France / Life

Michel Bras meilleur cuisinier de France?

Temps de lecture : 4 min

Nous en mettons notre met à couper.

La revue anglaise Restaurant a publié fin avril sa liste des 50 meilleurs restaurants du monde, d'après un sondage auprès de 806 chefs, critiques et experts en gastronomie. Pour la quatrième année, El Bulli du Catalan Ferran Adriá arrive en tête devant The Fat Duck à Bray-on-Thames, près de Londres, pourtant fermé en février pour cause d'empoisonnement de 400 clients, Noma au Danemark, Mugaritz en Espagne, El Celler de Can Roca en Espagne, Per Se à New York et Michel Bras à Laguiole (Aveyron), premier chef français devant Arzak à San Sebastian et Pierre Gagnaire à Paris, second chef distingué de l'Hexagone. A noter que le Louis XV d'Alain Ducasse à l'Hôtel de Paris à Monaco n'est que 28e, ce qui paraît assez incongru, et Michel Guérard, inventeur de la cuisine minceur, pas cité.

Quoiqu'il en soit, l'Aveyronnais Michel Bras, 63 ans, est premier de cordée et pour bon nombre de gourmets, ce n'est que justice.

Egaré sur le plateau de l'Aubrac à 1.100 mètres d'altitude, le Relais et Châteaux futuriste tout de verre, d'acier et de granit, une nacelle à la Jules Verne, accueille 18.000 clients par an - il est fermé de novembre à avril pour cause de frimas et de neige - et dès la réouverture au printemps, l'hôtel restaurant (15 chambres) des hauteurs de Laguiole est complet à 85 %, un record dans la corporation durement touchée par la crise.

Aucun trois étoiles en France n'affiche un pareil taux d'occupation - et Laguiole (1.250 habitants) n'a pas le pouvoir d'attraction de Paris, Lyon, Marseille et de la Riviera. De Rodez (23.000 habitants) où atterrissent quelques petits avions par semaine, il faut une heure trente de route en lacets et virages: la thébaïde de la famille Bras se mérite, tout comme le Relais de Régis Marcon au col de Saint-Bonnet-le-Froid. Des coins perdus dans la France rurale difficilement accessibles, il faut la volonté d'y aller.

Etonnante destinée que celle de Michel Bras au physique de coureur à pied, fils d'un artisan ferronnier et d'une cuisinière de bistrot à Laguiole qui lui fera accomplir ses premiers pas au fourneau - elle mitonne les viandes d'Aubrac, le bœuf sans gras, l'agneau Allaiton rôti sur l'os, les légumes du pot-au-feu et l'aligot, la gâterie fromagère qui signe un repas aveyronnais.

Attaché à sa terre natale qui «éclaire la conscience», ressentant au plus profond de lui-même «le goût ensorcelant de l'Aubrac», le fils succède à sa mère dans les années 80 et fait progresser le modeste bistrot de village vers la galaxie Michelin: en 1990, il obtient deux étoiles puis 19,5/20 au Gault et Millau et cela en modeste autodidacte qui n'a connu que deux grands chefs, comme client: Alain Chapel à Mionnay à qui il n'a pas osé adresser la parole et Fredy Girardet, le génial suisse de Crissier, lequel l'a encouragé à donner du sens à sa vie de cuisinier.

En 1992, Ginette, son épouse, et Michel abandonnent le village mythique pour s'installer sur le plateau de l'Aubrac, dans une sorte de cabine spatiale qui a beaucoup choqué les autochtones. L'architecture moderniste, la vue panoramique sur l'enchaînement des pics au-dessus de l'horizon vert, ce site improbable, comme surgi du néant, va contribuer à la formidable notoriété du chef aveyronnais, dynamisé, galvanisé par l'air vif du plateau, «son emprise, sa quiétude au quotidien qui me régénèrent.»

Ce lieu tout en hauteur, tutoyant la voûte céleste, «cette petite patrie» ont fait de Bras un très grand cuisinier. C'est là qu'il a créé le gargouillou de jeunes légumes, graines et herbes, la pièce de bœuf de l'Aubrac rôtie à la braise en deux services, l'oreille de bœuf poêlée et sa pomme de terre farcie au jus de truffe de Comprégnac, le carré de jeune brebis rôti à la braise, les poissons de mer (turbot) du marché de Rodez et le fameux coulant au chocolat breveté dont Michel Bras est l'inventeur - partout copié.

Ce corpus de préparations simplissimes a propulsé le chef au parler chantant à la troisième étoile, en 1999. Bras, le solitaire, le coureur de marathon devient l'égal de Robuchon, de Ducasse et de Veyrat.

Incontestablement, l'endroit a une âme et la cuisine très limpide, sans affèterie. Il traduit l'implication de Bras dans cet univers du végétal, «de la racine à la tige, de la feuille et de la fleur aux fruits, à la semence, que de découvertes.»

En plus de la joie des papilles, le mangeur est ébloui par ce qu'il voit, par cette immersion dans la magie de l'Aubrac, «la profondeur du silence, la lumière enivrante, le vent mêlé des pâtures.»

Jamais loin de sa brigade, peu présent dans les médias, secondé par Sébastien, son fils, Bras est un des rares cuisiniers français épris de culture, de livres et de mots. Quand il parle de sa mère qui lui a appris le Beau et le Bon - elle filait l'aligot jusqu'à ces derniers temps - c'est le Proust de l'Aveyron; d'ailleurs, il s'est fendu d'un superbe livre-album, riche de ses photographies, «Bras» (Le Rouergue éditeur, 45 euros).

Alors, le plus grand cuisinier de France? Bras se moque de cette distinction dont il ignore les tenants et les aboutissants. «Ai-je été visité, et par qui?». Langue de bois, ce classement. Il n'est pas loin de proclamer comme Ferran Adriá, le premier des toqués: «Il n'y a pas de meilleur restaurant, c'est idiot.»

Il est six heures du matin, ce mercredi brumeux, Michel Bras écosse les petits pois, seul dans sa cuisine laboratoire: au déjeuner, quarante-cinq couverts attendus, il proposera l'omble chevalier d'eau de source, juste raidi à la carotte et badiane, les pousses de pois, le tout mouillé au lait de noisette, un «must» de la longue carte annotée des réflexions du maître des cimes. Allez-y.

Nicolas de Rabaudy

Michel et Sébastien Bras, route de l'Aubrac 12210 Laguiole. Tél. : 05 65 51 18 20. Menus à 111, 136 et 179 euros, carte de 130 à 190 euros. Chambres de 230 à 550 euros. Fermé mardi et mercredi midi, sauf juillet et août.

Crédit photo: restaurant de Michel Bras, Toya Japon, Creative Commons FLICKR

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