Peut-être n’avez-vous jamais entendu parler de la maladie de Lyme, et c’est bien un des problèmes selon les associations de malades. Leur maladie ferait l’objet d’un «déni» des pouvoirs publics qu’ils entendent dénoncer. Plus de 7.000 personnes ont adressé une pétition au ministre de la Santé pour tenter de faire pression, sur la sécurité sociale, sur la Haute autorité de santé, sur le Conseil de l’Ordre des médecins, sur les agences régionales de santé et plus généralement sur le gouvernement.
C’est une accusation de l’ensemble du système sanitaire doublé d’un appel à Marisol Touraine, ministre de la Santé sur fond de pathologie infectieuse mal comprise.
De quoi s’agit-il?
La maladie de Lyme
Elle tire son nom de la bourgade du Connecticut où cette entité fut (re)découverte en 1975 par des épidémiologistes de l’université de Yale. Il s’agit d’une affection d’origine bactérienne qui fut jadis connue sous les appellations d’«érythème chronique migrant de Lipschutz» ou de «méningo-radiculite de Garin et Bujadoux».
Il s’agit plus précisément d’une «borréliose», maladie provoquée par l’infection de l’organisme par des bactéries du genre Borrelia, ainsi désignées en l’honneur de leur découvreur le médecin et pastorien français Amédée Borrel (1866-1937).
C’est également une «maladies à tique» causée par des morsures de ces redoutables acariens, ectoparasites qui se repaissent de tous les vertébrés, y compris de ceux qui vivent avec un sang froid comme les lézards, les serpents et les tortues.
C’est enfin une maladie à bien des égards mystérieuse, à la fois mal comprise et en plein développement dans l’hémisphère nord, aux Etats-Unis comme en Europe. De nombreuses hypothèses sont avancées pour expliquer ce phénomène qui pour l’heure demeure largement incompris.
On compterait 50.000 nouveaux cas par an de maladie de Lyme en Europe, et entre 10.000 à 12.000 en France. L'Est (et notamment l’Alsace) ainsi que les départements du centre seraient plus particulièrement touchés. Il n'existe pas de vaccin préventif contre la maladie de Lyme, le TicoVac, ne concernant que l'encéphalite à tique, maladie certes transmise par les tiques mais d’origine virale.
En pratique, la seule prévention consiste à se prémunir des morsures de tiques, notamment lors de promenades en forêt. En cas d'infection, le premier symptôme est une rougeur caractéristique, située autour de la piqûre et qui peut s'accompagner de fièvre.
Ces premiers signes parfois fugaces disparaissent ensuite d'eux-mêmes, ce qui ne signe en rien la guérison. A ce stade, on estime généralement qu’un traitement antibiotique adapté et correctement suivi suffit à prévenir une évolution chronique.
Une affection aux multiples
Une fois contaminée et non (ou mal) traitée, la personne peut souffrir de diverses manières. L’infection bactérienne peut alors affecter plusieurs organes et systèmes. On peut ainsi observer à distance l’apparition de méningites, de paralysies faciales, de diverses manifestations articulaires, etc.
L’évolution de la maladie comme ses manifestations sont imprévisibles s’exprimant de manière aigue ou chronique, le tout entrecoupé de rechutes et accompagné de séquelles physiques et psychologiques.
Un tableau à ce point disparate explique que la maladie de Lyme puisse nourrir de solides controverses au sein du monde médical comme dans celui de la bactériologie.
Elles portent sur le diagnostic le traitement ou le dépistage ainsi que sur les recommandations officiellement formulées dans ce domaine aux professionnels de santé. L’affaire n’épargne ni le champ de la santé publique ni les responsables de la veille sanitaire. Et en dépit de la place grandissante prise par cette affection, une politique de prévention à la hauteur des enjeux ne semble toujours pas à l’ordre du jour en France.
La révolte des malades
En France, elle est menée depuis quelques mois sous l’égide de la jeune association Lyme sans frontières basée à Strasbourg ainsi que par le Réseau sur la Borréliose de Lyme en France, ses Co-Infections et les Maladies vectorielles à Tiques. Lancée en mars, une pétition adressée à la ministre de la Santé a recueilli plus de 7.000 signatures.
Contrairement à ce que l’on pourrait d’emblée imaginer, les auteurs de cette initiative ne semblent pas a priori se situer de manière radicale dans le camp des médecines alternatives et de la contestation d’une approche et d’une stratégie rationnelle. Pour autant, leur démarche n’en conduit pas moins à développer une contestation radicale des structures en place, à dénoncer une forme d’incurie sanitaire et à flirter avec la théorie du complot.
Pour l’heure, ils réclament avant tout une amélioration de la prévention à l’échelon national et une diffusion d’informations destinées tant aux grand public qu’aux professionnels de santé. Ils réclament également une révision des protocoles de détection et de soins (aujourd’hui selon eux totalement obsolètes) qui devrait être menée avec «le soutien de nouveaux experts internationaux indépendants, des praticiens de terrain et des chercheurs de tous horizons». Plus grave, ils entendent obtenir «la fin du harcèlement et de la répression menés contre les médecins, pharmaciens et biologistes engagés depuis plusieurs années dans la lutte contre cette infection».
Une référence explicite au «Tic-Tox», préparation «naturelle» à base de sauge. En janvier dernier, l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a interdit ce produit: il n'avait pas obtenu d'autorisation de mise sur le marché et la petite entreprise alsacienne Nutrival qui le fabriquait n'était pas homologuée en tant que laboratoire pharmaceutique. Son gérant, Bernard Christophe, diplômé en pharmacie, devra répondre de ces faits en septembre devant le tribunal correctionnel de Strasbourg.
A ses côtés comparaîtra Viviane Schaller, gérante d'un laboratoire d'analyse biologique qui pratiquait des tests différents de ceux officiellement préconisés et qui a annoncé à des milliers de personnes qu’elles étaient infectées alors qu’on leur avait jusqu’alors assuré le contraire. Récemment, l'Agence régionale de santé d’Alsace a fait fermer le laboratoire de Viviane Schaller.
Il n’en a pas fallu plus pour que les responsables de Lyme sans frontières voient là un complot ourdi par les multinationales pharmaceutiques et leur puissance financière. «On préfère mal soigner tous les symptômes du Lyme avec toutes sortes de médicaments qui coûtent des millions à la Sécu plutôt que de s'attaquer vraiment à la maladie», dénonce Judith Albertat, présidente de l’association, citée par l’Agence France Presse.
Ces mêmes responsables estiment d’autre part que la transparence n’est pas pleinement faite, en France, concernant la réalité de l’épidémie, sa progression et ses modes de transmission, notamment via «les transfusions sanguines et le placenta». Corollaire: ils réclament «l’allocation de fonds dédiés à la veille épidémiologique et à la recherche totalement sous équipée face à ce très grave problème de santé publique».
Des médecins divisés
En cas d’évolution chronique de la maladie, le Centre national de référence sur la maladie préconise d’avoir recours à des traitements antibiotiques. Le milieu associatif conteste l'efficacité de cette solution.
Plus généralement, la révolte des malades permet de mettre en lumière les profondes divergences qui peuvent exister sur un tel sujet au sein des spécialistes, médecins ou biologistes.
Les pétitionnaires se félicitent du soutien qui leur est apporté par des spécialistes comme le Pr Christian Perronne, infectiologue à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), ou encore comme le Pr Luc Montagnier, Prix Nobel de médecine, découvreur du VIH ancien pastorien et aujourd’hui défenseur isolé d’une approche hétérodoxe de nombre des maladies chroniques.
A l’inverse, certains spécialistes dénoncent les commerces à visée diagnostiques et thérapeutiques que peut faire prospérer une pathologie mal comprise par la médecine officielle. Pour sa part, le Pr Daniel Christmann (Centre national de référence de la maladie de Lyme, Strasbourg) estime que si des symptômes subsistent de manière chronique après traitement antibiotique adapté, la bactérie pathogène n’est plus la cause du mal. Ainsi le Dr Pierre Kieffer (CHU de Mulhouse) avance que les douleurs articulaires et musculaires qui sont alors décrites sont certes réelles, mais pourraient relever d'une composante «psychologique». Ce qui, comme dans le cas de la «fibromyalgie» ou de «l’hypersensibilité aux ondes» (deux autres entités pathologiques controversées), est généralement très mal perçu par les personnes qui en sont les victimes.
Jean-Yves Nau