France

Jean-Marc Ayrault, le discours de Monsieur Loyal

Temps de lecture : 5 min

Le Premier ministre a présenté sa feuille de route: les promesses du candidat Hollande avec un fil conducteur: «le redressement dans la justice».

Jean-Marc Ayrault, le 3 juillet 2012 à l'Assemblée nationale. REUTERS/Philippe Wojazer
Jean-Marc Ayrault, le 3 juillet 2012 à l'Assemblée nationale. REUTERS/Philippe Wojazer

Pour sa première grande prestation politique, le discours de politique générale présenté aux députés, Jean-Marc Ayrault s’est montré tel qu’en lui-même: sobre et loyal. La sobriété paraît chez lui être une seconde nature, du moins lorsqu’il est en responsabilité, car il lui est arrivé d’être un opposant mordant.

Il s’est donc exprimé sans emphase, sans grandes envolées, sans trop de formules ciselées, hormis lorsqu’il parlait de la France, de son génie propre et du patriotisme dont il se réclame. La loyauté s’est marquée dans le contenu de son discours qui reprenait le mot à mot des engagements de campagne de François Hollande.

Nous sommes à des années lumière du «lui, c’est lui; moi, c’est moi» de Laurent Fabius à l’égard de François Mitterrand ou bien de la quasi cohabitation qui avait caractérisée la relation entre ce dernier et Michel Rocard, bien plus proche en revanche du lien presque affectueux qui avait existé entre le premier Président socialiste et son premier Premier ministre, Pierre Mauroy.

Rien n’a manqué donc dans l’énoncé des promesses qui sont désormais la feuille de route du pouvoir exécutif, des effectifs renforcés dans l’éducation, la police et la justice à la taxation à 75% promise pour les revenus dépassant le million d’euros, en passant par le refus de voir des enfants dans les centres de rétention, ou bien le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels.

Désendetter la France, sans pénaliser les classes moyennes

Quant au fil conducteur, il est bien là: «le redressement dans la justice». Redressement voulant dire bataille pour le désendettement et le retour à l’équilibre des comptes pour la fin du quinquennat; justice signifiant que les classes «moyennes et populaires» ne seront pas touchées par des efforts fiscaux principalement demandés aux catégories les plus aisées.

D’entrée, Jean-Marc Ayrault a pris le parti de prendre acte de la situation telle qu’elle est (3 millions de chômeurs, dette et déficit extérieur record, croissance fortement ralentie) sans invoquer «l’héritage».

Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas été payé de retour par l’opposition. On a beau y être habitué et constater qu’à chaque fois beaucoup de députés confondent l’Assemblée avec une cour de récré, on n’est jamais déçu: brouhaha, quolibets permanents pendant son discours, escalade dans les interruptions pour culminer par la diatribe d’une violence inouïe du président du groupe UMP, Christian Jacob.

Spectacle assez surréaliste en fait, ordonné par ceux-là mêmes qu’il y a à peine un mois n’en menaient pas large; et s’ils sont revenus en nombre conséquent à l’Assemblée, c’est avec l’un des scores les plus bas de l’histoire politique de la droite.

Mais qu’à cela ne tienne, on avait l’impression que le gouvernement était là depuis trois ans et qu’il venait, lui aussi, de faire exploser la dette et le chômage. Ceci pour dire que je ne suis pas sûr que la droite emploie la bonne méthode qui appellerait de sa part au moins un moment d’humilité.

Il faut dire que cogner contre l’adversaire est évidemment une façon de faire oublier que l’UMP est d’ores et déjà occupée à séparer les combattants entre les partisans de François Fillon et ceux de Jean-François Copé. Il me semble que c’est Nathalie Kosciusko-Morizet qui a raison lorsqu’elle rappelle à ses amis de la nouvelle opposition qu’il serait plus intelligent pour elle de s’occuper d’abord de reconquérir le terrain local qu’elle a, en cinq ans de sarkozysme, déserté ou dont elle a été écartée. Il y a là en effet un préalable d’autant plus facile à concevoir que la reconquête peut commencer dès 2014 (municipales).

Et ce d’autant que les défis du nouveau couple exécutif vont être particulièrement difficiles à surmonter. De ce point de vue, Jean-Marc Ayrault semble avoir, avant toutes choses, tracé ses objectifs et défini une méthode, sans vraiment abattre toutes ses cartes. A l’instar de François Hollande que l’on a vu à l’œuvre lors du récent sommet de Bruxelles, c’est plutôt une carte après l’autre, un pied devant l’autre, qu’une vision large ou grandiloquente. Il est alors difficile de trouver un angle aigu, à l’inverse de l’ère Sarkozy où l’acuité des clivages était recherchée.

Un grand enjeu et une grande contradiction

De ce discours, j’ai donc retenu un grand enjeu et une grande contradiction. L’enjeu est celui de la grande conférence sociale qui doit être réunie dans les prochains jours et pour laquelle le Premier ministre a mis la barre très haut: définir un nouveau «compromis historique». Un «new deal» en quelque sorte au cours duquel tous les thèmes qui doivent permettre de nourrir la démocratie sociale seront «mis sur la table» avec l’objectif sous-jacent d’obtenir une sorte de donnant-donnant: des avancées sociales en contrepartie de l’acceptation de l’impératif de la compétitivité.

Peu présent dans les discours de François Hollande, ce thème de la compétitivité a été maintes fois évoqué par le Premier ministre. Seront donc brassés pêle-mêle: l’emploi, la formation, la sécurité des parcours professionnels (sorte de sécu de l’emploi), les bas salaires, l’égalité salariale homme/femme, l’avenir de la protection sociale, mais aussi les conditions de la ré-industrialisation du pays, celle-ci étant affirmée comme l’un des objectifs majeurs des gouvernements.

Beaucoup de ce quinquennat se jouera donc à l’occasion de cette grande confrontation, à ce jour inédite, hormis les périodes de crise comme le Grenelle qui suivit les événements de Mai-68.

La contradiction réside dans le fait que, pour réussir, pour obtenir la mobilisation de tous que Jean-Marc Ayrault a appelée de ses vœux, il faut sans doute des chemins fiscaux autres, pour partie en tous cas, que ceux que le gouvernement s’apprête à emprunter.

D'autres chemins fiscaux

La combinaison en effet du retour à la case départ pour le niveau de taxation de l’ISF et des fameux 75% au-delà du million d’euros, qui devrait avoir pour conséquence immédiate d’obliger ceux qui sont à ces niveaux à vendre du capital pour payer leurs impôts, a donné le signal d’un début d’exode vers Bruxelles ou Londres.

A quoi le Premier ministre répond que le patriotisme qu’il invoque, «ce n’est pas fuir la France pour des paradis fiscaux et laisser à ceux qui restent le poids de l’effort». On ne peut qu’être d’accord. Sauf que, pour restaurer un dynamisme dans l’économie sans lequel il n’y aura aucun salut, il faut inciter à ce dynamisme.

Et donc être capable d’encourager et de récompenser ceux qui prennent des risques. C’est ce qui manque dans le dispositif énoncé par le Premier ministre, sous réserve d’en connaître bientôt davantage, car il y a là une question de dosage. En tous cas, lorsqu’il lance: «vous qui produisez, aidez la France!» et lorsqu’il proclame son respect et son amour des entrepreneurs, il a à ce stade peu de chances d’être entendu.

Le gouvernement risque en effet de se trouver face à la contraction du financement des entreprises de la part du système bancaire, au reflux des sièges sociaux vers d’autres capitales et au découragement du risque, alors même qu’il a besoin du contraire. Sans pour autant se renier, car il y a certainement à trouver une conception non punitive de la justice fiscale.

D’autres perspectives ont été tracées par Jean-Marc Ayrault qui seront égrenées au fil des prochaines semaines, notamment l’annonce d’une grande conférence environnementale à la rentrée pour définir les conditions de l’instauration d’une «croissance verte».

Et il a livré cette formule, qui tient lieu de doctrine en matière européenne, domaine par excellence du chef de l’Etat: «L’intégration solidaire». Mais acceptons-en l’augure.

Jean-Marie Colombani

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