C'était il y a cinq ans. Après avoir fait la queue quasiment toute la journée devant l'Apple Store, j'avais enfin le premier iPhone en mains. Je suis rentré chez moi en vitesse pour le brancher sur iTunes, renoncer à ma vie pour Apple et activer mon abonnement téléphonique avec AT&T. Dans les heures qui ont suivi, à mesure que mes doigts glissaient sur son écran tactile, j'ai senti le monde moderne se matérialiser.
Pendant ma première journée en compagnie du téléphone magique d'Apple, deux choses me sont venues à l'esprit. Premièrement, que cet appareil allait bouleverser le secteur de la téléphonie. A côté de l'iPhone – sa rapidité, sa simplicité d'usage, sa beauté et son interface tactile révolutionnaire – tous les autres smartphones allaient paraître obsolètes. Le BlackBerry et ses épigones étaient voués à l'échec.
Un appareil prometteur
Ensuite, j'ai été déçu. Quelques mois avant sa sortie, Steve Jobs avait verrouillé l'appareil pour qu'Apple soit le seul à pouvoir concevoir des programmes nativement compatibles avec le téléphone. Après quelques heures d'utilisation, cette décision me paraissait très peu perspicace. L'iPhone n'avait pas peut-être l'allure d'un ordinateur, mais il donnait l'impression d'en être un.
C'était un appareil multifonctions – téléphone, lecteur de musique, navigateur et assistant personnel – dont les capacités auraient pu être étendues à l'infini par des développeurs tiers. Plus je m'en servais, plus je voulais m'en servir: je voulais des jeux, je voulais des films et de la musique en streaming. Mais surtout, je voulais des choses que je ne savais même pas possibles.
En d'autres termes, l'iPhone paraissait très prometteur, sans qu'on sache vraiment ce qu'il allait donner. Quand Apple ouvrit enfin l'appareil aux applications tierces, en 2008, le téléphone tint visiblement ses promesses. Grâce à l'App Store, il pouvait faire n'importe quoi, et son influence se fit rapidement sentir sur le reste du secteur technologique.
Aujourd'hui, tous les téléphones du marché ressemblent à l'iPhone et fonctionnent comme lui. Et cela ne s'est pas arrêté aux téléphones: l'iPhone a influencé l'iPad, qui a bouleversé le marché des ordinateurs personnels avant de devenir la source d'inspiration des meilleures innovations informatiques (les systèmes d'exploitation Mac et Windows calquent aujourd'hui plusieurs de leurs fonctionnalités sur les appareils tactiles). Pour tout cela, merci l'iPhone.
L'iPhone est un produit mature
Et pourtant, aujourd'hui, il est vrai qu'on s'ennuie avec l'iPhone, non? J'ai de plus en plus de mal à m'enthousiasmer pour le mobile phare d'Apple. Le mois dernier, j'ai failli m'endormir pendant la conférence développeur de l'entreprise et ses nouvelles annonces.
Quand Scott Forstall, le chef de l'iOS d'Apple, s'excitait sur les nouvelles fonctionnalités de son système d'exploitation mobile, je me disais Hein, c'est tout? La plate-forme mobile d'Apple était sans conteste le meilleur système d'exploitation pour smartphone de la planète. Aujourd'hui, on a simplement l'impression qu'il est aussi bon que les autres. Pour n'importe quelle autre entreprise, tout irait pour le mieux. Mais ce n'est pas suffisant pour Apple.
Le problème, ce n'est pas qu'Apple a baissé en qualité. L'iPhone 4S, le modèle actuel, est un appareil fantastique et le prochain iPhone sera sans doute tout aussi merveilleux. Mais l'iPhone est un produit mature, un gadget qui a maximisé son potentiel. Apple n'a plus de lacune évidente à combler et la plupart des fonctionnalités ajoutées ces dernières années – FaceTime, iCloud, Siri et, aujourd'hui, une meilleure version de l'application Maps – n'ont rien de révolutionnaire.
La concurrence est au niveau
De plus, la concurrence a rattrapé l'iPhone. Je préfère toujours iOS à Google et son Android, et Windows et iOS sont pour moi plus ou moins semblables, mais il serait facile de s'inscrire en faux. C'est parce qu'aucune de ces trois plate-formes n'a réellement de longueur d'avance. Les différences entre leurs fonctionnalités ne sont que marginales.
Globalement, elles font toutes les mêmes choses et de la même façon. Il y a trois ans, si vous achetiez un autre appareil que l'iPhone, vous vous tiriez une balle dans le pied. Ce n'est plus le cas.
Si vous avez une fidélité irrationnelle envers Apple, vous pourriez me demander Mais que voulez-vous de plus? La question est légitime, et je peux parfaitement admettre que taper sur un gadget parce qu'il tellement formidable que je ne peux pas concevoir qu'il puisse encore s'améliorer est un peu cavalier.
L'iPhone, comme tous les ordinateurs, va devenir encore plus rapide et plus léger, et la durée de vie de sa batterie pourrait s'allonger. Le téléphone va peut-être aussi se doter d'une puce sans contact et devenir un moyen de paiement. Parallèlement, il est aussi possible que Siri s'améliore, passant du gadget promotionnel à quelque-chose de réellement utile, qui pourrait même modifier votre manière d'interagir avec votre téléphone.
Apple tiendra peut-être la promesse de Steve Jobs en faisant de FaceTime un stantard ouvert qui, un beau jour, fonctionnera partout et pas uniquement sur les appareils Apple (mais je parie le contraire). En somme, si tout cela arrive – si Apple continue à améliorer progressivement l'iPhone – serai-je satisfait?
Apple doit proposer quelque chose de radicalement différent
Non, je baille toujours un peu, principalement parce que tous les autres fabricants de téléphones amélioreront aussi leurs appareils, et ce à un rythme effréné. La version de Google de Siri fonctionne aussi bien que celle d'Apple. Google Now, l'assistant d'Android, basé sur de l'intelligence artificielle, dépasse tout ce que l'iPhone peut proposer. Et les «Live Tiles» des téléphones Windows – les icônes qui, sur votre écran d'accueil, vous informent de tout ce qui se passe chez vos amis et dans le reste de votre vie – améliorent la navigation mobile mieux que n'importe quelle invention d'Apple.
Alors, évidemment, le téléphone d'Apple va se perfectionner, comme le reste, et Apple restera dans le gros du peloton à moins de sortir quelque-chose de radicalement différent. Quoi par exemple?
Lors de la conférence développeur de Google, la semaine dernière, l'entreprise a passé beaucoup de temps à parler de Glass, ses lunettes numériques encore à l'état de prototype. L'appareil vous permet de faire globalement tout ce que vous faites avec votre téléphone – lire vos SMS et vos mails, prendre des photos, consulter votre agenda – via une interface intégrée à des lunettes. C'est un flux numérique qui se superpose au monde réel, un peu comme le champ visuel du Terminator.
Si tout le monde sur Twitter a tourné ces lunettes en ridicule – est-ce que Google pense réellement que les gens vont porter ces trucs de geeks? – les journalistes qui ont pu les approcher de plus près (moi y compris) en sont revenus emballés.
Après m'être entretenu avec des employés de Google – et après avoir pu essayer la propre paire de Sergueï Brin pendant 20 secondes – je n'en pouvais plus. Les lunettes Google sont l'interface numérique la plus novatrice depuis l'iPhone. Google Glass permettra aux gens de vivre dans le monde numérique, sans perdre de vue le monde réel – vous pourrez interagir avec vos amis virtuels sans délaisser vos amis réels.
Parce que vous pourrez accéder à de l'information numérique plus vite qu'avec n'importe quel téléphone portable, en revenant tout aussi vite dans le monde déconnecté, j'ai grand espoir que ces lunettes nous guérissent de notre addiction à la technologie.
Je ne demande pas à Apple de créer un masque de réalité augmentée. Mais j'espère quand même que l'entreprise travaille à quelque-chose d'aussi ambitieux que les binocles de Google, un produit qui représente la prochaine vague de l'informatique mobile. Je ne sais pas à quoi cela peut ressembler.
Mais ce n'est pas mon boulot de l'imaginer. C'est celui d'Apple – une entreprise qui nous a sans cesse bluffés en inventant un futur que nous n'avions même pas conscience de désirer. L'iPhone a peut-être tout changé, mais il a aujourd'hui cinq ans. Il est temps d'innover.
Farhad Manjoo
Traduit par Peggy Sastre