Tous les deux mois, les experts sondagiers Doug Schoen et Pat Caddell rédigent un éditorial qui combine généralement la pensée conventionnelle du moment avec la prose d’un panel de testeurs de barres chocolatées. Le nouveau débat, inauguré sur Politico le 2 juillet, intitulé «La politique absente de la campagne» n’a pas généré le même buzz que l’article intitulé «The Hillary Moment», dans lequel les deux experts proposaient au président sortant de ne pas se représenter. Les deux articles insistent pourtant sur le même point: nous assistons à une campagne de «division» caricaturale et pas à une campagne sérieuse. Pauvre République!
«On ne parle que très peu de la nécessité d’encadrer les programmes sociaux, d’équilibrer le budget et de réduire la dette et les déficits» selon les deux éditocrates. Après qu’Obama s'est attelé à la question complexe de l’expulsion des jeunes immigrants sans-papiers, il a prononcé un discours «qui ne fixait aucun cap précis pour les politiques de réforme de l’immigration». Vraiment?
Prenez cette expression, qui revient régulièrement dans les éditoriaux pour qualifier les propos de campagne: «babillages». Qui définit un «babillage» dans une campagne présidentielle? Les éditorialistes, bien sûr! Schoen et Caddell, comme Tom Friedman, ont choisi, bizarrement, de suivre l’actualité de la campagne sans s’intéresser en profondeur aux plans des candidats. Rien de neuf sous le soleil.
Matt Taibbi, qui se gausse de la désinvolture de Friedman depuis cinq ans, a récemment écrit que «les analyses de Friedman sont aux blogging ce que les blagues salaces sont aux comiques de stand-up».
«La campagne la plus "minable" de l'histoire»
Mais ce qui est nouveau, c’est que de très nombreux journalistes semblent partager l’avis de ces éditorialistes. Dans Politico, il y a quelques semaines de cela, Maggie Haberman et Alexander Burns ont ainsi affirmé que la campagne de 2012 était la campagne la plus «minable» de l’histoire des Etats-Unis. «Obama et Romney se contentent de se clasher sur Twitter», écrivaient-ils, «tout en passant leur temps à déplorerque cette campagne ne voit pas émerger des idées sérieuses au vu de la gravité de la situation».
Mon collègue John Dickerson, qui couvre sa cinquième campagne présidentielle a décidé de comparer le nombre des propositions politiques de Mitt Romney avec celles de George W. Bush: la pile du président Bush est plus élevée.
Mais un élément tendant à prouver la stupidité de la campagne ne prouve pas que toute la campagne est stupide. Voilà donc un bon moyen de considérer cette campagne électorale: il existe un fil Twitter consacré aux nouvelles des élections, véritable carnaval des gaffes, des annonces sur Internet et des cafouillages lors des discours.
Le Twitter du réel
La plupart des titres du fil Twitter contiennent des expressions telles que «x répond à y» ou «y se lâche contre z». Mais il existe un autre fil: celui du réel. Dans ce fil, on évoque les politiques que le prochain président et le congrès vont sans doute mettre en œuvre. La plupart des titres des articles de ce fil du réel comportent des chiffres et c’est peut-être pour cela – sans vouloir vous offenser! – que vous ne les avez pas vu passer.
Digression: Burns, sur Politico, qui tweete sous le nom @aburnspolitico, a commencé à se payer assez génialement la paresse des journalistes qui suivent la campagne électorale. «Je vous balance un titre pour toutes les prochaines histoires à la Joe Walsh», après que ce candidat républicain au Congrès a eu la «bonne idée» de contester l’héroïsme de son adversaire démocrate, qui, pilote d’hélicoptère, a perdu ses deux jambes en Irak en 2004 après que son appareil a été abattu par des insurgés: «un représentant inconnu et sans chance véritable d’être réélu fait une boulette».
Le fil Twitter n’a pour seul effet de nous distraire et les campagnes que mènent les candidat via Twitter ne font qu’accentuer les choses. La campagne de Romney les accentuent au sens strict du terme, avec de faux comptes twitter qui tentent de tirer partie de la moindre petite histoire ou en ne cessant de commenter les déplacements du candidat Obama dans le seul but de faire du buzz. Voilà des semaines que le cycle des nouvelles portant sur la campagne présidentielle suit le fil de Twitter.
Twitter, la «Mommy War» et le vote des femmes
Par essence-même, le fil twitter de la campagne est insignifiant, écumeux et oubliable. Les Américains se souviennent sans doute de la «Mommy War» qui s’est déclenchée après que le parti républicain a prétendu que Hilary Rosen, ex-figure du lobbying de l’industrie du disque et invitée fréquente de la Maison blanche parlait au nom de l’équipe de campagne d’Obama quand elle se moquait de Ann Romney, l’épouse de Mitt, présentée comme l’archétype de la femme au foyer, et pas dans des termes très amènes. (Vous pouvez toujours acheter des autocollants «Moms drive the Economy» sur le site de campagne de Romney).
C’était à la fin du mois d’avril. Un sondage effectué par Fox avant cette péripétie donnait à Obama un avantage de 49 à 41 face à Romney pour le vote des femmes. Un nouveau sondage de la Fox effectué juste après – et dont les questions tournaient autour de cette histoire – donnait un chiffre de 47 à 42, toujours en faveur d’Obama, un changement insignifiant. (Romney venait d’éjecter Rick Santorum de la course, ce qui a dû jouer sur le vote.)
Ce mois-ci, le dernier sondage en date de Fox donne à Obama un avantage de 46 contre 39 à Romney. La Mommy War a-t-elle eu un effet sur les électeurs et si oui, lequel? Celui-ci: les électeurs ont été, un temps, distraits par quelque chose d’intéressant.
La richesse de Romney
Comparez à présent cette histoire avec l’agitation provoquée par le camp d’Obama autour de la période où Mitt Romney était à la tête de Bain Capital, une entreprise de capital-risque. Cette affaire a des répercussions certaines et provoque même des renversements de vote dans certains Etats depuis que la campagne d’Obama montre, à travers des clips, que Mitt Romney s’est enrichi, sans grand risque personnel, en démantelant de nombreuses usines à travers le pays. «Ils nous avaient promis une mutuelle» dit un ancien ouvrier en colère dans un de ces clips de campagne. «Ils nous ont promis qu’ils maintiendraient nos retraites. Et ce sont les deux choses qu’ils ont abandonnées en premier».
Sur Twitter, cette affaire se résume à des clashes entre sous-fifres. Cory Booker a critiqué le ton de la campagne. Bill Clinton et Ed Rendell ont vanté les mérites professionnels de Romney. «Les attaques d’Obama contre Bain vont elles se retourner contre lui?» demande CNN. Le fil Twitter sur cette question n’a fait que masquer la réalité de ces clips de campagne. Qui a pris le soin de les visionner?
Cette semaine, des journalistes comme Rick Klein ou Mark Murry ont montré, à travers les résultats des sondages, que ces clips ont eu un effet. Si vous vivez dans un de ces fameux swing-States (les Etats susceptibles de basculer dans un camp ou l’autre et donc d’avoir un impact au final sur le résultat de l’élection, NdT) vous avez deux fois plus de chances d’avoir des hauts-le-cœur en pensant à la carrière passée de Mitt Romney.
L'éditorialiste peut-il faire des analyses sans rester en surface?
Ce genre de clip ne correspond-il pas exactement au genre de stupidités dont les éditorialistes n’ont de cesse de nous dire de nous méfier? La question peut être débattue, mais il convient tout de même de rappeler que c’est Romney qui a poussé les électeurs à examiner de plus près sa carrière dans la privé: «je suis un homme d’affaires»! - comme une indication de la manière dont il gouvernerait. Dans certains de ses discours, tout en affirmant qu’il respecterait le budget déjà ratifié, il a promis des gels de dépenses dans le secteur public et de nombreuses coupes budgétaires.
L’éditorialiste frénétique risque donc sans cesse de ne livrer que des assemblages de faits disparates en fait d’analyse poussée. Chacun semble considérer qu’une attaque négative est, par essence, sans substance. Cela n’est pas toujours le cas. Prenez l’exemple avancé par Schoen et Caddell autour de la politique d’immigration voulue par Obama et la réforme de la loi DREAM. Peu après l’annonce de cette réforme, Obama a prononcé un discours devant la National Association of Elected and Appointed Legislators, sans avoir, selon eux, «donné le détail de sa politique de réforme de l’immigration».
Certes, le président a passé plus de temps à prononcer des phrases destinées à provoquer des salves d’applaudissements qu’à détailler son programme. Cela est dû au fait qu’il a décrit l’idée directrice de son programme plutôt que le programme lui-même et c’est comme cela que l’on construit un discours. Obama a soutenu la «réforme complète de l’immigration» introduite par John McCain et Ted Kennedy sous la présidence Bush et l’a même votée.
Il suffit de faire un peu de recherche sur Internet (en utilisant votre moteur de recherche préféré) pour en voir le contenu. Obama n’a pas déclaré vouloir autre chose que l’application pleine et entière de cette loi – qui n’a pu être votée en intégralité en raison d’une importante obstruction parlementaire en 2010.
Rien n’empêche un éditorialiste ou un électeur de contrôler et de s’assurer de ce que tel ou tel candidat sera susceptible de faire ou de faire voter par le Congrès à partir de janvier 2013. Après tout, la campagne de 2012 n’a que la substance que chacun veut bien lui accorder.
David Weigel