Monde / Life

Le Hajj 2009 menacé par la grippe (MàJ)

Temps de lecture : 6 min

Peut-on imaginer interdire ce qui constitue chaque année la plus grande réunion de personnes au monde?

L'inquiétude grandit quant aux conséquences sanitaires que pourrait avoir le pèlerinage de La Mecque. Mais alors que différentes initiatives préventives sont prises dans ce domaines plusieurs responsables de la communauté musulmane française ont dénoncé, jeudi 13 août sur France-Inter, le fait qu'en dépit de leurs demandes aucun conseil ne leur a été donné ni par le ministère de la santé ni par celui des affaires étrangères.

Ces derniers jours deux décès dus à une infection par le virus A(H1N1) ont été enregistrés, l'un en Cisjordanie, l'autre en Egypte chez deux hommes qui venaient d'effectuer ce pèlerinage. En Arabie saoudite on compte désormais neuf décès pour environ 600 cas recensés dans ce royaume du Golfe qui accueille chaque année plusieurs millions de pèlerins.

Les autorités sanitaires saoudiennes ont récemment annoncé le renforcement de mesures visant à prévenir la propagation du nouveau virus pendant le petit pèlerinage (omra) dans les villes saintes de La Mecque et de Médine. La omra peut se faire toute l'année mais l'affluence est plus grande pendant la période du ramadan, qui cette année débute le 22 août pour s'achever le 20 septembre. Le grand pèlerinage annuel de La Mecque, le hajj, (un rassemblement de plus de deux millions de personnes) est quant à lui prévu fin novembre.

Par crainte de la contagion virale le gouvernement iranien a pris la décision d'interdire ce pèlerinage pendant le mois de jeûne musulman. Le porte-parole de l'aviation civile iranienne a déclaré que l'Iran cessait tous ses vols vers l'Arabie saoudite à compter du mardi 11 août précisant que tous les pèlerins iraniens seraient rentrés avant le début du mois de ramadan. Selon Mohammad Bagher Lankarani, ministre iranien de la santé l'Iran compte officiellement 145 cas d'infection par le nouveau virus grippal, la plupart concernant des pèlerins de retour d'Arabie saoudite.

Fin juillet le Conseil musulman du Royaume-Uni (CMB) avait jugé utile de rappeler que l'hygiène et le contrôle des infections modernes faisaient «partie intégrante des enseignements de l'islam». Il a incité notamment les imams à sensibiliser leurs fidèles à travers la prière du vendredi, mais aussi dans les madrasas (écoles coraniques) puisque les jeunes sont les plus touchés par l'infection grippale. Le CMB a également enjoint les personnes comptant se rendre en pèlerinage à La Mecque de «respecter un bon comportement d'hygiène personnelle, y compris une certaine «étiquette» en matière de toux, l'utilisation de gels antiseptiques pour les mains et des lavages fréquents des mains à l'eau et au savon». Dans un document adressé plus généralement à la communauté musulmane le CMB précise que le fait que les musulmans ne consomment pas de porc ne les met pas à l'abri d'un virus responsable d'une grippe encore qualifiée de «porcine»; un virus qui se transmet surtout par les postillons expulsés en parlant, en éternuant et en toussant.

Certains virologistes ont même été jusqu'à poser la question l'interdiction pure et simple du pèlerinage à La Mecque. La police sanitaire peut-elle interdire certains rituels religieux? Grave question. Ces derniers mois nous avons vu, au Mexique, les responsables catholiques accepter, sans trop rechigner, de ne pas célébrer les messes dominicales. Les autorités sanitaires nationales les avaient alors convaincus de cette règle qui veut que les grands rassemblements humains amplifient statistiquement le risque de contamination virale au sein de notre espèce.

«Nul ne sait quand surviendra la prochaine pandémie grippale hautement meurtrière qui pourrait faire des centaines de milliers de victimes à travers le monde, pouvait-on lire début mars sur Slate.fr, soit un certain temps avant l'émergence planétaire du A(H1N1) Pour autant, il n'est pas trop tard pour réfléchir aux multiples questions pratiques qui se poseront lorsque chacun sera directement exposé au risque de contamination virale. Et il n'est pas trop tard, non plus, pour s'interroger sur les dangers que ces mesures pourraient faire courir aux libertés individuelles.»

Prescience? Nullement mais le simple exposé des principales conclusions d'un riche avis que venait alors de rendre public le Comité consultatif national français d'éthique (Ccne). Résumons la problématique: jusqu'où les pouvoirs publics pourront-ils, le moment venu, agir au nom de la santé publique et de l'intérêt collectif ? Et qui définira «le moment venu»? A partir de quand des impératifs sanitaires imposeront-ils, par exemple, des mesures contraignantes de restriction à la liberté -souvent constitutionnelle- de circulation des personnes ?

En mars dernier le Ccne citait le Montesquieu de «De l'esprit des lois» : «Il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un voile sur la liberté, comme l'on cache les statues des dieux». Montesquieu mesurait-il alors à quel point son propos, à quelques siècles de distance, deviendrait doublement prophétique ?

Voici donc, en marge des multiples interrogations soulevées par la progression internationale A(H1N1), qu'émerge une question sans précédent et d'une considérable complexité. Elle vient d'être posée au sein de la communauté internationale des spécialistes de virologie.: faut-il, dès aujourd'hui et pour de strictes raisons sanitaires, interdire le prochain Hajj prévu pour la fin du mois de novembre prochain ? Une question qui n'a rien d'anecdotique quand on connaît l'importance majeure que la communauté musulmane accorde à ce pèlerinage. Rien d'anecdotique non plus quand on sait que l'an dernier le hajj a réuni plus de 2,5 millions de personnes dans la ville sainte de l'islam.

Mais peut-on, ne serait-ce qu'un instant, raisonnablement imaginer interdire ce qui constitue chaque année la plus grande réunion de personnes au monde ? Pour le Pr Albert Osterhaus, l'une des sommités mondiales de la virologie (centre Erasmus, université de Rotterdam) la question ne se pose pas. «Imaginez, vous avez un virus qui commence à se transmettre à travers le monde, vous rassemblez des gens de tous les pays, vous les mettez ensemble pendant deux semaines, et vous renvoyez tout le monde à la maison, vient-il de déclarer. S'il y a un mécanisme par lequel vous voulez qu'un virus se répande c'est bien celui-là.» Il s'exprimait le 18 mais dans le cadre lors du 19e Congrès européen de microbiologie clinique et des maladies infectieuses qui vient de s'achever à Helsinki.

Moins provocateurs, d'autres experts estiment qu'effectivement le Hajj pourrait, le moment venu, compliquer de manière considérable la gestion sanitaire de la pandémie. «Le hajj aura lieu, ce n'est pas comme un concert de Pink Floyd, où vous pouvez dire: «On n'a pas besoin d'un concert». Il sera maintenu, c'est sûr » estime pour sa part le Pr Andreas Voess (centre médical de l'Université de Nimègue, Pays-Bas) cité, comme le Pr Osterhaus, par l'Agence France Presse (AFP).

L'équation ici posée est à inconnues multiples. Et comme toujours le monstre de la schizophrénie pointe les extrémités de son museau double sous le Voile du Principe de Précaution. Alarmer pour rien, sinon pour un plaisir pervers ? Ou prendre les devants de manière, si la catastrophe survient, à pouvoir (ré)endosser les habits du prophète tout en étant devenu intouchable par la justice des hommes.

«Je pense que les autorités sanitaires sur place, avec notamment l'assistance de l'OMS vont devoir réfléchir à ce qu'il faut faire, comment informer les personnes concernées, a prudemment déclaré le Pr Voess. Ces autorités doivent être préparées, et elles doivent commencer à y réfléchir maintenant; pas lorsqu'ils auront le premier pèlerin atteint de la grippe. C'est vraiment nécessaire.» La belle affaire quand les mêmes experts expliquent qu'ils sont dans l'incapacité de prévoir à court ou moyen terme l'évolution de la situation épidémiologique....

Pour le Pr Pentti Huovinen, spécialiste de microbiologie clinique à l'Institut finlandais de la santé publique la difficulté est de trouver un juste milieu entre l'importance de la religion et celle devant être accordée aux menaces sanitaires. «C'est une question à laquelle nous ne pouvons pas répondre facilement» a-t-il reconnu. J'aimerais pouvoir lui dire -s'il ne le savait déjà- qu'il ne fait guère ici qu'enfoncer des portes ouvertes.

J'entend déjà ceux qui diront qu'il n'y a rien de bien neuf sous la divine éternité du soleil. Certes. Je me souviens qu'en l'an 2000 le hajj avait été à l'origine d'une épidémie de méningites graves dues à un type, nouveau et virulent, de méningocoque (baptisé W 135). Entre les mois de mars et d'octobre 2000, cette épidémie avait, dans neuf pays, touché plus de 300 personnes, dont 27 en France parmi lesquelles 5 étaient mortes. Tous les cas concernaient soit des personnes ayant participé au pélerinage, soit des personnes de leur entourage. En France, l'affaire avait été rapidement mise en évidence par les autorités chargées de la veille sanitaire et les responsables musulmans avaient, dès le mois de mars 2001, participé à une campagne d'information préventive visant à circonscrire au plus vite l'extension des foyers épidémiques.

En dépit des retards alors pris dans l'organisation de la prévention -retards alors fort opportunément dénoncés par le docteur Alain Fisch, responsable du service des urgences de médecine tropicale à l'hôpital de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) - aucun drame épidémique ne fut à déplorer. Il est vrai qu'en l'espèce un vaccin existait. Dieu merci.

Jean-Yves Nau

Photo: Les pélerins tournent autour de la Kaaba dans la grande mosquée de la Mecque Reuters

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