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La «real ale» va-t-elle sauver la bière anglaise?

Temps de lecture : 5 min

Le retour en grâce de la bière traditionnelle britannique pourrait bien finir par se heurter à la dure réalité de la disparition des pubs.

The Speaker Pub à Londres le 23 novembre 2005, REUTERS/Toby Melville
The Speaker Pub à Londres le 23 novembre 2005, REUTERS/Toby Melville

Les chiffres de la British Beer and Pub Association (BBPA) sont implacables: la consommation de bière a reculé de manière quasi-continue depuis 15 ans. Tout un symbole pour le Royaume Uni où la bière est considérée par beaucoup comme une icône nationale.

Selon la BBPA, qui regroupe des professionnels de l‘industrie brassicole et des pubs représentant 96% de la bière produite au Royaume-Uni et environ la moitié des pubs du pays, le volume de bière vendu chaque année serait ainsi passé de pratiquement 35.000 barils en 1997 à seulement 26.000 l’an dernier, soit un repli de plus de 25% en 14 ans seulement. Le phénomène se serait même accéléré depuis le déclenchement de la crise financière en 2007 (rappelez-vous Northern Rock…), avec des volumes de ventes en baisse de presque 20 % entre 2006 et 2011.

Bière qui roule n’amasse plus mousse

La faute au marasme économique, mais pas seulement. Car si l’on a pu observer une certaine corrélation entre la consommation d’alcool par tête (ou par bedaine, c’est selon) et les performances macroéconomiques du pays, au cours des trois dernières décennies, la tendance de fond, elle, n’a pas été au repli, loin de là. D’autres facteurs ont également joué un rôle important dans le lent déclin de la bière.

C’est le cas notamment de son remplacement progressif par le vin ou le cidre dans les choix des consommateurs. Selon la BBPA, la part de la bière dans la consommation des britanniques en boissons alcoolisées aurait ainsi chuté d’environ 65% des ventes en 1975, à moins de 40% à la fin des années 2000. Dans le même temps, la part du vin serait passée d’à peine 10% à 12% des ventes, à près du tiers. Le cidre, plus marginal, aurait également bien progressé, grimpant de 2% à 10% environ.

Pour les brasseurs le coup a été rude avec, en plus de la baisse de volumes, des marges sous la pression conjuguée d’une fiscalité accrue et de l’augmentation du prix des matières premières. Dans un secteur très concentré où les trois principaux acteurs (Heineken, Molson Coors et Anheuser Bush InBev) représentent plus de 70% du marché, nombre d’entre-deux ont annoncé ou procédé à des suppressions d’emplois.

Rayon de soleil

Malgré ce contexte inquiétant, certains brasseurs ont tout de même de quoi garder le sourire. Paradoxalement, il ne s’agit pas des plus gros, ni des plus multinationaux, ni même des plus innovants. Au contraire, puisque c’est la bière traditionnelle britannique, celle que les anglais appellent «real ale» (la vraie bière) ou «cask ale» (bière de baril). Certes elle représente une fraction des ventes de «lager» (bière blonde en fûts pressurisés), mais elle semble avoir retrouvé depuis quelques années une nouvelle jeunesse, avec des taux de croissance l’ordre de 5% a 10% par an selon les sources.

Plus impressionnant, l’explosion du nombre de micro-brasseries à travers tout le pays. Les membres de la Society of Independent Brewers (SIBA), qui en regroupe une grande partie, sont ainsi passés de 250 à 550 entre 2002 et 2012. Au total, ils seraient plus de 800 dans tout le Royaume-Uni. A titre de comparaison, l’Association des Brasseurs de France estime à environ 200 le nombre de ces microbrasseries sur le territoire français, dont une centaine seraient apparues au cours de la dernière décennie.

Eddie Gadd, un petit brasseur implanté depuis 10 ans à Ramsgate dans le Kent, attribue une partie de ce succès à un changement dans le comportement des consommateurs britanniques, qui s’intéressent de plus en plus à la provenance de leur alimentation:

«Il existe une demande pour les produits artisanaux, frais et fabriqués localement et les petits brasseurs ont été en mesure de la satisfaire.»

En plus de cette évolution, la mise en place en 2002 d’une progressive beer duty – un dispositif existant dans plusieurs pays européens, dont la France, et permettant aux petits brasseurs (dont la production demeure inferieurs à 60.000 hectolitres par an) de bénéficier d’allègements pouvant aller jusqu’à 50% de la taxe sur la bière – a aussi donné un coup de pouce à ceux – dans de nombreux cas d’anciens employés des grands brasseurs – qui hésitaient à se lancer.

Ni filtrée, ni pasteurisée

Tous n’ont pas fait fortune, loin de là, et certains brasseurs ont disparu aussi vite qu’ils étaient apparus. La SIBA reconnait volontiers qu’un nombre important de ses membres n’existeraient pas sans cet avantage fiscal.

Reste que celle que bien des amateurs croyaient à l’article de la mort il y a une vingtaine d’années est bel et bien de retour dans les pubs. La bière traditionnelle britannique, ni filtrée, ni pasteurisée, conditionnée en fûts à pression ambiante, et servie sans recours à du dioxyde de carbone, constitue en effet l’essentiel de la production de ces microbrasseries, plus de 80% des volumes en ce qui concerne les membres de la SIBA.

L’association estime que la production de ses membres a augmenté de l’ordre de 8,1% l’an dernier, à données comparables, et de 9,5% au total, des chiffres conformes aux progressions enregistrées les années précédentes.

Tout n’est cependant pas rose au pays des brasseurs artisanaux, qui malgré leur avantage fiscal relatif par rapport aux grands groupes doivent aussi faire face à un programme de hausse de la beer duty (taxe prélevée auprès des brasseurs, en fonction des quantités qu’ils produisent), également appelé beer duty escalator. Cette mesure, prise en 2008, consiste à faire augmenter le montant de la taxe sur la bière de 2% de plus que le taux de l’inflation chaque année.

My pub is not rich

Autre facteur handicapant, le rythme alarmant des fermetures de pubs, ceux-ci représentant le principal débouché pour les microbrasseurs. La BBPA estime à plus d’une trentaine, en moyenne, le nombre de fermetures nettes hebdomadaires pour la période entre janvier 2009 et juin 2011, avec un pic à plus de 50 atteint au cours du premier semestre 2009. Observé sur une période plus longue, le nombre de pubs au Royaume-Uni serait passé de 69.000, en 1980, à un peu plus de 51.000 seulement, aujourd’hui.

La concurrence de la grande distribution n’est pas étrangère à leur disparition. La BBPA estime que la part de ventes de bière en supermarché a ainsi progressé de façon constante – passant de 10% au début des années 70, à près de 50% en 2010 – à mesure que la part de marché des pubs se réduisait.

Rick Muir de l’Institute for Public Policy Research (IPPR), dans une étude publiée en janvier dernier sur le rôle social joué par les pubs au Royaume-Uni, mentionnait, lui, les commentaires amers de certains patrons de pub sur cette concurrence souvent très agressive.

Eddy Gadd de la Ramsgate Brewery se montre d’ailleurs prudent sur l’intérêt, pour les petits brasseurs, de diversifier leurs canaux de ventes en passant par la grande distribution. «La vente en supermarchés présente un potentiel important en termes des volumes mais les prix sont intenables pour des petites entreprises» explique-t-il, admettant avoir lui-même vendu à plusieurs supermarchés par le passé et continuer à servir l’un d’entre eux mais ne plus chercher à développer ce segment.

Pour l’instant, sa clientèle de pubs locaux, dont la plupart est située dans un rayon de moins de d’une vingtaine de miles (un peu plus d’une trentaine kilomètres) de ses cuves de fermentation, semble tenir le choc. C’est aussi le cas pour l’immense majorité des petits brasseurs mais le rêve d’un retour en grâce de la bière traditionnelle britannique pourrait bien finir par se heurter à la dure réalité de la disparition des pubs.

Yann Morell y Alcover

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