Le journalisme d’investigation «à la française» est essentiellement une affaire de boîtes aux lettres et ce n’est pas une nouveauté: des rédactions étiques, ça ne produit pas toujours de la copie éthique.
Pour autant, présenter comme scandaleuse ou illégitime la diffusion par TF1 d’un enregistrement de Mohamed Merah négociant avec le Raid pendant son Fort Chabrol, c’est assez surprenant. Entre le feuilleton Bettencourt et la (fausse) affaire Laurent Blanc, pour ne citer qu’une fraction de la litanie de scoops récemment sortis par nos amis de Mediapart après le passage du facteur, on pensait que le public s’était habitué…
Que les pouvoirs publics s’interrogent sur la manière dont un document estampillé «secret de l’instruction» se retrouve sur le bureau d’un journaliste, c’est la moindre des choses. Qu’ils aillent même jusqu’à sanctionner le juge, le policier ou le greffier pourvoyeur de renseignements inédits lorsqu’il se fait coincer, ça tombe sous le sens.
Mais, le job de la presse, c’est d’informer et c’est exactement ce que vient de faire la chaîne.
Confirmations
Comme Mediapart avant elle, elle s’est sans doute exonérée un peu rapidement du commentaire d’explication qui devrait toujours accompagner la livraison d’une exclu de cet acabit («Oui, il y a des gens que ça arrange de sortir ça. Oui, ils ont vraisemblablement choisi ce média spécifique parce qu’il entrait dans leur propre plan de communication. Oui, nous sommes sans doute un poil manipulés»), mais pour le reste…
Ce que Mohamed Merah confirme sur ces enregistrements, c’est qu’il est effectivement un terroriste conscient de la nature et de la portée de ses actes, passé de la délinquance banale à la violence idéologique, plutôt qu’un jeune homme déboussolé dont les bêtises seraient simplement devenues plus grosses. Ce qu’il confirme aussi, c’est le loupé hallucinant de la DCRI dans la surveillance et la gestion d’un homme dont elle connaissait le parcours et pouvait présumer des intentions.
Construit par la rhétorique djihadiste («La mort, je l’aime comme vous aimez la vie»), ses «tu vois» et «t'as vu», ses «voilà» façon Secret Story ne nous le rendent pas plus proche ou plus sympathique. A tout prendre, ils nous le rendraient même plus inquiétant encore.
Et ses aveux, même s’ils ne valent pas grand-chose au plan juridique, coupent au moins l’herbe sous le pied des conspirationnistes élaborant leurs théories malsaines et promettant leurs propres documents vidéos. En les diffusant, Tf1 a fait son boulot. Et sans doute n’importe quelle rédaction aurait-elle agi de la même manière. Slate comme les autres.
Hugues Serraf