«Je veux dire aux Français la vérité. Je veux leur dire ce que nous ferons.» Après avoir ainsi ouvert son discours de politique générale, le Premier ministre a effectivement présenté un bilan de la situation et un programme d’actions assez complets. Mais beaucoup de zones d’ombre demeurent.
L’exercice, on le sait, est compliqué, surtout dans une période comme celle que nous traversons.
Il faut à la fois dire dans quel état exact on a trouvé le pays –en l’occurrence, il faut parler des déficits, de la dette, de la perte de compétitivité de notre économie, de la croissance en berne et du chômage en hausse–, sans pour autant dramatiser ni inquiéter davantage ses concitoyens.
Il faut ensuite dire où on veut aller, mais sans faire trop peur si les remèdes proposés sont amers.
Il faut enfin parler de tous les sujets dont peut traiter un gouvernement, pour que chaque ministre se sente valorisé et que chaque catégorie socioprofessionnelle ait le sentiment que l’on s’intéresse à elle.
Le changement dans la durée
Sur ce dernier point, Jean-Marc Ayrault a été parfait. Personne n’a été oublié, tout le monde a eu droit a au moins un petit mot au détour d’une phrase. Même les riches ont pu se sentir rassurés: «Je ne suis pas l’ennemi de l’argent», dit le Premier ministre, sauf quand il s’agit des «parachutistes dorés» ou des «spéculateurs sans scrupules».
Mais, sur les deux premiers points, le constat et les moyens envisagés pour redresser la situation, le discours a été encore très imprécis.
Certes, on ne pouvait attendre du Premier ministre qu’il dise exactement tout ce qu’il allait faire. Comme il l’a dit lui-même, il voulait d’abord d’expliquer sa méthode. Et cette méthode consiste à «installer le changement dans la durée», à «prendre le temps d’évaluer, d’écouter, de décider».
Il ne saurait donc être question de faire des annonces prématurées. Mais, même si l’on respecte ce souci d’avancer sans précipitation excessive, de prendre le temps de la réflexion, il y a tout de même certains points sur lesquels on aurait aimé avoir plus de détails.
Le rapport de la Cour des Comptes, publié la veille de la déclaration de politique générale et auquel Jean-Marc Ayrault a fait plusieurs fois allusions, soulève des questions précises, qui vont se poser très rapidement, puisqu’il s’agit du budget 2013.
Une pudeur exquise sur les dépenses
Prenons l’exemple des dépenses publiques, que la Cour préconise d’alléger, la réduction du déficit ne pouvant se faire seulement par une hausse des prélèvements obligatoires. Sur cette question délicate, le Premier ministre fait preuve d’une pudeur exquise: l’objectif est simplement de «maîtriser les dépenses», de respecter les priorités «sans pour autant creuser nos déficits et notre dette».
Tout cela serait fort bien s’il s’agissait simplement de stabiliser l’état de nos finances, mais l’enjeu de 2013 est de les redresser très vite si l’on veut respecter les engagements pris d’un retour du déficit public à 3% du PIB l’an prochain.
Même délicatesse dans l’expression lorsqu’il s’agit d’aborder la question de l’emploi dans la fonction publique:
«Les effectifs de l’Etat connaîtront une stabilité globale.»
Or la Cour attire l’attention de nos gouvernants sur le fait qu’ils auront du mal de tout faire simultanément: maintenir les effectifs et continuer à relever les rémunérations par la hausse du point d’indice, les mesures catégorielles ou l’impact des évolutions de carrière.
Qu’est-ce qui attend exactement les fonctionnaires? Mystère. Et ce n’est pas un détail: les rémunérations versées par l’ensemble des administrations publiques représentaient 13,2% du PIB en 2010.
Où va la Sécurité sociale?
Même discrétion sur un sujet de grande importance: le déficit de la Sécurité sociale. Après avoir dépassé 20 milliards pendant trois ans d’affilée, le régime général devrait encore être déficitaire de près de 15 milliards cette année. Ce qui est intolérable, puisqu’il s’agit de financer les dépenses courantes. L’action devra être énergique et ne pas tarder.
Or, on ne trouve rien dans le discours du Premier ministre sur ce point, sinon des propos lénifiants sur la nécessité d’assurer la pérennité de notre système de retraite par répartition et de rebâtir un système de santé véritablement accessible et performant. D’accord, mais comment?
On note par ailleurs que la hausse de la TVA prévue pour le 1er octobre sera abrogée. Ce n’est pas une surprise, mais rien n’est dit sur la façon dont les recettes seront augmentées l’an prochain, les mesures annoncées sur les niches fiscales, l’impôt sur le revenu, l’ISF ou les successions risquant fort de ne pas suffire.
S’il n’y a pas hausse de la TVA, y aura-t-il hausse de la CSG? Mystère.
Rien qui fâche sur l’Europe
On admirera aussi la façon dont Jean-Marc Ayrault glisse sur le vote du traité européen de stabilisation budgétaire, en même temps que le pacte de croissance, la taxe sur les transactions financières et la supervision bancaire, comme si ce texte n’avait pas été l’objet d’un grand débat politique et si la règle d’or qu’il prévoit ne devait pas figurer dans la Constitution ou un texte ayant une force juridique voisine.
De même, il insiste beaucoup sur «l’intégration solidaire» en Europe:
«Chaque fois que la solidarité avance, l’intégration politique devient possible.»
Le problème, c’est qu’Angela Merkel inverse les termes et qu’il serait bien de dire ce qu’on entend par intégration politique et jusqu’où on veut aller.
«Les nations ne disparaîtront pas. Il n’y aura pas de dilution de notre identité.»
Fort bien, mais encore?
On pourrait citer bien d’autres points sur lesquels les intentions du Premier ministre demeurent volontairement floues.
Le discours de la méthode entendu à la tribune de l’Assemblée était fort intéressant, mais il demande à être complété rapidement. Il n’est certes pas question de demander au gouvernement de tout faire en cent jours, mais il faut être réaliste: l’épreuve de vérité, le budget 2013, ce sera en septembre. De toute façon, il va falloir très vite nous en dire un peu plus.
Gérard Horny