif- au taux de réussite national de 2011, qui était de 85,7%.
Les jeunes footballeurs ne sont donc ni des cancres, ni des surdoués, juste des élèves comme les autres. Ou presque. Car s’ils suivent les mêmes programmes et passent les mêmes examens que la population générale, ils sont encadrés dans des structures d’élite où d’importants moyens sont mis en œuvre pour leur réussite et où leur emploi du temps est aménagé pour concilier au mieux préparation au haut niveau et réussite scolaire.
Classement des centres de formation
Certains clubs passent des accords avec les collèges et lycées du coin, comme le Stade Brestois qui formait pas moins de 132 jeunes en même temps cette année. Une formule qui permet aux adolescents de se mélanger avec les «autres», de se faire des amis ailleurs qu’au centre de formation, de côtoyer des filles.
Autre solution, la scolarisation entièrement en interne. L’AC Ajaccio a récemment créé sa propre école privée. Dans ces structures, le moins que l’on puisse dire est que les élèves sont bien encadrés. Au Stade Rennais, «27 professeurs s’occupent d’une quarantaine d’élèves», détaille Patrick Rampillon, directeur du centre de formation depuis 25 ans. Les 20 heures de cours hebdomadaires y sont aménagées pour ne pas rentrer en conflit avec les six à neuf sessions d’entraînement par semaine, en fonction de l’âge et des caractéristiques de chaque jeune.
Le système porte ses fruits en termes de résultats scolaires mais aussi de réputation pour les clubs. La réussite aux examens est en effet un des critères pris en compte dans le classement annuel des centres de formation de la Direction technique nationale (DTN), dans lequel le Stade Rennais vient de céder sa première place au FC Sochaux après six ans de domination.
Ecole et intelligence de jeu
Est-ce à dire qu’il y a une corrélation entre bonne éducation scolaire et niveau sportif? Interrogé par RMC, Rachid Maatar, patron de la formation de l’AS Nancy Lorraine, est de cet avis:
«Aujourd’hui, on demande des joueurs intelligents, qui ont de la réflexion. Mais où est-ce qu’on travaille la réflexion? C’est à l’école. Et je maintiens que celui qui progresse à l’école progresse sur le terrain.»
L’«intelligence de jeu». En football, le concept est sur toutes les langues depuis quelques années. C’est la caractéristique la plus souvent évoquée pour analyser la domination sans partage de l’équipe d’Espagne sur la scène internationale depuis 6 ans, et dans une moindre mesure celle du FC Barcelone dans le football de club. L’ancien sélectionneur français Laurent Blanc lui-même a avoué qu’elle expliquait la différence de niveau entre les Bleus, trop dépendants d’un hypothétique exploit individuel, et la Roja lors du dernier Euro.
La France n’aurait donc qu’à insister encore plus sur la scolarisation de ses élèves pour rattraper son retard en la matière? Les choses ne sont pas si simples. Le Rennais Patrick Rampillon n’est lui pas convaincu:
«Il y a une différence entre l’instruction et l’intelligence. Dans le monde professionnel, il y a des grands chefs d’entreprise qui n’ont pas leur bac. De la même manière, on peut réussir dans le foot sans niveau scolaire élevé. Avoir des garçons avec une tête bien pleine, ça peut aider. […] Mais ce n’est pas parce qu’un gamin n’a pas le bac qu’on ne va pas le maintenir dans le centre formation.»
Fonctions exécutives
Et les connaissances scientifiques sur le sujet semblent donner raison au formateur rennais. «A l’heure actuelle, on ne sait pas comment développer l’intelligence de jeu d’un joueur», affirme Torbjörn Vestberg, psychologue suédois co-auteur d’une étude sur le sujet.
Selon lui, l’intelligence de jeu d’un joueur peut se mesurer au travers de ses «fonctions exécutives», un concept de psychologie qui désigne les processus cognitifs qui nous permettent de traiter les informations afin de s’adapter à des situations inédites. Dans le football, cela se traduit par une capacité à s’adapter à une nouvelle tactique de l’adversaire en cours de match ou d’adapter son comportement en prenant en compte plusieurs facteurs à la fois (positionnement des coéquipiers, des adversaires, du ballon, météo, etc.) Des capacités qui n’ont «pas de lien direct avec le QI» ni avec le niveau d’éducation selon Vestberg.
Offrir une bonne scolarisation aux jeunes footballeurs français ne suffira sans doute pas à doter l’équipe de France des Xavi et Iniesta de demain. Mais après tout, ce n’est pas le but premier. Les clubs se doivent surtout de préparer leurs jeunes à une éventualité que chacun redoute, mais qui est pourtant la plus probable: celle de ne pas réussir à devenir footballeur professionnel.
Ben Arfa et Nietzsche
«On a un rôle essentiel, celui de former des hommes avant des joueurs», affirmait récemment Bernard David, le nouveau responsable du centre de formation de l’AS Saint-Etienne, en se félicitant des 87,5% de réussite au bac du club.
Le message résonne encore plus depuis que le comportement de certains joueurs de l’équipe de France a choqué le pays à la Coupe du monde 2010 et à l’Euro 2012. «C’est sûr que l’exemple ne vient pas d’en haut», estime Patrick Rampillon, qui souligne néanmoins les limites de ce que peuvent faire les formateurs à l’heure actuelle:
«On essaie de donner la meilleure éducation jusqu’à 18 ans et on arrive à bien cadrer les jeunes jusqu’à cet âge, mais on ne maîtrise pas les chemins empruntés par la suite, notamment au moment de la véritable entrée dans le monde du football professionnel.»
Hatem Ben Arfa, un des joueurs français convoqués par la commission de discipline de la Fédération (FFF) pour s’être énervé contre son coach Laurent Blanc après la défaite face à la Suède, lit aussi Nietzsche, Kant et Oscar Wilde.
Grégoire Fleurot