Depuis quelques semaines, sur le web, les photos défilent: Vanessa Hudgens, Selena Gomez, Ashley Benson et Heather Morris en bikini fluo sur les plages de Miami. Ce ne pourrait être que le nouveau «coup» d'un paparazzi à la recherche de photos volées et dénudées de quelques-unes des héroïnes/fantasmes des adolescent(e)s de 2012. C'est en fait le nouveau «coup» d'un metteur en scène de cinéma habitué depuis presque vingt ans à faire parler de lui grâce à des films que la presse sans imagination appelle «trash».
Avec Kids, Gummo, Julien Donkey-Boy ou Ken Park, Harmony Korine a été une icône de la contre-culture de la deuxième moitié des années 90. Ses films à la frontière de l’expérimental sur les gueules et âmes cassées de l'Amérique profonde et ses scénarios sur l'adolescence perdue ont fait de lui un auteur respecté. Certes, cette dernière décennie, il n'a fait parler de lui que dans des milieux extrêmement restreints (deux longs-métrages essentiellement montrés dans des festivals et une petite dizaine de courts-métrages) mais son aura résonne encore.
Le fait qu'il ait été le petit-ami et pygmalion de l'icône Chloé Sevigny n'y est sûrement pas étranger mais une petite visite sur Tumblr suffit à s'en rendre compte: Korine reste une référence, un modèle pour tout une nouvelle génération d'adolescents et jeunes adultes qui aime partager les photos de ses vieux films, sommets d'indépendance et de liberté cinématographique.
Harmony Korine est un auteur culte et ce statut est sûrement en partie ce qui a séduit de jeunes starlettes et les a convaincues de participer à son nouveau film: Spring Breakers, dans lequel les stars de High School Musical, des Sorciers de Waverly Palace, de Pretty Little Liars et de Glee y joueront une bande d'étudiantes braquant un restaurant pour financer leur vacance de printemps.
Du sexe et de la violence: transformer une image
Mais le statut du réalisateur est une chose, le contenu du film en est une autre. De ce point de vue, via les premières photos dévoilées sur Internet, on nous promet plusieurs choses: du sexe, des fêtes, des orgies et de la violence.
Car il existe une légende persistante à Hollywood: une jeune actrice de séries télé familiales, pour faire une «vraie» carrière par la suite (comprenez dans des blockbusters hollywoodiens), doit commencer par casser son image, tenir un rôle provoquant, à l'opposé des bons sentiments qui l'ont fait connaître. Elle doit devenir une actrice «sexuée»! Selena Gomez et Ashley Benson le disent elle-même au magazine Interview. La première explique:
«Je me répétais dans mes choix de rôles et je voulais vraiment faire quelque chose de complètement différent. C'est une étape importante pour moi. C'est ce que je veux faire maintenant. Je veux me prendre au sérieux en tant qu'actrice. C'est un changement radical. Franchement, je n'avais jamais fumé de cigarette de ma vie. C'était vraiment drôle: ils ont dû me montrer comme faire.»
Ashley Benson ajoute:
«Harmony voulait nous sortir du moule de la fille sage. Pour Selena, Vanessa et moi, notre public est adolescent ou encore plus jeune. Ils ne seront même pas capables de voir ce film quand il sortira.»
Sempiternelle rengaine. Mais est-ce vraiment une bonne stratégie dans une carrière?
Vanessa Hudgens, Selena Gomez, Ashley Benson, Rachel Korine | Muse Productions
Alors qu'en général elle n'a que des publicités sur son CV, une jeune actrice choisie pour le rôle principal d'une série télé familiale se dit inévitablement qu'une brillante carrière s'offre à elle, qu'on lui ouvre une porte alors que des milliers d'autres restent dehors. Si, par miracle, la série est un succès, c'est en plus de nombreuses années de travail assurées et un nouveau statut de star qui lui sont offerts. Elle n'est plus une actrice lambda, anonyme. On la reconnaît dans la rue, les paparazzis la suivent, ses fans partagent ses photos sur Tumblr.
Mais elle est aussi (et surtout) une actrice cataloguée. C'est le cas de Vanessa Hudgens ou Selena Gomez. Elles sont des actrices admirées par beaucoup de jeunes filles dans le monde et font fantasmer sûrement autant de jeunes garçons mais, pour les adultes, elles ne sont que des actrices «made in Disney», de gentilles et jolies adolescentes qui n'ont pas grand-chose à apporter au cinéma.
Sur les traces de Jodie Foster
A respectivement 22 et 20 ans, elles font donc face à un challenge. Toutes leurs aînées, actrices de télé familiale, sont passées par là: changer d'image, devenir une «vraie» actrice qui fait des films destinées aux adultes, qui peut tenir tous les rôles dans des genres divers et variés, drame, action, comédie. Bref, elles veulent toutes devenir Jodie Foster.
Foster a en effet accédée aux rôles «adultes» en sexualisant fortement ses performances. C'est son rôle de prostituée dans Taxi Driver puis son rôle de victime d'un viol collectif dans Les Accusés qui lui vaudront ses deux premières nominations aux Oscars (et une victoire pour le second), après une enfance passée à jouer dans des productions familiales très sages, souvent produites par Disney (La Course au Trésor, Un Vendredi dingue, dingue, dingue etc.). C'est ce genre de prestations et d'actrice qui ont créé cette légende du rôle «trash» qui changerait tout.
Cette légende a pourtant fait des ravages, notamment au milieu des années 90. Quand la série Sauvés par le Gong s'achève en 1994, Elizabeth Berkley, qui a incarné la très sage intello Jessie Spano pendant cinq saisons, se voit proposer le rôle principal de Showgirls par Paul Verhoeven. Le réalisateur néerlandais n'a pas réalisé de films depuis le phénomène Basic Instinct qui a fait de Sharon Stone une star planétaire. Son nouveau film écrit par Joe Eszterhas (également scénariste de Basic Instinct) sur les danseuses de Las Vegas est donc très attendu, promettant à sa star un envieux destin.
Le rôle semble idéal pour Elisabeth Berkley, parfait pour casser son image de gentille ado: un réalisateur acclamé et culte, un scénariste en vogue et un sujet ambitieux. Berkley est alors sûre d'en avoir fini avec l'adolescente sérieuse de la télé et prête à dévoiler l'actrice adulte et sexuée... très sexuée.
Auteur cul(te)
Mais le film, malgré une exposition médiatique énorme décuplée par le scandale autour des scènes de sexe très «graphiques», fait un flop, notamment à cause d'un violent déversement critique. Dans le Washington Post, en 1995, on pouvait lire ceci par exemple:
«Heureusement, les répliques de Berkley pouvaient être écrites sur un string. Comme la bimbo qu'elle incarne, son tout petit talent d'actrice limite ses choix de rôles».
C'est le risque de ce genre de films pour une actrice. Est-elle choisie pour son talent ou pour sa plastique et sa propension à l'exhibitionnisme? C'est une tentation forte pour un metteur en scène, mâle de surcroît, d'aller chercher des actrices ambitieuses rêvant de grands rôles et leur faire tourner n'importe quoi, sous le prétexte de l'art et d'une réputation «d'auteur culte». Une tentation d'autant plus forte que ces actrices de séries familiales sont perçues par l'œil du grand public, via leur apparition hebdomadaire à la télé, comme des «êtres purs».
C'est le fantasme de la lycéenne innocente qu'on va «révéler». Le parfait terreau de la provocation facile et, par conséquent, l'assurance que le film fera parler de lui (confère le nombre d'articles déjà écrit sur Spring Breakers qui ne sort pas avant 2013). Mais l'actrice est souvent le dommage collatéral de cette stratégie.
Le rôle adulte selon Michelle Williams
Car s'il y a bien un atout que possède toute actrice à ses débuts, c'est son mystère, sa capacité à faire rêver —hommes comme femmes. Lui enlever ce mystère en la faisant jouer sans nuances les nymphomanes, strip-teaseuses, allumeuses, prostituées ou toutes autres occupations déshabillées, c'est la priver d'une carrière digne de ce nom car le public en reviendra, quoi qu'il arrive, aux scènes de sexe et à la nudité, mettant de côté le talent. Au lieu de passer de «jeune star de la télé» à «actrice mature et adulte», la jeune femme passe directement à la case bimbo. Et il est évident qu'en acceptant de tourner avec Harmony Korine ou Paul Verhoeven, aucune d'entre elles n'a l'intention - au départ - de devenir une «bimbo»!
Là où ces actrices se trompent en jouant la carte du trash et du sexe, c'est en pensant qu'un rôle adulte est forcément un rôle «sexuel». Regardez Michelle Williams. Comme tous ses partenaires de la série Dawson, elle a dû faire passer le message qu'elle était «plus» qu'une adolescente de série télé. Alors que Katie Holmes décidait d'enlever le haut dans Intuitions de Sam Raimi, comment Williams a-t-elle fait? Elle a pris la voie la plus longue et difficile.
En parallèle de la série, elle a enchaîné les films indépendants de genres très différents, de la comédie (But I'm a cheerleader, The Baxter...) au drame (Land of Plenty, The Station Agent...): dix films en seulement cinq ans. La plupart du temps, elle n'y tenait que des seconds rôles dans ces films souvent très peu vus mais, au fil des années, le message a fini par passer, jusqu'à tenir un de ces fameux seconds rôles dans Brokeback Mountain -rôle qui lui vaut sa première nomination aux Oscars et un statut d'actrice «de prestige». C'est également la route empruntée par Sarah Polley quand elle sort de six années des Enfants d'Avonlea en 1996 et peut-être celle de la jeune Shailene Woodley qui semble opérer une douce transition avec La Vie secrète d'une ado ordinaire grâce à son très beau rôle dans The Descendants d'Alexander Payne (pour lequel elle a été nommée aux Golden Globes).
Trajets inversés
Quand il s'agit de faire la transition, ces jeunes actrices se trompent souvent: la majorité échoue à trouver les bons rôles dans les bons films et retombe dans l'anonymat - quand la drogue n'a pas raison d'elles avant (Dana Plato, Lindsay Lohan...). D'autres s'évertuent à prouver qu'elles sont devenues des «femmes» en multipliant ces fameux rôles ultra-sexy, à l'image d'Alyssa Milano qui, pendant plus de cinq ans, au début des années 90, après Madame est servie, s'est beaucoup déshabillée et s'est plus souvent retrouvée dans les bacs des vidéoclubs qu'au top du box-office (Poison Ivy II, L’Étreinte du Vampire...) – avant de finalement retourner à la télé, avec Melrose Place puis Charmed.
Alors, il n'y a évidemment aucune règle établie. Voir Anne Hathaway passant de la série La Famille Green et la production Disney Princesse malgré elle (qui a fait d'elle une star instantanée chez les 8-15 ans en 2001) au très provoquant et dénudée Havoc dans lequel elle jouait une ado fascinée par les gangs de Los Angeles. Voir Jessica Biel passant de la très prude série 7 à la maison aux Lois de l'attraction, dans lequel elle incarnait une nymphomane couchant avec l'équipe de foot de son campus.
Mais les mauvais choix pardonnent rarement. C'est ce que dirait Ari Gold à ces jeunes actrices. Il dirait également à ces deux-là qu'elles ont bien de la chance que leurs films "trash" soient passés totalement inaperçus et qu'elles aient pu rebondir sur Le Diable s'habille en Prada pour l'une et Massacre à la Tronçonneuse pour l'autre. Deux films de studios. Deux succès commerciaux. Deux rôles sexy... mais pas trop!
Emma Roberts VS Selena Gomez
Que deviendront alors Vanessa Hudgens et Selena Gomez après la sortie de Spring Breakers? Connaîtront-elles le même destin qu'Elizabeth Berkley? Ou finalement le film indépendant finira par passer sous les radars médiatiques à cause, par exemple, d'une qualité médiocre ce qui pourrait leur permettre de rebondir sur de «vrais» rôles adultes? Ou, au contraire, le film se révèlera être un chef d'œuvre comme le fut Taxi Driver pour Jodie Foster?
Pendant ce temps-là, la jeune Emma Roberts, nièce de Julia, après avoir débuté dans la série Allie Singer et les films très familiaux Palace pour chiens, Aquamarine ou Nancy Drew, a refusé de rejoindre Selena et Vanessa sur le tournage de Spring Breakers, préférant, à l'image de Michelle Williams, se focaliser sur des comédies dramatiques indépendantes haut de gamme et douces amères comme It's kind of a funny story, Le Jour où je l'ai rencontré ou le prochain Celeste & Jesse Forever. Rendez-vous dans cinq ans pour savoir qui aura gagné son Oscar…
Michael Atlan