C'est la fin de l'année scolaire –certains brûlent leurs cahiers, d'autres les rangent consciencieusement par ordre thématique et chronologique. Et tout le monde met au fond d'un tiroir les «fournitures scolaires» qui pourraient resservir l'année prochaine.
Vous vous souvenez de ce rituel? Vous vous souvenez des objets que vous rangiez à ce moment-là? Personnellement, quand je me rappelle du contenu de mon cartable de fin d'année, j’ai l’impression d’être allée à l’école en 1920. Liste des choses qui me paraissaient déjà moyenâgeuses à l'époque.
1. Le rapporteur
Le problème numéro 1 du rapporteur, c’est qu’il ne rentrait jamais dans la trousse. Il traînait au fond du cartable avec l’équerre et ils finissaient tous les deux brisés. Problème n°2: le rapporteur servait environ pour trois cours par an. Des cours qui tombaient systématiquement le lendemain du jour où j’avais décidé de le sortir de mon cartable.
Je me suis vraiment interrogée sur l'utilité du rapporteur le jour où on nous a demandé de faire un exercice avec interdiction de s'en servir —ce qui était la preuve éclatante qu'on pouvait faire sans.
2. Le compas
Le compas constituait un marqueur social fort. Certains élèves dégainaient un écrin spécial dans lequel trônait un compas rutilant, avec différentes mines et de l’acier brillant. D’autres sortaient de leurs trousses un minable bout de plastique sur lequel il fallait fixer son crayon à papier.
Le compas servait essentiellement à faire des concours de rosaces en perm' —rappelons qu'à l'époque nous n'avions pas de téléphone portable avec accès 3G.
3. Le porte-crayon du cours de techno
Selon le site de l'Education nationale, le cours de techno sert à «comprendre le monde technique en s'appuyant sur des démarches concrètes. Les élèves acquièrent des méthodes et des connaissances pour comprendre et maîtriser le fonctionnement d’objets techniques, fabriqués par l'homme pour répondre à ses besoins. Ils analysent leur conception et leur réalisation, ils situent les évolutions technologiques dans la chronologie des découvertes et des innovations.
Ils étudient aussi l’impact de ces objets techniques et de leurs transformations sur la société et sur l’environnement.»
Vaste programme plein de promesses. En réalité, pour ma classe, en cinquième, l'objet technique fabriqué par l'homme pour répondre à l'un de ses besoins était donc le porte-crayon. A l'époque, on avait été plusieurs à demander à la prof pourquoi on se cassait le cul à faire des soudures ratées alors que, si on avait vraiment besoin d'un pot à crayons, il suffisait de prendre une boîte de thé en fer ou une canette de Coca.
Je pensais que cette réalisation avait été un délire des années 1980/90 mais j'ai découvert sur Internet plusieurs exemples de cours de techno post-2000 portant sur la réalisation de porte-stylo qui me laissent penser que les élèves actuels continuent à fabriquer cet objet inessentiel.
L'honnêteté intellectuelle m'oblige à avouer qu'on n'avait pas étudié l'impact du porte-crayon sur la société et l'environnement.
4. Le normographe
Ah ah AH AH AH… Le fucking normographe. Il servait à tracer des lettres parfaites (en théorie). Mais attention, il y avait toute une palette de normographes différents, avec des variations subtiles de tailles et de polices. Et pour compliquer encore les choses, il fallait acheter le stylo avec une taille de pointe adaptée à votre normographe. (Dans mon souvenir, on devait être munis de deux stylos noirs, un pour les majuscules, un pour les minuscules.)
Mais à quoi servait donc le normographe? Tout simplement à faire du traitement de texte à la main. Soit le chaînon manquant de l’absurde entre écrire avec un stylo ou taper un texte. C’était laborieux, inutile et moche. Et il semblerait que certains profs de techno aient du mal à y renoncer.
5. Le papier buvard
Vous voyez la feuille rose assez épaisse qu'on rangeait dans le rabat du protège-cahier? Comme c’était sur la liste des fournitures scolaires, ma mère a dû m’en acheter à chaque rentrée et je n’ai pas le souvenir de m’en être servie une seule fois.
L'utilisation du papier buvard demandait une certaine dextérité. Je préférais attendre que ça sèche en soufflant sur l’encre plutôt que de coller cette foutue feuille que de toute façon, on mettait de travers et qui au final étalait l’encre n'importe comment.
6. La flûte
PIPUPU. Plus précisément, dans mon cas, la flûte à bec alto Yamaha. En règle générale, ce sont les parents qui incitent leurs enfants à faire de la musique, qui les harcèlent à base de «Tu n'as pas fait ton solfège aujourd'hui». C'est vrai pour tous les instruments SAUF la flûte.
La flûte possède ce talent rare d'être aussi horripilante pour les parents que pour les enfants. Tout être vivant doté d'un tympan et entendant un gamin de sixième s'entraîner à la flûte à bec est pris d'une brusque envie de s'enfoncer une paire de ciseaux dans l'oreille.
Résultat: quand on devait réviser un contrôle (oui, le vice était poussé jusqu'à nous infliger des contrôles de flûte…), on devait se réfugier dans un square parce qu'aucun parent ne nous autorisait à réviser chez eux.
Evidemment, sur le papier, je comprends que la flûte soit apparue comme une bonne idée. Elle était facile à transporter et plutôt bon marché. Mais la vraie particularité de la flûte, c'est qu'on ne progressait jamais. En quatre années de flûte, personne dans ma classe n'a esquissé le moindre début de semblant de progrès.
Comme le dit la fiche Wikipédia dédiée à l'univers merveilleux de la flûte à bec, «les premiers succès dans la maîtrise de l'instrument viennent en général rapidement: sortir une note de l'instrument et acquérir quelques doigtés basiques est très accessible. [comprendre: faire du bruit avec une flûte c'est plutôt facile] Passé ces premiers succès, il s'avère cependant difficile d'obtenir un son ni trop faible ni trop fort, harmonieux [comprendre: passer du bruit à la musique c'est mission impossible]».
Soyons clairs, la flûte au collège ne servait à rien d'autre que refaire les scènes de combats de sabres lasers de Star Wars. Heureusement, une décision de 2008 a mis fin à l'obligation du cours de flûte à l'école.
Pendant ma scolarité —une scolarité sans ordinateur, téléphone portable, Internet— ces outils me paraissaient déjà désuets. Alors je n'ose imaginer ce qu'il en est pour les élèves actuels. Comme l'écrit Michel Serres dans son génial Petite Poucette:
«Voici des jeunes gens auxquels nous prétendons dispenser de l'enseignement au sein de cadres datant d'un âge qu'ils ne connaissent plus: bâtiments, campus, bibliothèques, laboratoires, savoirs même…, cadres datant, dis-je, d'un âge et adaptés à une ère où les hommes et le monde étaient ce qu'ils ne sont plus.»
Autrement dit: brûlons les normographes.
Titiou Lecoq
Photos: rapporteur par Scientif38, compas par José Luis Navarro Lizandra, normographe via Luigi Chiesa, via Wikimedia Commons.